Fin d'année. Noël. Pas de bilan mais une liste de livres récents, de qualité,
qu'on pourra offrir ou se faire offrir, voire acheter avec les bons d'achat
reçus afin de ne pas endurer
la tragique perte sèche de Noël.
C'est parti.
D'abord la biographie rare d'une personne rare, Mary Shelley :
Cette biographie
retrace la jeunesse exceptionnelle de Mary Shelley, née Mary Wollstonecraft
Godwin, héritière d’un milieu intellectuel brillant et engagé.
Élevée par un père philosophe et une mère féministe disparue trop tôt, elle
grandit parmi les penseurs les plus influents de son temps.
Jeune femme curieuse et avide de savoir, elle voyage, écrit et se forme
intensément avant de rencontrer Percy Shelley, avec qui elle vivra une
relation passionnée et mouvementée.
Leur cercle, incluant notamment Lord Byron, mène en 1816 à la création de
Frankenstein, œuvre fondatrice qui rompt avec le gothique pour entrer
dans la modernité scientifique.
Mary poursuit ensuite une vie de travail, de voyages et de deuils, bâtissant
une trajectoire exceptionnelle qui dépasse largement la légende de son seul
chef-d’œuvre.
Puis quelques ouvrages en français importants :
La grande Muraille de Mars
rassemble 16 nouvelles d’Alastair Reynolds, offrant un vaste panorama de
futurs interstellaires mêlant transhumanisme, voyages supraluminiques et
civilisations oubliées.
Certaines histoires s’inscrivent dans le Cycle des Inhibiteurs et explorent
les débuts des divergences humaines, leurs conflits et leurs dérives
technologiques.
Reynolds excelle dans le « temps long », imaginant des mondes où l’humanité a
oublié ses origines, ainsi que des récits mêlant mythologie, enquête, body
horror, hubris ou désastre écologique.
Le recueil alterne aventures sombres, portraits de miséreux, drames intimistes
et chefs-d’œuvre de sense of wonder — notamment Par-delà le Rift de l’Aigle,
pièce maîtresse.
Au final, c’est une SF pleinement scientifique, émerveillée par le cosmos et
ses mystères, où l’humain se heurte toujours à un univers trop vaste pour lui.
Au-delà du gouffre
rassemble 16 nouvelles de Peter Watts, figure majeure de la hard-SF
contemporaine, dont une majorité inédites en français.
Le recueil explore des univers d’une exigence scientifique extrême :
extraterrestres incompréhensibles, histoire alternative, limites de l’humain
et intelligences non humaines.
Matérialiste radical, Watts décrit un monde moniste où conscience, volonté et
spiritualité ne sont que des illusions produites par le cerveau.
Il pousse jusqu’au bout les implications de ce regard : fusion des individus,
transformations biologiques, expérimentations extrêmes, lutte pour la survie
dans un univers indifférent.
Dotés d’une grande rigueur scientifique et d’un style limpide, ces textes
composent une œuvre moderne, puissante et étrangement optimiste malgré sa
noirceur.
La Vie secrète des robots
fait découvrir en français quatorze nouvelles de Suzanne Palmer, autrice
encore méconnue mais saluée pour son inventivité et son humanité.
Le recueil propose une SF centrée sur les robots, IAs et consciences non
humaines, cherchant à restituer leurs modes de pensée radicalement autres,
parfois drôles, parfois poignants.
Qu’il s’agisse de bots héroïques, de cyborgs en guerre, d’automates
solitaires ou d’hommages à R.U.R., Palmer explore la frontière mouvante
entre machine et être sensible.
Elle imagine aussi des mondes d’une grande richesse — étrangetés
biologiques, capitalismes débridés, sociétés oppressives — toujours habités
et crédibles.
Portées par une profonde éthique de la solidarité individuelle, ces
histoires mêlent imagination, émotion et regard critique, faisant de ce
recueil une révélation rafraîchissante et essentielle.
Une vie de saint
retrace la biographie fictive de Nikolaï, mystique terrifiant et messie
ambigu de la république décadente de Mertvecgorod, déjà figure majeure du
cycle de Christophe Siébert.
Le roman explore son parcours entre visions métaphysiques, corruption,
violence extrême et volonté de libérer les « disqualifiés » d’un monde
gangrené par une élite prédatrice.
Siébert y dresse aussi une fresque politique et sociale d’une nation
post-soviétique monstrueuse, miroir exacerbé des dérives contemporaines.
Construit comme un fix-up mêlant sources multiples, le texte rassemble et
unifie tout l’univers développé auparavant, porté par un style halluciné,
charnel et incantatoire.
Œuvre d’une puissance rare, ce récit marque durablement et confirme le cycle
de Mertvecgorod comme l’un des monuments les plus impressionnants de la
littérature française actuelle.
La Cité des miracles, dernier tome de la trilogie des Cités Divines, se déroule plus
d’une décennie après les événements du volume précédent, dans un monde en
plein basculement vers un steampunk technologique où subsiste encore une
magie dangereuse.
Sigrud, meurtri mais quasi indestructible, devient le protagoniste central
après l’assassinat de Shara, qu’il cherche à venger tout en protégeant sa
fille adoptive.
Son enquête révèle que des fragments divins demeurent actifs, capables de
déchaîner des destructions colossales et de menacer l’équilibre fragile du
monde.
Le roman mêle enquête, action spectaculaire, magie explosive et réflexion
sur le pouvoir, la violence, la responsabilité et le cycle des rancœurs.
Conclusion émotive et ambitieuse, ce tome offre à chaque personnage majeur
son moment de vérité et clôt la trilogie avec maîtrise et profondeur.
Un lieu ensoleillé pour personnes sombres
de Mariana Enriquez (12 nouvelles) propose un fantastique très sombre ancré
dans une Argentine encore marquée par la dictature.
Les vivants y cohabitent avec des fantômes réels ou métaphoriques, dans un
univers où le surnaturel exprime les traumatismes collectifs.
Enriquez déploie une critique sociale fine, montrant sans didactisme les
effets de la misère, de la violence et des inégalités.
Les femmes, souvent les plus vulnérables, sont les narratrices principales,
tandis que plane l’influence ambivalente des États-Unis.
Écrites dans une langue fluide et captivante, ces nouvelles explorent des
relations humaines complexes, faisant de ce recueil une lecture vivement
recommandée.
Le Livre des passages
se présente comme un manuscrit à lectures multiples : trois récits
imbriqués, chacun à la première personne, que le lecteur peut parcourir dans
l’ordre voulu.
Ces textes — attribués fictivement à Baudelaire, Walter Benjamin et Jeanne
Duval — forment une vaste histoire de métempsychose où deux âmes se
poursuivent, s’aiment et se retrouvent à travers les siècles.
Landragin y mêle fantastique, érudition et réinvention littéraire, retraçant
la vie tourmentée de Baudelaire, le Paris de 1940 et un XVIIIe siècle
d’explorations et de colonisation.
Au fil des pages, il peint des mondes disparus — bohème parisienne, exil
intellectuel, archipels du Pacifique — et révèle une fresque d’amour, de
perte, d’injustice et de fidélité.
Porté par une écriture subtile et par des variations de style maîtrisées, ce
premier roman singulier s’impose comme une œuvre ambitieuse et poétique,
proche de Cartographie des nuages par son ampleur.
Puis un peu de VO, il y a toujours des amateurs :
Once Was Willem
raconte, dans une Angleterre médiévale rude et magique, la résurrection
ratée d’un garçon de douze ans devenu créature monstrueuse après un pacte
conclu par ses parents avec un sorcier.
Chassé des hommes, Willem trouve refuge parmi d’autres êtres surnaturels,
une communauté de bannis qui deviendront ses alliés lorsque le sorcier Cain
Caradoc menacera le village de Cosham.
Entre assauts de donjon, malédiction, complots féodaux et plan démoniaque,
Willem et ses compagnons se dressent pour sauver des villageois aussi lâches
que faillibles.
Le roman multiplie batailles, atrocités et aventures, tout en faisant
évoluer son héros vers une quête qui le mène jusqu’aux enfers.
Écrit dans une langue volontairement archaïsante, ce récit sombre mais
étonnamment optimiste offre un protagoniste très attachant et un fantastique
médiéval particulièrement efficace.
Hummingbird Salamander
suit Jane Smith, femme solide mais psychologiquement fragile, dont la vie
bascule lorsqu’un colis mystérieux contenant un colibri empaillé la lance
sur les traces de Silvina, héritière écologiste radicale.
Ce thriller d’un futur immédiat décrit un monde en plein effondrement
écologique et politique, où la quête de Jane devient une fuite paranoïaque
qui la coupe de sa famille et de son identité.
À travers la disparition progressive de Jane dans l’ombre de Silvina,
VanderMeer explore obsession, trauma familial, violence systémique et
effondrement du vivant.
Le style haché, fiévreux, évoque la trilogie de la Zone X, entre
organisations clandestines, menaces indistinctes et brouillard de guerre
permanent.
Roman haletant, profondément écologique et existentiel, il interroge à la
fois l’urgence du monde réel et les dérives d’une obsession qui peut tout
détruire, y compris soi-même.
Enfin, deux albums de qualité :
Les Carnets de Stamford Hawksmoor, prequel de la série Grandville, suit les enquêtes d’un détective
inspiré de Sherlock Holmes, vingt ans avant les aventures de LeBrock.
Dans une Angleterre uchronique secouée par la fin de deux siècles de
domination française, Hawksmoor enquête sur le suicide suspect de son frère
et sur une série de meurtres violents à Londres.
Bryan Talbot propose un album magnifiquement illustré, rythmé et dense,
mêlant intrigue policière, contexte politique explosif et satire sociale.
L’œuvre aborde pauvreté, colonialisme, inégalités, violence d’État, purges,
homophobie et corruption, sans oublier humour, action et personnages
mémorables.
Brillant, riche et accessible sans connaître la série, cet album constitue
une BD exemplaire à la fois captivante et intelligemment construite.
Green Witch Village
suit une femme de 2025 propulsée dans le corps de Tabatha, New-Yorkaise de
1959, qui doit naviguer entre sexisme ambiant, coloc turbulentes et menace
nucléaire orchestrée par des terroristes nazis.
Biancarelli et Trondheim livrent une BD pétillante, rythmée, pleine
d’humour et de suspense, bien plus riche qu’une simple comédie de voyage
temporel.
L’album mélange espionnage, aventure et comédie dans une ambiance
Cold War façon technicolor, évoquant Hitchcock, Capra ou Billy Wilder.
Hommage assumé aux comic strips des années 50, il en reprend le style, les
contraintes et l’énergie feuilletonesque.
Résultat : une lecture fun, vive et captivante, qui charme autant par son
esthétique que par son sens du rythme.
Enjoy !













Commentaires