La grande Muraille de Mars est la version française du méga recueil d’Alastair Reynolds intitulé en VO Beyond the Aquila Rift. Dans des traductions de Pierre-Paul Durastanti, Laurent Queyssi et Florence Dolisi, ce sont pas moins de 16 textes (2 de moins que dans la VO) qui s’étalent sur 640 pages.
Au fil de ces milliers de signes c’est l’avenir imaginé par Alastair Reynolds qui se dévoile aux yeux ébahis du lecteur amoureux de SF. Car c’est bien de SF qu’il s’agit ici. Toujours. Même quand ça peut ressembler à autre chose.
Certains de ces textes appartiennent au Cycle des Inhibiteurs, ce cycle bien connu de notre club qui raconte l’histoire future d’une humanité spatiopérégrine et divergente dont les différentes branches, souvent en conflit armé, se distinguent par leur degré de fusion avec les machines.
C’est le cas notamment des deux premiers, La grande muraille de Mars et Zéphyr qui racontent, de transhumanisme en tentative de génocide, les débuts de la divergence et les conflits initiaux gros de ceux à venir. On y découvre même les secrets peu ragoûtants des fabuleux moteur F.
Mais, si chez Reynolds on voyage toujours de plus en plus loin vers l’infini et au-delà, en utilisant même parfois des canaux de communication supraluminique qui sont les vestiges de civilisations oubliées, on est toujours dans des préoccupations, des grandeurs et des bassesses qui sont typiquement humaines.
Qu’importe que la menace rode, qu’importe qu’on ait oublié quand et comment nos ancêtres humains sont arrivés sur tel ou tel monde, l’humain reste l’humain, une corde tendue entre la bête et le Surhumain.
Ainsi, si Les fleurs de Minla peut rappeler qu’Il est difficile d’être un dieu, il montre surtout que si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument – comme disait l’autre.
Les textes de Reynolds sont aussi des textes de temps long. Assez long pour qu’on ait divergé. Assez long pour qu’on ait oublié ses origines sauf sous la forme de la légende.
C’est le cas dans Fureur, récit mythologique qui dit, par l’entremise d’une enquête policière, la naissance d’un empire antédiluvien, de l’empereur qui le gouverne et du fidèle serviteur qui l’assiste. On peut penser au Milliard de tapis de cheveux d'Eschbach.
La fille du fabricant de traîneau, joli récit faussement fantasy/conte, dit aussi de vieilles histoires, des vilenies humaines, et aussi des conflits qui se jouent à des niveaux si élevés qu’ils pourraient être métaphysiques.
Parlant de temps long, Grand sommeil est une histoire d’hibernation en attente d’un monde meilleur qui se révèle totalement flippante quand l’hiberné se réveille dans un monde très différent de celui qu’il imaginait en s’endormant. Désastre écologique d’un genre inédit, dimensions agressives, péril mortel, tout est réussi dans cette histoire qui intrigue fort avant de désespérer tant elle est noire.
Il y a aussi, dans le recueil, des histoires de rascals.
C’est le cas de L’Apprenti du chirurgien des étoiles, avec ses pirates sans scrupule, son ambiance body horror in space, ses esclaves condamnés à vie et ses étonnantes créatures cosmiques.
C’est aussi le cas dans Vanité, une amusante (sauf pour les victimes) histoire de sculpture monumentale, d’art brut (à tous les sens du terme), et d’hubris humain. On y explore les affres de la vanité dans toutes ses manifestations. La vanité, le péché mignon du diable selon Al Pacino dans L'Associé du diable.
Le dernier journal de bord du Lachrimosa met encore en scène de piètres personnages mais c’est aussi une histoire triste de sacrifice et de temps très long (encore), matinée d’exploration planétaire dans une ambiance réellement inquiétante. On y retrouve le monde des Inhibiteurs et on y évoque la « peste » qui ronge cet univers particulier.
La Voleuse d’eau, ses bots contrôlés par des humains et ses migrants traités pire que des bêtes, dit, elle, qu’on peut rester humain même dans l’adversité. Ca rassure.
Troïka, avec son « Second Soviet », son hôpital psychiatrique tellement soviétique et son BDO est une étonnante histoire à la tonalité de guerre froide, triste, paranoïaque, glacée. Elle est intrigante, captivante, et se conclut par une surprise.
Le Vieil homme et la mer de Mars est un retour nostalgique sur le Mars des débuts de la terraformation par l’un des pionniers qui en a été. Il évoque un peu Minnie and Earl, typique de ces histoires qui expriment le dépit de ceux qui voient leur « nouvelle frontière » se civiliser peu à peu, perdant par là-même tout ce qui en faisait le sel.
Dans une ambiance très Idiocracy, A Babelsberg raconte l’hubris d’une sonde spatiale intelligente qui a fait quelque chose de pas très joli. Rien d’étonnant, rien n’est joli dans le monde de Babelsberg ; un monde de spectacle et de réseaux sociaux produit des êtres qui lui ressemble. Vous avez dit le nôtre ?!?
!!! Et puis, roulement de tambour, il y a Par-delà le Rift de l’Aigle, un véritable chef d’œuvre et la perle du recueil. !!!
Le sense of wonder y est poussé a un niveau rare quand un vol spatial se passe mal et que les canaux supraluminiques empruntés emmènent bien plus loin qu’on ne l’escomptait. Racontant le doute, instillant le malaise, Reynolds lève peu à peu le voile, pour son personnage comme pour son lecteur, sur la vérité du désastre. C’est une histoire bouleversante et très humaine qui est dite, une histoire de l’Homme confronté à des immensités cosmiques pour lesquelles il n’est pas fait. Chapeau bas.
On avait déjà lu dans Bifrost Capsule d’urgence, une histoire très réussie de robot qui tente de ramener du front un soldat gravement blessé. Jusqu’à ce que…
On avait aussi lu Bleu Zima, un récit sur l’art auquel je suis resté une fois encore hermétique.
Long story short (si possible) :
La grande Muraille de Mars est un excellent recueil de SF que l’on dévore en savourant autant la diversité des lieux et des événements que l’unité thématique : des humains qui, souvent à leurs dépens, se heurtent à un univers infiniment plus vaste et plus ancien qu’eux.
C’est aussi et surtout un recueil qu’on lit avec un immense plaisir car on y retrouve une SF dans laquelle le S est l’initiale de science plutôt que celle de sociétal, une SF donc qui dit le miracle de parcourir les quatre vents de l’univers pour en découvrir les merveilles plutôt que de s’interroger ad nauseam sur la forme future des familles ou des communautés politiques.
La grande Muraille de Mars, Alastair Reynolds

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