Les Résidents - Lemire - Sorrentino - Le Mythe de l'Ossuaire t3

Avec Les Résidents , tome 3 du Mythe de l'Ossuaire , le cycle BD de Lemire et Sorrentino situé dans un univers mythologique partagé imaginé par les auteurs, on entre vraiment dans le lourd. Lourd d'abord car ce gros volume de 312 pages pèse son poids, lourd surtout car cet opus qui regroupe les dix numéros de l'arc Les Résidents est vraiment impressionnant. Quelques mots de l'histoire, sans trop spoiler. Sept personnes vivent (au milieu de beaucoup d'autres) dans un immeuble d'habitation urbain dégradé mais quelconque. Ces sept personnes – Isaac, Amanda, Justin, Félix, Tanya, Bob et Gary –l'ignorent mais elles sont liées. Liées entre elles, liées aussi à cet immeuble qui est certainement un lieu malfaisant (car sinon ce serait elles qui le sont, et comment le jeune Isaac ou l'aimante Amanda, sans même parler des autres, pourraient-ils être accusés de malveillance ?) . A la mort imprévue de l'un des sept, une clef est tournée et un grand bouleversem...

Vous devez lire La ménagerie de papier

Novelliste, romancier depuis peu avec The grâce of kings, traducteur de Cixin Liu entre autres, Ken Liu est un touche à tout brillant et inspiré récompensé par de nombreux Prix. Le Bélial vient de traduire son recueil intitulé "La ménagerie de papier" et c’est la meilleure nouvelle de l’année. Rendre accessible au public francophone l’œuvre en short du sino-américain Ken Liu était indispensable. C’est chose faite. En attendant le reste.

"La ménagerie de papier" donc. Comme LA nouvelle du recueil, prix Hugo, Nebula, et World Fantasy. Un chef d’œuvre. Rien d’autre. Je renvoie à ma chronique précédente, il n’y a rien à y ajouter.

Puis tout le reste (18 autres textes), presque tous de très bonne qualité.
Liu touche avec un égal plaisir la SF, la fantasy, la dystopie, le fantastique, et même l’histoire de détective (et de fantômes) chinois. Quand on vous dit brillant.
Pour le fond, il se dégage du recueil une sorte d’unité thématique. De nouvelle en nouvelle, au fil des pages, le recueil dessine une image de ce qui anime l'esprit de l'auteur.

Liu traite de la famille, rarement absente ne serait-ce qu’en bruit de fond. Du cercle présent, il passe au temps long,  aux générations qui se succèdent, dans une approche résolument moderne qui prend le meilleur de deux mondes culturels. Liu représente l'homme comme un point moyen entre le passé et la tradition, qu’il faut honorer, et l’avenir et l’évolution, vers laquelle il faut tendre. C’est éclatant dans Avant et Après, même si la nouvelle, mis à part une originalité formelle, n’est guère indispensable, sauf comme note de bas de page du recueil. La famille, source de repères, de force, de tendresse et de chaleur, on la trouve bien sûr dans la nouvelle La ménagerie de papier mais aussi dans bien d’autres. Par moments, dans un genre complètement différent, cette omniprésence de la famille et d’une douceur véritable qui s’y attache m’a fait penser à l’œuvre de Mélanie Fazi.

Liu traite aussi de la détermination. Dans une approche qu’on peut qualifier de spinoziste, il pose un libre-arbitre qui n’est qu’une illusion, celle que se donne à elle-même une conscience incapable de discerner les enchainements cause-effet qui la meuvent et qui croit donc qu’il y a du choix dans ses actes quand il n’y a qu’obéissance à la nécessité, comme l’écrirait le maitre hollandais. C’est le point des Algorithmes de l’Amour entre autres.

Même lorsque la cause ne se trouve pas dans le fonctionnement bio-chimique du cerveau, l’homme n’est pas libre pour autant. Soumis à la nécessité par un neutrino venu du fin fond de l’espace dans L’erreur d’un seul bit, il n’est pas plus maitre de ses actes que la pierre de la Lettre à Schuller.

Et si l’homme est déterminé par son fonctionnement biochimique au point de pouvoir être mis en algorithmes, la société devient contrôlable. Dans Faits pour être ensemble, une évocation glaçante du futur de Google, Liu présente un monde dans lequel les IA créent du repli sur le même et de la domestication sous couvert d’assistance. Une servitude volontaire et complète. Ca sonne tellement probable que ça fait froid dans le dos.

Détermination toujours quand l’homme connait son avenir. On ne peut le changer, on peut seulement faire avec. Apprendre à vivre avec la main qu’on a, et voir venir la mort sans terreur. Mono No aware (Hugo 2013, sensible, émouvant), ou L’Oracle (qui lorgne vers Minority Report).

Même la conscience n’est guère qu’une illusion, un artefact qui croit à son unité quand il n’en a aucune. C’est la mémoire qui trompe l’homme et lui laisse imaginer que celui qui s’est endormi est le même que celui qui se réveille en dépit de l’interruption complète de la conscience. Pourtant, quand le réveil ne vient pas, cette interruption s’appelle la mort. Les souvenirs créent donc l’identité, mais ils sont si peu fiables, si faciles à travestir, qu’on peut se demander ce qu’est l’identité alors, et s'il est bien raisonnable de s’y raccrocher ? Le corps physique n’est-il que le vaisseau d’une personnalité passagère à tous les sens du terme ? Billy Milligan pourrait nous en dire long sur le sujet et la nouvelle Renaissance le fait aussi. Intéressante mais vite prévisible.

Et puis il y a la très brillante Forme de la pensée. Contact extraterrestre, langage gestuel et lumineux, difficulté de la traduction, c’est très bien fait, et ça rappelle deux autres textes dans lesquels le langage est central : Embassytown de China Mieville et L’histoire de ta vie de Ted Chiang.

Il y a aussi Le peuple de Pélé, histoire d’une colonisation spatiale sans retour, un des quelques textes « géopolitiques » qui montrent que Chiang sait qu’il vit dans un monde tendu.

Il y a le délicieux Golem au GMS, dans lequel on réalise que les cocons familiaux juifs et chinois n’ont pas grand chose à envier l’un  à l’autre. Un récit drôle qui rappelle autant le Dibbouk de Mazel Tov IV de Silverberg (et ça, ici, c’est un énorme compliment) que le Beware of God de Auslander.

On pourrait continuer avec l’amusante (et vraiment bien pastiché) histoire de détective chinois La Plaideuse. Ou citer Le livre chez diverses espèces, très originale même si guère palpitante. Sans oublier celles que je n’ai pas citées et qui, peu ou prou, valent toutes le détour (à part peut-être Nova Verba, Mundus Novus).

Le recueil est brillant car Ken Liu l’est. Tant de talents sur tant de facettes, c’est rare. Des idées, de l’imagination, de l’émotion. Comme un mashup de Greg Egan et de Mélanie Fazi.

La ménagerie de papier, Ken Liu

Commentaires

Lune a dit…
Rien à ajouter, j'ai passé la moitié du recueil et je suis d'accord avec toi, sauf pour L'Erreur qui a peut être été celle du Bélial de ne pas mettre en avant une autre nouvelle, éventuellement plus accessible.
Gromovar a dit…
Yavait plus simple peut-être. La première histoire. Qui sait ?
Lune a dit…
Oui Renaissance ou L'Oracle peut être. Enfin, nous on sait, il faut lire Ken Liu, auteur majeur de la SF contemporaine.
Très bien vu, très bien lu, rien à ajouter non plus. ;)
Gromovar a dit…
Ben merci :)
Lorhkan a dit…
Pas mieux. Grosse découverte, et grosse baffe.
Je veux un autre recueil, là, maintenant, tout de suite.
Gromovar a dit…
Ca va être compliqué ;)
Guillaume a dit…
J'ai adoré ce recueil de Ken Liu, une excellente idée du Bélial' que de nous l'avoir proposé !
Gromovar a dit…
Tout à fait d'accord.
J'ai adoré "La ménagerie de papier" de Ken Liu, autant sur la forme que le fonds
Gromovar a dit…
Aha. Magnifique !!