Lovecraft, mort dans le dénuement, est aujourd'hui une sorte de démiurge posthume, son oeuvre inspirant, depuis quelques décennies et plus ou moins sérieusement, quantité d'artistes dans des médias variés. Il était donc logique que Métal Hurlant y revienne.
Ainsi, 46 ans après le fameux Métal Hurlant 33bis Spécial Lovecraft, voici qu'arrive le (New) Métal Hurlant 12, un opus consacré, de nouveau, au maitre de Providence.
Entre ces deux moments, Lovecraft est devenu une icône incontournable de la pop culture et s'est (on peut le regretter) également métamorphosé en mème – un sort qui frappe aussi Cthulhu et tous les Grands Anciens entre posts Internet, BD humoristiques, t-shirts, mugs présidentiels US, peluches et j'en passe.
Dans les pages de le revue s'entremêlent rédactionnel et BD, BD, BD sous une magnifique couverture de Jorg de Vos.
Le rédactionnel d'abord :
Interview de Joshi, interview de Sandy '
CoC' Petersen – si tu ignores qui sont ces gens, lecteur, passe ton chemin –, article sur le regretté
Alone in the Dark (le premier survival horror 3D) qui adapta Lovecraft sans le dire explicitement, article sur le cultissime
Providence d'Alan Moore, article sur le
Call of Ktulu de Metallica, interview de Pixel Vengeur, interview de
François Baranger, plus deux articles de fond signés Marc Obregon et Thomas Spock. Tout est bon, tout est à lire.
La partie BD ensuite :
Moins convaincu par un assortiment de BD trop souvent influencées par les avatars mème de Lovecraft/Cthulhu et/ou une approche Fluide Glacial de la chose. Devenu un donné de l'imaginaire collectif, Lovecraft est repris sous toutes les coutures possibles, même les parodiques ou humoristiques. Le magazine en rend compte. Dont acte.
J'ai repéré néanmoins quelques petites pépites :
- L'Antithèse des créations, de Salvador Sanz, est imho le chef d'oeuvre de l'ouvrage et place cet auteur dans le panthéon élitiste de ceux qui parviennent à rendre la noirceur et l'altérité fondamentales de l'oeuvre de Lovecraft.
- Le Gardien du seuil, de Fred Vignaux, est une histoire joliment illustrée d'égyptologie tragique qui finit un peu abruptement.
- Lumière noire, de Bonavoglia et Allison, vaut par son étrangeté fondamentale et son style graphique.
- La Clairière, d'Eldiablo et Gems, transpose les récits lovecraftiens dans un univers qui n'aurait jamais dû y être confronté. Ca tourne mal. Et ça fait du bien.
- L'Appel de Cthulhu, de Mathieu Sapin, est une madeleine de Proust générationnelle pour tous ceux qui ont découvert Lovecraft par le jeu de rôle. Merci pour nous.
- Ils sont arrivés, de Valentin Ramon est une histoire d'apocalypse et de sacrifice très joliment dessinée et colorée qui s'achève un peu abruptement.
- Entre les pierres, d'Alex Ristorcelli, ne fait guère lovecraftienne mais elle est très joliment dessinée.
- Le Kadath, de Ricahrd Guérineau, est très joli dans un genre qui rappelle un peu Caza.
- Pastorius, de Pog et Gaignard, est un genre de comic à la Twilight Zone. Sympa de ce fait.
- 1785, de Stéphane de Caneva, fait penser au fruit illégitime des amours de Lovecraft et de Poe. Joli et plaisant à lire.
- La Musique d'Erich Zann, de Lolita Couturier, transpose littéralement la nouvelle originale dans le monde moderne. Pas con.
- The Things, de Queyssi et Roig, imagine un Lovecraft nonagénaire invité par John Carpenter (who else ?) sur un plateau de tournage. Avec un twist.
- Jorg de Vos livre les dernières planches avec Mater, une histoire qu'on ne dira que peu lovecratienne mais qu'on dira aussi d'une très grande beauté.
- Et, last but not least, une biographie d'HPL signée Pochep, Le Chaos rampant, est présentée en mini strips de bords de pages.
Voilà, c'est tout. Cya soon.
Commentaires
Mais plusieurs choses sont advenues depuis 1979 dans le monde phénoménal.
- Nous avons vieilli, et la langue de Lovecraft nous semble aujourd'hui naïve, pleine de clichés indicibles sur l'innommable.
- L'horreur est devenue plus populaire, en littérature et surtout au cinéma. On sent confusément qu'elle préfigure les âges à venir.
- D'ailleurs, un monstre est sur le seuil de sa réélection aux USA.
- S.T. Joshi nous a fait comprendre dans sa sommes biographique que la vie d'HPL était son chef d'oeuvre véritablement lovecraftien.
- Alan Moore et Jacen Burrows ont capté l'essence du "lovecraftisme" et l'ont fait prospérer au-delà des attentes du lectorat survivant dans Providence.
Donc je vais peut-être me laisser séduire par ton rédactionnel, et tenter d'oublier les peluches Cthulhu en vente sur Amazon.