La Maison des soleils - Alastair Reynolds

La Maison des soleils est un roman (de 2008) d’Alastair Reynolds qui arrive enfin en France grâce au Bélial et à l’infatigable traducteur Pierre-Paul Durastanti. La Maison des soleils se passe 6 millions d’années dans l’avenir (énorme à notre échelle, rien à celle de l’univers ; il est important d’avoir ces deux rapports en tête pour comprendre tant la dimension vertigineuse de l'aventure humaine que le caractère transitoire des civilisations présentées ici, aussi éphémères que les nôtres) . La Maison des soleils prenant place dans le même univers que la novella La Millième nuit , publiée en UHL et chroniquée ici, je te renvoie, lecteur, à la chronique précédente dont le début te précisera le contexte. Univers de la Communauté donc. La Lignée Gentiane doit de nouveau se rassembler pour les Retrouvailles au cours desquelles, lors des célébrations des Mille Nuits, vont être partagés les fils mémoriels de chacun des clones (nommés frag, pour fragment de l’initiatrice de la Lignée,

Sundial - Catriona Ward


Rob est une enseignante californienne. Elle est mariée à Irving. Le couple a deux filles, Callie et Annie. Mais ce n’est pas Happy Days.

Rob est mal mariée, à un homme qui la trompe, la menace, a pu la violenter. Elle fait face, de surcroît, à une fille aînée hostile bien plus proche de son père que d’elle. La jeune femme ne trouve de fait un peu de satisfaction familiale que dans l’amour inconditionnel de sa cadette. Le reste c’est une atmosphère étouffante et délétère.

Et si la cadette est « normale », l’aînée semble « bizarre », même au-delà de la bizarrerie ordinaire d’une pré-adolescente. Au point qu’alors qu’il semble qu’Irving soit retombé dans ses travers adultérins, Rob en vient à soupçonner Callie d’avoir tenté d’empoisonner Annie.

Goutte d’eau qui fait déborder le vase ; impossible de continuer à fermer les yeux sur tout ce qui dysfonctionne. Rob prend Callie avec elle et l’emmène, avec l’assentiment d’Irving, à Sundial, la ferme au cœur du désert dans laquelle elle-même a été élevée. Pour éloigner Callie d’Annie, mais pour quoi d’autre aussi ? Car il est clair qu’il y a un autre agenda.


Catriona Ward est une autrice qui écrit des romans de très belle qualité. De La dernière maison avant les bois à Looking Glass Sound en passant par Little Eve, Ward tisse une œuvre dont elle manie avec grande habileté narrative ses thèmes récurrents.

Chez Catriona Ward, les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être au premier abord, ni dans les faits, ni dans les têtes. Les personnalités sont complexes, parfois multiples, elles sont façonnées par un passé qui se révèlent progressivement au lecteur, elles mentent ou se mentent sur la réalité des faits et des rapports qu’elles entretiennent avec le monde. Et la famille n’est pas pour ces personnages un havre de paix, loin de là.

Pour raconter ces êtres tout sauf monolithiques et leurs tribulations (le terme n'est pas excessif), Ward utilise toujours plusieurs points de vue et plusieurs trames temporelles, le tout formant une mosaïque qui, peu à peu, dessine un panorama complet que le lecteur était loin d’imaginer au début de sa lecture. C’est encore le cas ici. Mais, patatras, ici ça fonctionne nettement moins bien.


Passée la mise en place du récit, Sundial s’organise autour de trois fils principaux : Rob maintenant (à son domicile d’abord puis à Sundial avec Callie où elle entame pour sa fille la longue narration d’événements de son enfance censés expliquer...), Callie maintenant (qui commente les actes de sa mère et y réagit, avec sa psyché fantasmagorique), Rob avant (le récit du passé fait par Rob à Callie, de l’adolescence de Rob, de la rencontre avec Irving, de la naissance de Callie). S’y ajoute le fil d’un récit de métafiction que Rob écrit en cachette.


Ce que raconte Rob à Callie, c’est une enfance isolée, entre des parents hippies qui ont installé un centre de recherches comportementales au milieu du désert et une sœur jumelle aînée, Jack, qui la protège et la brime dans une relation d’amour/haine exclusive et parfois perverse.

C’est une histoire de non-dits, de secrets, de mauvaises manières de faire ou de dire ou d’aimer. De mauvais choix et de conséquences inéluctables. De sentiments exacerbés entre des personnes trop longtemps trop repliées sur elles-mêmes. De la tentation de la fuite aussi et de l'attrait écœurant du retour vers la matrice.

Le passé est convoqué pour expliquer le présent et ce qui doit s’y dérouler.


Ca pourrait être du bon Catriona Ward mais ça ne marche pas très bien. Pour plusieurs raisons imho.


D’abord, la narration passé/présent alternés semble ici très artificielle car c’est Rob qui raconte à Callie dans un temps suspendu de plusieurs jours à Sundial qui paraît n’être qu’un artifice scénique explicatif durant lequel il ne se passe à peu près rien, comme quand un chœur explique ce qui se passe off-stage – cf. les tragédies antiques.

Ensuite, manque un enjeu compréhensible, contrairement à ce qui était le cas dans les romans précédents de Ward – disparition, meurtres, etc. Ici rien de tout ça. Rob et Callie partent pour Sundial en attente de quelque chose, et on ne sait presque jusqu’à la fin pas quoi. Le roman devient alors une sorte de confession dont on se dit qu’elle pourrait prendre place dans n’importe quel autre cadre, même si on sent que la faire en ce lieu présente un intérêt pratique – que pendant longtemps on ne voit pas. De ce fait, l’attention pour l’enchaînement des événements et pour les personnages eux-mêmes (qui sont, de surcroît, très neutres, stylistiquement parlant, au point qu’ils n’accrochent pas) tombe peu à peu, malgré le sentiment de malaise que Ward sait, comme toujours, magnifiquement installer.

Les divers twists aussi, devinés ou non, donnent l’impression d’une vérité qui ne se libère qu’avec peine du poids du secret, mais, à la longue, ils sont porteurs d’un sentiment de trop de révélations trop lentement exprimées, provoquant plus d’exaspération que de consternation.

Enfin, la fin – qu’on finit néanmoins par voir peu ou prou arriver – est un acmé un peu inattendu car on ne l’attendait pas exactement là, acmé à l’issue duquel Rob explique littéralement ce que le lecteur était censé avoir compris des faits, fournit les éléments manquants, donne la cohérence d’ensemble au tout. Ce genre d’explication de texte finale n’est jamais vraiment bon signe. Et, cerise sur le gâteau, il y a même un dernier twist et une fin ouverte, comme dans les piètres films d’horreur.


Sundial est le roman dans lequel Catriona Ward pousse à l’extrême l’idée psychologisante suivant laquelle les traumas du passé se transmettent de génération en génération. Elle le fait à l’aide d’un dispositif entre horreur psychologique et techno-thriller, les deux ingrédients ici ne se mélangeant pas très bien. On pourrait d’ailleurs dire la même chose d’un certain nombre d’autres ingrédients présents dans le roman mais mal ou trop peu exploités (la drogue par exemple, ou les années de fac). En fait, on a l’impression que Ward n’a pas su vraiment choisir un point de vue et une histoire, qu’elle s’est trop éparpillée entre plusieurs récits possibles, qu’elle a cédé enfin à une psychologisation excessive avec le personnage de Pale Callie (il faudra lire pour savoir) qui fait un peu gimmick de magazine psy alors qu'elle est au cœur de bien des choses.

C’est ma première déception venant d’elle. Dommage.


Sundial, Catriona Ward

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