La Maison des soleils - Alastair Reynolds

La Maison des soleils est un roman (de 2008) d’Alastair Reynolds qui arrive enfin en France grâce au Bélial et à l’infatigable traducteur Pierre-Paul Durastanti. La Maison des soleils se passe 6 millions d’années dans l’avenir (énorme à notre échelle, rien à celle de l’univers ; il est important d’avoir ces deux rapports en tête pour comprendre tant la dimension vertigineuse de l'aventure humaine que le caractère transitoire des civilisations présentées ici, aussi éphémères que les nôtres) . La Maison des soleils prenant place dans le même univers que la novella La Millième nuit , publiée en UHL et chroniquée ici, je te renvoie, lecteur, à la chronique précédente dont le début te précisera le contexte. Univers de la Communauté donc. La Lignée Gentiane doit de nouveau se rassembler pour les Retrouvailles au cours desquelles, lors des célébrations des Mille Nuits, vont être partagés les fils mémoriels de chacun des clones (nommés frag, pour fragment de l’initiatrice de la Lignée,

Looking Glass Sound - Catriona Ward


Looking Glass Sound est le nouveau roman de Catriona Ward et il n’est pas facile à raconter.

Tentons néanmoins de donner quelques informations – sans trop dévoiler –, et surtout de transmettre l’envie de lire ce très beau texte.


Looking Glass Sound commence comme le journal d’un adolescent nommé Wilder Harlow. Intitulé The Dagger Man of Whistler Bay, ce journal, dont on lira plus tard qu’il est interrompu, raconte dans ses propres mots les séjours estivaux de Wilder et de ses parents à l’entente fragile dans la petite ville côtière de Castine, Maine, dans un cottage hérité d’un oncle récemment décédé. Wilder, un garçon solitaire et harcelé dans son école privée, y raconte son sentiment de solitude et son ajustement défectueux au monde. Il y parle aussi des deux amis de son âge qu’il s’est fait à Whistler Bay. Nat, le fils d’un pêcheur du coin, et Harper, une anglaise en vacances comme lui avec ses parents. Deux amis qu’il se met à aimer d’une passion aussi soudaine qu’irrationnelle – si caractéristique de cet âge.

Avec Nat et Harper, Wilder vit un été magique, plein des émois et des aventures d’un jeune citadin transplanté quelques semaines dans un lieu isolé, un peu perdu et mystérieux. Tout ici est nouveau et fascinant. L’amour, aussi douloureux que doux, et la rivalité qui l’accompagne. La magie, qu’Harper dit pratiquer. La mer et ses dangers. Les grottes englouties à marée haute. Les beuveries. Et surtout l’inquiétant et insaisissable Dagger Man qui photographie dans leur propre domicile des enfants endormis ignorants de sa présence ; sans oublier les quelques disparitions passées, noyades ou pire…


Lisant ce qui précède, tu peux te dire, lecteur, qu’il va s’agir ici d’un thriller et/ou d’une affaire de tueur en série dans une petite ville du Maine et tu penseras que Ward ne fait qu’invoquer les mânes de Stephen King (il y a même, ironie, un personnage qui devient aveugle). Tu te tromperas.

Car le responsable des troubles de Whistler Bay sera rapidement identifié. Car Wilder et ses amis se sépareront à la fin de l’été et reprendront les cours normaux de leurs vies. Car la suite de l’histoire s’étalera sur plusieurs décennies, avec des points de vue et des narrateurs différents. Seul point commun entre ces narrateurs : ils sont tous non fiables, sûrement plus non fiables encore que tous ceux auxquels Ward nous avait déjà habitués dans La dernière maison avant les bois ou Little Eve.

Car Looking Glass Sound est une histoire dans l'histoire dans l'histoire et un livre dans le livre dans le livre.


Alors, ceci posé, qu’est exactement Looking Glass Sound ?


Un roman juste sur les écrivains. Sur le désir impérieux d’écrire qu'exigeait Rilke de son jeune poète et sans lequel, disait-il, mieux vaut cesser d’écrire. Sur le caractère vampirique d’un acte d'écriture qui puise nécessairement dans un réel et des vies que l’écrivain utilise sans vergogne comme matières premières. Sur la trahison que représente l'inévitable détournement d’intimité. Sur la capacité d’empathie nécessaire pour se mettre à la place de l’autre jusqu’à le décrire comme si on était lui – tout le contraire du fâcheux own voice ; Max Weber disait déjà il y a longtemps « il n’est pas besoin d’être César pour comprendre César ».


Un roman puissant sur le pouvoir des mots, qui amène Maïakovski à l’esprit lorsque celui-ci postulait que les mots pouvaient renverser le monde. Sur l’immortalité que confèrent ces mots qui transforment en personnages des personnes réelles. Sur la définition de la réalité qu’ils permettent et que Ward démontre à au moins deux reprises en guidant le lecteur dans de mauvaises directions. Sur la capacité qu’ils offrent de créer une image pérenne qui deviendra la vérité quand la vérité aura été oubliée de tous.


Un très beau roman, enfin et surtout, qu’on lit avec très vite une constante douleur au ventre, une histoire d’amour térébrant, et de perte, et de nostalgie, et de recherche sans doute illusoire de rédemption ; tout en même temps. Un texte qui rend triste et mélancolique à la fois, qui dérange tant le malaise qu’on y sent est communicatif, tant les personnages qu’on y lit sont brisés. Lisant Looking Glass Sound, assailli de sentiments de plus en plus forts et perturbants et percuté de nombreuses fois par des phrases d’une grande beauté, on aura l’impression de réécouter la trilogie noire des Cure, le crescendo de Seventeen Seconds à Pornography qui passe par Faith. Du gris au noir en passant par le gris foncé. De la tristesse au délire en passant par le désespoir. Ce roman est une bouchée de ciguë pour le lecteur, comme celle qui pousse dans les collines de Whistler Bay.

Alors, de fait, Looking Glass Sound est un chemin. Un chemin beau et triste à la fois, que le lecteur parcourt en s'y blessant. Un chemin surtout qui vaut pour l'inoubliable voyage qu’il offre, si bien qu’arrivé au bout, comme Baudelaire, « je ne pus crier que: "Déjà!" », excusant même par ce cri un dernier twist un peu maladroit dans les toutes dernières pages.

« One day I’ll be an eighty-year-old woman, Pearl thinks. And I’ll still be sad, missing this nineteen-year-old boy. »


Si l’horreur psychologique consiste à bouleverser sans utiliser rien de la panoplie du grand-guignol fantastique, alors clairement Catriona Ward atteint ici un des sommets du genre.

« Sometimes Pearl imagines them, these shingles, sitting on mantlepieces or bedside tables or stored in shoeboxes in teenagers’ bedrooms. Do people like sleeping in the same room as a roof shingle that once absorbed the sound of women dying ? »


Looking Glass Sound, Catriona Ward

Commentaires