La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Interview : Emma 'Planetfall' Newman

Photo Joby Sessions for SFX Mag
Emma Newman est une auteur SFFF britannique qui aime le thé et les jeux de rôle. Sort en France aujourd'hui  son premier roman traduit, Planetfall, qui est aussi le premier texte SF de cette auteur d'habitude entre dark et urban, et pour un coup d'essai c'est un coup de maitre. Entretien avec un talent en transformation.

Bonjour Emma, merci de nous accorder un peu de ton temps. Peux-tu d'abord te présenter pour les lecteurs français ?

Bonjour ! Je suis auteur, narratrice d'audiobook et podcasteuse. J'écris de la SF, de l'urban fantasy, et de la fantasy historique, quant à mon hobby préféré c'est le jeu de rôle (donc une personne de goût, NdG)

Planetfall est un pur roman de SF, ce qui n'était pas le cas de tes romans précédents. Pourquoi as-tu changé de genre ?

La SF est mon premier amour. J'en ai dévoré quand j'étais adolescente et c'est encore mon genre favori quand il s'agit de films, mais je me suis toujours sentie un peu nerveuse à l'idée d'en écrire. J'ai commencé par écrire de l'urban fantasy, mais je ne savais même pas que ça en était jusqu'à ce que mon éditeur me le dise lui-même. J'avais simplement écrit les histoires que j'avais envie d'écrire, sans me soucier de leur genre.

De fait, pendant que j'écrivais la série des Split Worlds, les graines de Planetfall prenaient racine tout au fond de mon esprit. Je savais que je voulais écrire quelque chose sur la maladie mentale dont souffre mon personnage, mais je n'avais à ce moment ni un vrai personnage ni une vraie histoire. Puis, brusquement, tout s'est mis en place ; j'ai compris que le bon cadre pour cette histoire était une lointaine colonie et comment la colonie devait fonctionner pour que cette maladie mentale se retrouve de manière plausible au centre du récit. Enfin, j'ai réalisé que ça ne pouvait être que de la SF ; j'ai alors pris une grande inspiration et je me suis jetée à l'eau.

  • CONTEXTE :

Planetfall est l'un des meilleurs livres que j'ai lus en 2016. Les lecteurs français peuvent maintenant le lire aussi. Peux-tu leur dire de quoi parle le roman ?

Merci !
Planetfall raconte l'histoire d'une ingénieur 3D prénommée Ren qui vit dans une colonie fondée par sa meilleur amie - que le monde connaît sous le surnom de Pathfinder -, amie qui a guidé les colons jusqu'à cette lointaine planète pour trouver Dieu. L'action commence 20 ans après l’atterrissage et la fondation de la colonie, le jour où un étranger prétendant être le petit-fils (inconnu, NdG) de la Pathfinder (perdue, NdG) surgit de la forêt et demande à rejoindre la petite communauté.
A partir de là, le roman raconte les événements qui entourent l’atterrissage, les secrets de la fondation de la colonie, et la lutte de Ren contre sa maladie mentale.

Dans Planetfall, un groupe de terriens (majoritairement) religieux quitte la Terre pour une très lointaine planète. Peux-tu décrire le monde qu'ils abandonnent ?

La Terre de Planetfall est ma vision de ce que sera le futur assez proche, extrapolé de ce qui est aujourd'hui. La démocratie est effondrée, et gouvernements et corporations ne sont plus qu'une seule entité. Le capitalisme est devenu extrême et omniprésent, et, pour être honnête, ce n'est pas du tout une belle vision de l'avenir. J'explore ce monde dans mon second roman, After Atlas, qui se passe sur Terre, quarante ans après le départ des colons.

Les « pionniers » ont choisi d'embarquer pour un dangereux voyage sans retour, dans une quête dont le but est de trouver « Dieu » en sa « terre promise ». Qui sont donc ces gens ?

Pour faire court, ce sont des gens intelligents, compétents, et talentueux, choisis un par un par l'équipe en charge du projet, Mack et Pathfinder. Leurs traits de personnalité sont aussi entrés en ligne de compte dans leur sélection ; ils doivent être capables de travailler ensemble. La colonie qu'ils créent correspond parfaitement à ma vision d'une utopie.

As-tu pensé au Mayflower quand tu imaginais cette histoire ? Ou au Moineau de Dieu de Mary Doria Russel ? Ou à autre chose encore ?

Non, à aucun. J'ai lu Le Moineau de Dieu pendant que j’attendais les réponses pour Planetfall et il est maintenant dans mon top ten. Mais Planetfall a été construit autour de la maladie mentale de Ren, et à partir du souvenir d'une chose entendue à la radio il y a des années et qui m'était restée en tête depuis : une interview d'un scientifique disant que ses recherches constituait sa tentative de comprendre l’œuvre de Dieu. Ca m'avait vraiment surprise car j'avais toujours considéré que foi et rigueur scientifique s’excluaient mutuellement. Planetfall est peut-être ma tentative pour explorer ce « paradoxe ».

Planetfall implique-t-il que les motivations religieuses sont plus fortes que les scientifiques ?

Je ne l'ai pas écrit dans ce but ; je laisse au lecteur la liberté de décider ce qu'il en pense. Je commente de manière oblique beaucoup de choses dans le livre, mais aucun message central de ce type n'y est consciemment posé.

Arrivés à destination, les colons créent une colonie soutenable et frugale. Penses-tu que c'est ce vers quoi nous devrions aller ici ? Et, si oui, crois-tu que c'est possible ?

J'adorerais que nous vivions de manière aussi soutenable que dans la colonie, et beaucoup des technologies que je décris sont extrapolées d'éléments de biologie synthétique de pointe qui existent déjà. Nous avons déjà la technologie pour construire des maisons bien plus écologiques, mais hélas manque la volonté politique d'en faire une réalité de masse. Je trouve cela terriblement frustrant.

Les lecteurs comprennent vite que la colonie fut fondée sur un crime. On dit parfois que le premier roi fut un guerrier heureux. Dirais-tu que toutes les sociétés s'établissent sur de faibles fondations morales ?

Je n'ai pas la prétention de comprendre toutes les sociétés ! Mais je pense que l'adoption de l'agriculture et la sédentarité qui en a résulté sont à la source de nombre des problèmes que nous avons aujourd'hui. Je pourrais écrire un livre entier sur le sujet, et ce ne serait guère excitant, alors je vais m'en tenir là.

Dans la vie privée aussi, on peut cacher de terribles secrets. Comment, d'après toi, devrions-nous/pourrions-nous équilibrer préservation d'un jardin secret et liens communautaires de type réseaux sociaux ?

J'aimerais le savoir ! Nous voyons aujourd’hui très clairement l'impact des média sociaux sur la vie politique, et je n'ai guère d'espoir sur une résolution du problème, en tout cas pas aussi longtemps que notre attention sera aussi directement monétisée. Les réseaux sociaux veulent que nous les regardions, eux et les publicités qu'ils véhiculent, aussi longtemps que possible, et aussi longtemps qu'ils utiliseront les mêmes algorithmes pour ce faire, je ne vois pas les choses s'améliorer.

  • GENS :

Dans Planetfall, tu traites d'une maladie mentale. Pourquoi ce choix ?

Je pense qu'il serait bien de voir plus de personnages – et plus de protagonistes importants pour être plus précise – souffrant de maladie mentale sans être les méchants de l'histoire. J'ai étudié la psychologie à l'université et je suis fascinée depuis longtemps par les questions de santé mentale. J'ai toujours trouvé la maladie particulière dont souffre Ren particulièrement fascinante et je voulais l'explorer avec la plus grande sensibilité possible.

Ren est une magnifique création. Qui est-elle ? Comment crée-t-on un personnage aussi réaliste ?

Le plus important pour moi avec Ren est que, si elle est malade, elle est aussi excellente dans son job, sans compter qu'elle apporte une contribution positive à la colonie. J'en ai assez de l'image véhiculée par les média sur les malades mentaux forcément dangereux ou incapables de vivre leurs vies.

Quand j'ai écrit Ren, j'ai aussi écrit sur son passé parce que je voulais montrer comment s'était développée la maladie. C'était aussi important que de montrer la puissance de son intellect ou l'étendue de ses talents. Créer un passé qui explique de manière plausible sa déchirure permettait de faire émerger un vrai personnage.

Comment décrire la relation entre Ren et son ami/complice Mack ?

Difficile ! Besoin mutuel, respect mutuel, défiance mutuelle parfois. Elle est complexe, et, je l'espère, attirante.

Planetfall est-il un roman sur la difficulté/nécessité de « lâcher prise » ?

Oui, c'est l'un des thèmes du roman – ou les conséquences de l'incapacité à lâcher prise – mais ce n'est qu'un parmi d'autres. Ca parle aussi de chagrin, de la manière dont les secrets peuvent nous empoisonner jusqu'à nous détruire, de maladie mentale, de foi et de science. Ca parle aussi de technologies vraiment cool !

  • PUBLICATION :

Planetfall est publié en France (Nouveaux Millénaires). Sa très bonne et très différente « suite », After Atlas, le sera-t-elle aussi ?

Je ne sais pas. Je peux seulement l'espérer.

Viendras-tu pour des signatures ou des conventions ?

Aucun plan pour le moment, mais si une convention m'invitait, j'en serais absolument ravie. Ren et Pathfinder étant toutes deux d'anciennes étudiantes de l'Université de Paris, venir en France me rendrait très heureuse !

Merci encore Emma pour ton temps. J'espère que Planetfall sera très bien accueilli, il le mérite.

Merci !

Commentaires

lutin82 a dit…
Très sympa cette interview!!
Merci beaucoup.
Lhisbei a dit…
Scregneugneu
"auteur, narratrice d'audiobook et podcasteuse." Pourquoi ne féminises-tu pas auteur ? (j'ai adopté autrice)

Sinon , je ne lis pas ton itw (parce que je compte lire le livre sans trop en savoir et pas par punition parce que tu ne féminises pas auteur ;))
Gromovar a dit…
L'itw est sans spoil.

Et pour auteure ou autrice, ce sont des mots qui n'existent pas ;)

Du coup, dans ma nouvelle itw (encore une femme tu le noteras), je l'ai désubstantivé, comme ça peut-être ça sera plus facile à lire.
Lhisbei a dit…
Bon. Je te demande indulgence parce que je vais te spammer de liens

https://fr.m.wiktionary.org/wiki/autrice

http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/autrice/

http://information.tv5monde.com/terriennes/auteure-ou-autrice-un-mot-qui-derange-23114

Et comme l'usage fait bouger la langue je milite pour autrice :)

Et je vais donc lire ton itw si sans spoil :)
Gromovar a dit…
Merci pour les liens.
Et va lire l'itw de Briohny Doyle aussi :)
Elessar a dit…
Mais ! J'avais finalement oublié de lire l'interview après le roman ! C'est réparé et c'était super intéressant !
Merci :)
Gromovar a dit…
Merci à toi.