Mirror Bay - Catriona Ward VF

Sortie de Mirror Bay , la version française de l'excellent Looking Glass Sound de Catriona Ward. C'est encore une fois magistral, tortueux, émouvant et rempli de faux-semblants  (il faut en profiter, ce n'est plus le cas dans le décevant Sundial pas encore sorti en VF) . Ne passe pas à côté, lecteur.

After Atlas - Emma Newman - Raclures


Futur pas trop lointain, encore moins que celui de Planetfall. Planète Terre.

Le monde est devenu un enfer encore plus inégalitaire que le nôtre. Le pouvoir y est entre les mains des gov-corps, enfants incestueux du politique et de l'économique concrétisant la fusion des élites dirigeantes au sein d'une oligarchie régnante qui ne prend plus la peine de dissimuler ses intérêts communs. Une « classe pour soi » qui affirme sans vergogne son existence.

Dans ce monde morcelé entre Russie, USA, Norope (joli néologisme désignant l'entité anglo-scandinave), et Europe, existent plusieurs catégories d'humains. Les citoyens ont les quelques droits que leur octroie la gov-corp à laquelle ils appartiennent, les non-personnes – sans affiliation – sont à la merci de tous. Notamment d'organisations qui les moissonnent comme du bétail, les forment au mieux de leurs compétences dans des hot-house (serres), puis les vendent à des gov-corps ou des groupes économiques qui les utilisent comme « esclaves » de labeur (dans les sweatshops du moment) ou contractuels de haut niveau. Dans un cas comme dans l'autre, les indenturés doivent des décennies de service à leur acheteur pour rembourser leur formation et, durant ce temps, tous les aspects de leur vie font l'objet de clauses contractuelles dont le non-respect entraîne une sanction sous la forme d'un allongement du contrat ; on est quelque part entre l'apogée hideux de la notion de capital humain et un esclavage prostitutionnel juridicisé.

Dans ce monde rieur, donc, aux ressources déclinantes, la plupart des humains ne peuvent se payer de la nourriture authentique et doivent avoir recours à l'impression 3D d'ersatz, l'immersion dans les jeux virtuels est le seul grand espace facilement accessible (même s'il n'est pas gratuit), et la connexion au réseau mondial est permanente par le biais de puces cérébrales qui relient l'individu au monde et lui fournissent un Assistant Personnel Autonome qui gère ses interactions avec la réalité.

Carlos Moreno est un détective criminel qui travaille pour le Ministère de la Justice de Norope. Mais il n'en pas salarié. Carlos est un indenturé au contrat de 50 ans, qui en doit encore une bonne trentaine. Le reliquat ne cesse d'ailleurs d'augmenter car Carlos s'octroie de petits plaisirs, notamment gastronomiques, qui se paient en prolongation de contrat. Il doit son sort à une succession de malchances et de mauvais choix. Qu'on en juge. Il y a 40 ans, sa mère est partie sur le vaisseau Atlas, laissant derrière elle Carlos, alors un nourrisson, et son père qui ne s'en remit jamais. Clochardisé, le père de Carlos reprit pied en intégrant une communauté sectaire – le Cercle – fondée par Alejandro Casales. Il s'y installa avec Carlos enfant.
Les membres du Cercle, installé aux USA, ont pour credo de mener une vie simple, sans puce cérébrale, ni imprimante, ni accès au réseau. Ils font même pousser leur propre nourriture. Une vie pastorale qui n'est pas sans rappeler celle des Amish et qui pèsera de plus en plus à Carlos au fil des années, d'autant que son père ne lui sera d'aucun secours émotionnel.
Devenu adolescent, Carlos quittera le Cercle pour découvrir un monde dont il ne sait rien. Enlevé, formé, puis vendu à Norope, Carlos n'a depuis jamais revu ni Alejandro ni son père. Sa seule amie est Dee, qui a partagé ses épreuves et lui a appris à survivre.

Au début du roman, Carlos a 40 ans ; il y a presque 40 ans que l'Atlas est parti. Et le moment approche où doit être ouverte la capsule laissée à la Terre, comme un testament, par l'équipage du vaisseau arche. Le monde entier se passionne pour l’événement, les journalistes voudraient l'opinion de Carlos, lui veut seulement qu'on ne lui parle plus de tout ça. Hélas pour lui, en raison de la connaissance qu'il a du Cercle et de son fonctionnement, il est appelé sur le meurtre politiquement sensible d'Alejandro, retrouvé massacré dans sa chambre d'un hôtel pour ultra privilégiés. On n'échappe pas à son passé, pas Carlos en tout cas.

Avec "After Atlas", Emma Newman livre un roman très différent de Planetfall. Situé intégralement sur Terre, il ne fait intervenir aucun personnage du premier roman. La colonisation spatiale y a laissé la place à un thriller au parfum cyberpunk qui, progressivement, révèle une machination à grande échelle. Le monde est passionnant à visiter, avec sa virtualité omniprésente, ses inégalités criantes, son juridisme, sa surveillance généralisée. Le mode d'enquête aussi est très innovant, Moreno étant essentiellement le chef d'orchestre d’investigations techniques conduites par son APA, Tia, sur le réseau ; reste un peu de forensic mais c'est minoritaire. Parfaitement à l'aise dans ce genre, Newman sacrifie même de manière amusante à l'une de ses conventions en incarnant virtuellement le sidekick Tia pour partager des réflexions sur l'affaire avec Carlos. Et le tout progresse, s'éclaire peu à peu, même si, ici comme dans Planetfall, il faudra attendre les dernières pages pour avoir une vision d'ensemble de ce qui se jouait. C'est très bien fait.

Avec Carlos Moreno, Newman crée de nouveau un personnage captivant. Carlos est un homme que son passé a forgé à la dure, et dont le présent est contraint au-delà de l'imaginable. Tiraillé entre les souvenirs et les affects de son enfance, les changements qu'amène le présent, les contraintes d'un statut proprement inhumain, il doit parvenir à faire ce qu'on attend de lui et tenter de se ménager de minuscules marges de liberté au risque permanent de dégrader sa déjà peu enviable situation.

Parfaitement écrit et construit, faisant une bonne place à l'enquête, le roman est un peu moins fort que Planetfall – ce qui prouve que rien n'égale jamais la première fois – mais le niveau avait été placé si haut que même un peu moins est encore vraiment beaucoup. Plus en tout cas que dans bien des romans lus cette année.
Et quelle fin !!!

After Atlas, Emma Newman

Commentaires

Lorhkan a dit…
Rien à voir avec Planetfall (suite, préquelle...) ?
Tu te fais l'intégrale de Emma Newman ?
Gromovar a dit…
Parallèle.

Et oui, pour la partie SF. Et c'est vraiment bon. Et Planetfall sort en français sous peu.
Lorhkan a dit…
Yep, tu m'as appris ça, good news. ;)
Lhisbei a dit…
Raclures. Je plussoie de 42 au carré.
Gromovar a dit…
Dit. Et bien dit :)
chéradénine a dit…
Je reviens vers ce blog qui m'a donné envie de lire cette autrice ! Emma Newman a montré qu'elle maitrisait d'autres facettes de la SF: les enquêtes policières à la lecture me semblent en général un peu fastidieuses dans leurs procédures, mais la relative brièveté du roman est à nouveau employée à bon escient. Je craignais d'être affecté par des éléments plus ou moins crédibles, comme le statut de travailleur esclave du héros et sa formation-prison: est-ce tenable, viable, etc ? C'est suffisamment bien fait pour ne pas trop laisser ma suspension d'incrédulité sur la touche, et Newman en tire de bonnes situations dramatiques, en serrant les vis comme il faut dans le dernier acte. L'intrigue liée à la secte et à Moreno est bien gérée, évitant le détour vers certaines lourdeurs, et la fin est cette fois limpide, pas très forte à mon sens à cause des ellipses qui nous éloignent du suspense immédiat de l'intrigue, mais justifiée par le reste du récit. Emma Newman joue sur ses qualités, la psychologie de ses persos, mais le world-building est solide et crédible. Seules des considérations technologiques semblent très floues, comme dans Planetfall d'ailleurs, mais ce flou participe d'un certain charme: je parle du mystère lié à la capsule temporelle et le projet qu'il sous-tend. Je lirai sans aucun doute Before Mars s'il sort chez nous !
Gromovar a dit…
Content que tu ais aimé. Très bientôt une chro de Before Mars.