Saint Sinwin, une ville portuaire au sud du monde de Sourdough. Violet Zennor y vit. Elle a vingt ans et vient juste de perdre son père qui l'avait forgée, sa jeunesse durant, pour être une arme lancée dans une quête périlleuse dont elle n'a jamais voulu. Libérée du joug et de l'obsession paternelle, Violet espère pouvoir enfin faire ses propre choix et mener sa vie comme elle l'entend. Hélas, le monde va bien vite se rappeler à elle.
The Crimson Road est le nouveau roman d'Angela Slatter, encore une fois situé dans l'univers conte/fantasy/dark de Sourdough, un univers qui, de livre en livre et de romans en recueils, prend une existence de plus en plus solide (comme l’œuvre de Christophe Siébert, dans un genre absolument différent). Les récits s'y répondent les uns aux autres et les personnages y passent d'une histoire à l'autre, au moins sous forme de chroniques, de souvenirs ou de prophéties. C'est cohérent, solide, brillant. Et, pour le lecteur exhaustif, c'est un grand plaisir supplémentaire de retrouver non seulement le style apprécié de Slatter, mais aussi des références qui lui donnent le sentiment de visiter, livre après livre, un monde réel dont il connaît de mieux en mieux l'histoire, la géographie, les mystères. Car, ouvrage après ouvrage, se dévoilent les parties de la carte qui étaient encore obscures, sont visitées les villes dont on n'avait jusque-là que le nom, et entrent en scène les personnages importants dont on avait jusque-là seulement connaissance.
Revenons à Violet. Son père vient de mourir. Il l'avait formée très durement, dès ses sept ans, au combat, à l'infiltration, à la dissimulation. Comme un outil et pas comme une enfant. Pourquoi ?
Fille d'une mère morte en couche, sœur d'un frère mort-né, Violet est aussi la fille d'un homme qui, détruit par la perte de sa femme, commit une erreur irréparable (quoique...) en vendant le minuscule cadavre de son fils à un émissaire des Leech (vampires) qui lui versa en échange une très grosse somme d'argent, faisant par là-même la fortune de cette famille d'extraction modeste.
Il faut dire, et je ne spoilerai pas plus, que la mère de Violet, originaire de ces Darklands situés tout au nord du monde et gouvernés par des vampires depuis plusieurs siècles, était donc d'une certaine façon liée à ces terres inquiétantes et à leur détestable engeance.
Mais pourquoi un vampire de l'autre bout du monde voulait-il le cadavre d'un bébé ? Tu l'auras compris, lecteur, pour en faire quelque chose de peu amène. C'est dans la compréhension tardive de son erreur et dans la volonté d'en empêcher les conséquences funestes que l’entraînement auquel le père de Violet la soumet trouve son explication.
The Crimson Road ressemble aux autres romans de la série Sourdough en ceci qu'il met en scène une jeune femme forte qui se bat contre le destin que d'autres ont tracé pour elle. La jeunesse de Violet lui a été volée sans que lui soit donnée grande justification pour cela, et son père prétend, par delà sa propre mort, dicter encore la suite de sa vie. Si Violet ne peut accepter le diktat d'un défunt, elle comprendra peu à peu que son devoir, non face à son père mais face au monde entier, est néanmoins de partir en quête, au prix de sa tranquillité et sans doute au péril de sa vie, « It seems like a worthwhile existence, that everything you do feeds back into your living, your community, the benefit of people you care about » (Cf. Starship Troopers). Violet vivra donc grands périls et grandes aventures, rencontrera maints personnages aimables ou surprenants, ira jusqu'au bout du monde pour remplir une mission plus grande qu'elle.
The Crimson Road est un roman qui se dévore. Drôle, speed, dynamique, violent et sombre, les personnages y sont bien développés, le rythme y est soutenu, les flashbacks y arrivent à point nommé, le background y est très convaincant (et pour cause avec un worldbuilding sur plusieurs livres). Et quel émerveillement de voir s'animer entre les pages tout un monde de contes de fées noirs qui rend autant hommage aux histoires de l'enfance qu'il les améliore en les modernisant (ce qui est rarement le cas) !
Slatter s'y donne l'occasion – à travers un vrai récit épique jamais verbeux – de parler non seulement de la cause des femmes comme elle le fait dans chacun de ses textes, mais aussi ici des violences intrafamiliales, réelles ou symboliques, dont les plus simples mais les plus courantes, y compris dans notre monde, sont ces rêves ou objectifs que les parents assignent aux enfants sans jamais leur demander s'ils leur conviennent, puis qu'ils les poussent à atteindre quel qu'en soit le prix pour les concernés (lire Choisir son école, d'Agnès Van Zanten, pour une version soft du nudge parental) ; on pourrait parler aussi du poids que les parents font peser sur les aînés de la fratrie, « I think about how parents make older siblings look after younger, and what a burden they are to us ».
Elle crée une héroïne passionnante dont elle décrit la force et l'indépendance d'esprit de façon fort humoristique, « As if, with liberty in sight I would chain myself to a husband, something the removal of which tends to require poisoned cakes or greased steps ».
Elle affirme la capacité absolue à ne pas reproduire les traumatismes familiaux et celle, plus importante encore, à prendre ses responsabilités, si pénibles soient-elles – dans le roman, Violet n'est pas la seule qui les prendra en acceptant d'en payer le prix « One does what one must ».
Et elle fait tout ça avec grâce, élégance et humour.
Ce roman d'Angela Slatter est, encore une fois, un vrai plaisir de lecture.
Douée, drôle, captivante et féministe (ce qui est grave bankable), je ne comprends pas que Slatter ne soit pas traduite en long en large et en travers par une éditeur français. Je lance un appel !
The Crimson Road, Angela Slatter
Les lecteurs assidus du blog noteront qu'il y a évidemment des liens forts entre ce roman et la nouvelle The Night Stair.
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