Sang barbare - El Torres - Bocardo - Martinez


Jungle picte, non loin de la Rivière noire. Après des années d'un calme imposé par le roi Conan, la zone est de nouveau agitée de troubles : les villages bossoniens qui s'y trouvent sont attaqués, leurs habitants tués. Contre l'avis du général Pallantides, chef des armées de son père, le jeune Conan, fils du roi Conan et prince d'Aquilonie, se lance avec une troupe à la poursuite des maraudeurs pictes, alors même que son père, ailleurs, conduit d'autres soldats dans une autre bataille.

A l'issue d'une escarmouche, le jeune prince capture une femme que les Pictes transportaient comme prisonnière : une voyante kushite, conteuse dont les récits disent tant le passé que l'avenir. Elle prédit que le prince lui tranchera la gorge pour qu'elle ne rejoigne pas la prêtresse qui conduit les Pictes sur le sentier de la révolte. Voire !


S'il est aussi fort et bon combattant que son père, le prince Conan (vaguement évoqué par RE Howard dans ses textes) est très différent de lui. Fils du vieux lion et de la reine Zenobia, le prince est aussi sinistre que Caton l'Ancien quand son père est (était?) l'incarnation de la vitalité barbare ; le prince est un homme de la civilisation (des mœurs) en ce qu'elle est répression des instincts. Mais, civilisé, il est intelligent, cultivé, et assez féru d'histoire pour connaître les anciens combats et tirer partie de cette connaissance. Le prince, fils de deux parents qui l'ont élevé à égalité, a tiré le meilleur de deux mondes et de deux éducations. Il est barbare et civilisé à la fois. Et foin de son ethos puritain !

Le vieux roi Conan, lui, a de plus en plus de mal à porter le poids d'une couronne qu'il a pourtant voulu poser lui-même sur sa tête. Zenobia est morte, le prince est adulte, le royaume prospère, et le palais est devenu une prison pour lui. Il songe fortement à tout abandonner pour repartir en Cimmérie, y chercher l'aventure et peut-être la mort. Les temps changent et Conan la légende se sent devenir un vestige ; ce dont il ne veut pas.


Sang barbare de El Torres, Joe Bocardo et Manoli Martinez, est un album one-shot de grande qualité. El Torres l'explique dans sa postface, l'album est le résultat de décennies d’admiration, maturées par des choix stylistiques ou narratifs qui ne sont que les siens, ceux d'un expert en l’occurrence.

Début en voix-off, comme dans le film de Milius certes, mais El Torres et ses compères trouvent vite leur propre style, d'abord sur le plan visuel avec un Conan vieillissant et un prince fin et athlétique, loin de la montagne de muscle immortalisée par Arnold Schwarzenegger.

Au fil d'une histoire tendue et sans faille, El Torres raconte la vieillesse d'un Conan qui ploie sous le poids de responsabilités dont il n'a jamais vraiment voulu, quand son fils, lui, fait déjà siennes les charges de la royauté qui lui échoira un jour. Il en profite pour revisiter les classiques du personnage d'Howard, de ses incursions pictes aux femmes qu'il a aimées et jamais oubliées, des nombreux royaumes qu'il a visités aux grands prêtres maléfiques qu'il a affrontés, au fil d'un inventaire joliment réalisé qui sent l'hommage sincère et ne fait pas name dropping.

Sang barbare est aussi l'occasion de rappeler que la civilisation ne s'installe qu'au prix de la destruction de la « barbarie » qui la précédait, qu'il s'agit de deux systèmes concurrents plutôt que de deux systèmes hiérarchisés, et que, lorsque la civilisation domine, elle n'est jamais qu'à cinq repas sautés de la barbarie selon un apocryphe de Winston Churchill.


Sur le plan graphique, Joe Bocardo et Manoli Martinez livrent une œuvre brute comme il y a un art brut. Tranchant, incisif, le style des deux hommes instillent une atmosphère clairement barbare, pré-civilisée, à l'opposé exact d'une esthétique baroque par exemple. C'est un âge dur qu'ils décrivent, habité par des hommes durs qui, peut-être, deviendront plus raffinés avec le temps.

Là aussi, on sent ça et là l'influence de décennies de pratique du personnage, dans des références visuelles trop explicites pour être involontaires. Un Conan fatigué sur un monceau de cadavres qui rappelle Frazetta. Un fils et son père dans les montagnes qui évoque la scène introductive du film de Milius, jusqu'aux traits du visage du jeune Conan. Mais c'est aussi et surtout un festival de scènes grand format très dynamiques qui ne doivent qu'au talent de leurs auteurs, ou qui, pour une, rappelle l'iconique Leonidas de 300.


C'est beau, brut, puissant, de la pure heroic fantasy, parfaitement dans l'ambiance de cet âge situé entre l'époque où les océans ont englouti l'Atlantide et l'avènement des fils d'Arius. Et, après La Sonde et la Taille, c'est le deuxième Conan vieillissant réussi qu'on côtoie en peu de temps.


Sang barbare, El Torres, Joe Bocardo et Manoli Martinez

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