L'arbre vient - Munir Hachemi


Munir Hachemi est un auteur espagnol qui arrive aujourd'hui en France avec son roman L'arbre vient publié chez Christian Bourgois. Salto en dit qu'il « déracine les conventions littéraires ». Phrase creuse idéal-typique ou saillie drolatique. Quant à Christian Bourgois, il parle d'une littérature nécessaire. Diable ! Aussi nécessaire que respirer, manger ou boire ?
Qu'en est-il réellement ?

Futur indéterminé, sur un monde qui l'est tout autant.
Les Mulaï sont un peuple à l'effectif faible qui vit chichement sur un monde qui n'est pas le sien. Descendants de l'expédition Futur, qui a un jour quitté la Terre pour une autre planète, leurs ancêtres y ont été oubliés avant qu'eux-mêmes ne soient redécouverts à l'occasion d'une communication radio inattendue.
Sur le monde des Mulaï, on vit dans un cercle d'une centaine de kilomètres, protégé des froids polaires extérieurs par, sans doute, un système imparfait de contrôle climatique – à l'intérieur du cercle, quatre saisons, certaines dangereuses, se succèdent à des rythmes irréguliers.
Au centre du cercle se trouve le dôme dans lequel vivent les Mulaï. A l'extérieur il y a, loin, des domelets, un « temple », un lieu de reproduction, des brabats (sortes d'ermites en rupture de société), des couleuvres et des scorpions. A l'extérieur aussi (mais pas que) des loups, qui ne sont pas du tout des animaux.


L'arbre vient est constitué de fragments. Le journal de l'archéologue (on devrait plutôt dire ethnologue) qui est allé à leur rencontre en forme la plus grande part, à côté de ses notes plus universitaires. On y trouve aussi deux fils principaux, passé et présent qui encadrent son témoignage.

La société des Mulaï a connu au moins deux ruptures avec les cultures terriennes dont elle est issue. Le Codex libertaire, rédigé peu après l'arrivée de l'expédition Futur, a montré la voie d'une première tentative de création d'une nouvelle forme de société dégagée des hiérarchies traditionnelles. Puis, rapidement, les préconisations du Codex elles-mêmes ont été largement transformées sous l'effet de l'impermanence de la culture Mulaï.

Car la société Mulaï est de ces sociétés sans histoire que Claude Lefort décrivait. Des sociétés qui peuvent paraître figées mais se transforment sans cesse. Ici, c'est la langue qui est le vecteur principal de l'impermanence. Elle est nouvelle au point d'être parfois très éloignée des langues terriennes d'où elle tire son origine, elle change sans cesse comme dans la poésie, mais surtout elle permet tous les récits en pouvant se lire à partir de n'importe quel angle ou point de départ et s'écrire même à l'aide d'ajouts mineurs qui, vu d'ici, paraîtraient fragmentaires et dépourvus de sens.
C'est une société sans Etat aussi, de celles dont Pierre Clastres montra que tout y était fait pour empêcher l’apparition de toute chefferie et a fortiori de tout Etat. Si la langue y véhicule des histoires, si des nouveautés s'agrègent régulièrement à celles-ci, elles ne sont jamais prises au sérieux, jamais suffisamment en tout pour engendrer mythe, légitimité et, in fine, pouvoir.

Sans pouvoir institué, les choses se font, dirait-on, naturellement.
Chez les Mulaï on travaille quand on le souhaite et seulement pour produire ce qui permet de reproduire la société (Marx appelle cet état la reproduction simple). La propriété n'y existe pas. On produit ce qui est nécessaire et on utilise librement ce qui est disponible.
On agit quand et comme on le souhaite, sans différenciation des positions sociales (au point que l'insignifiance est valorisée), avec peu de normes et aucune instance spécialisée de contrôle social.

Pour autant il y a quelques règles dans la société Mulaï, construites au fil du temps.
Elles visent à protéger la vie, à assurer la préservation, à réguler la reproduction qui doit se faire uniquement par le module de reproduction et jamais de manière sexuée.
On y pratique la sexualité libre à condition qu'elle soit consentie. Un seul tabou : la pénétration vaginale qui amène le risque de la reproduction naturelle ; tout le reste est open et sans pudeur publique.
On y vit souvent en trouples. La solitude, pas condamnée car rien ne l'est, n'est pas la meilleure option dans une société Mulaï qui place le collectif au cœur de l'organisation sociale.
Ah, et puis il y un genre de dieu, Dog, dont le statut est incertain et changeant et les exigences modestes. Et on est habité par la certitude que « l'arbre vient ».


L'édition contemporaine nous sert aujourd'hui du Le Guin à toutes les sauces. Souvent à tort. Ici, dans L'arbre vient, la référence est parfaitement justifiée. Peu d'enjeu ici. Peu d'aventure. C'est à la découverte du peuple Mulaï que nous entraîne Munir Hachemi, sur un rythme lent qui croise observations externes et biographies internes. Après deux premières pages surprenantes les feuillets s’enchaînent avec limpidité, ils emmènent le lecteur de plus en plus loin dans sa connaissance d'un ailleurs social inédit mais pas impossible. L'arbre vient est un beau moment de SF ethnologique. A lire.

L'arbre vient, Munir Hachemi

Commentaires

Anonyme a dit…
J'ai adoré cette lecture ! Je ne m'attendais pas à une certaine révélation sur Faida, je n'ai vraiment rien vu venir et cela a été d'autant plus appréciable qu'elle fait particulièrement sens vis à vis de la personnalité de Faida.

Un élément m'a laissé sur ma faim : le système d'écriture mulai. J'aurais aimé en savoir un peu plus à son propos, notamment car la forme des glyphes m'avait laissé penser que c'était une langue basée sur l'architecture ou la géographie (j'avais l'impression de voir un plan de yourte ou de module de survie vu du dessus), maiiis, rien n'est venu étayer cette théorie.
Gromovar a dit…
D'accord. J'aurais aussi aimé que l'écriture soit plus développée (surtout qu'après L'histoire de ta vie de Ted Chiang on sait qu'il y a de quoi faire).
Anonyme a dit…
Et voilà, bravo, tu m'as donné envie de le relire et de regarder (encore !) The Arrival. x)
Gromovar a dit…
Toutes mes confuses ;)