2019, quatre adultes qui furent jeunes et le sont moins maintenant sont invités à une commémoration dans leur ancien lycée de Clegg, une petite ville du Texas. Les vies actuelles des quatre anciens élèves, qui ne se sont pas revus depuis des années (et auquel s'ajoutera un cinquième protagoniste involontaire, Owen, encore adolescent), illustrent, hélas pour eux, diverses formes de l'échec professionnel, sentimental et social.
On comprend vite qu'une partie de l'explication à ces vies insatisfaisantes se trouve dans des événements tragiques survenus à la fin des années 90 alors que les « héros » (ce n'est pas le mot juste) du roman était encore scolarisés au lycée de Clegg. Et que de vieilles histoires sont encore à régler.
La Dissonance est le second roman de Shaun Hamill qui avait offert au lectorat le très réussi Une Cosmologie de monstres. C'est une friandise pour nostalgiques de bike stories des 80's (même si ici, âge aidant, c'est en voiture qu'on se déplace), très agréable à lire pour peu qu'on arrive à faire preuve d'une importante suspension d'incrédulité.
Deux fils : Présent et passé, le passé expliquant le présent dans lequel les dettes non soldées du passé vont devoir l'être ; La Dissonance est le Ça de Shaun Hamill. Rentrons dans le détail.
Quatre personnages, quatre amis d'enfance, à la vie à la mort, qui sont chacun pour les trois autres ce qui s’apparente le plus à une fratrie.
Hal est le fils d'une mère seule qui ne s'occupe pas vraiment de lui, perd tous ses boulots, ne lui assure aucune sécurité émotionnelle ou matérielle. Ils vivent dans un appartement très modeste des HLM de Clegg.
Erin vit dans un trailer park au milieu de parents qui se détestent, s'engueulent et s'insultent. Une pauvreté bruyante et malheureuse.
Athena est une fille de la classe moyenne, la plus standard des quatre, à ceci près qu'elle est l'une des rares noires dans une petite ville du Texas où, si elle ne souffre pas du racisme, elle et ses parents sont définitivement une incongruité.
Peter est le seul membre aisé du petit groupe. Il vit dans une grande maison à l'écart de la ville, près d'un bois. Il y cohabite avec son grand-père qui l'a recueilli après la mort de ses parents (c'est sa particularité à lui).
C'est lors d'une expérience magique ratée (ou trop réussie) que les quatre de Clegg découvrent, un jour de 2016, l'existence d'une réalité magique à côté de celle plus prosaïque que toi et moi, lecteur, connaissons.
Les quatre de Clegg découvrent donc la dissonance, l'écart entre ce qui est et ce qui devrait être. Un écart qui se révèle source de possibilités magiques innombrables, pour peu qu'on parvienne à les maîtriser au terme du long apprentissage des techniques incantatoires développées au fil des siècles par d'intrépides chercheurs.
Les quatre de Clegg, parce qu'ils sont cabossés par des vies qui ne sont pas ce qu'elles seraient si le monde était bien fait, sont aptes à sentir puis à maîtriser la dissonance. Ils se lancent donc dans un apprentissage long et périlleux (comme dans quantité d'autres romans sur la formation magique) nourri par le carburant de leurs traumas respectifs, avec des conséquences qui, un jour, se révéleront désastreuses.
Je parlais au dessus de grande suspension d'incrédulité car l’entrée en magie des quatre est, disons, excessivement facile. Comme des Sorcerer de ADD5, magiciens instinctifs, ils réussissent une incantation dès leur premier contact avec celle-ci, même s'ils devront ensuite apprendre et travailler sur des grimoires comme des Wizards du même jeu (Sorcerer/Wizard, mes poils de rôliste se hérissent de cette étrangeté). Clairement, de la phase "bons potes en soirée pyjama" à la phase "jeteurs de sorts efficaces" le nombre de pages est éminemment trop court (là ce sont peut-être mes décennies de wizardry qui parlent).
Et, passée cette entrée en magie, les très grands pouvoirs d'Athena ou encore les invocations de Hal (qui, tel un clerc de ADD5, peut faire apparaître une arme magique à volonté) semblent toujours trop forts pour trop peu d'efforts. Passons !
Grande suspension d'incrédulité encore en ce qui concerne l'expression orale des diverses créatures magiques qui semble toujours trop casual, trop humaine, familière au point d'être dérangeante. Ça aussi pose problème. Mais passons encore une fois !
Enfin, cerise sur le gâteau, il y a une scène dans laquelle un tulpa (lâchons le mot) obtient une âme d'une façon si étrange et nawak que je ne saurais même pas la commenter...
Et pourtant, en dépit de ces énormes bugs de plausibilité (et oui, même le fantastique doit être plausible sinon c'est juste un joyeux bordel) qui constituent un agaçant défaut imho, La Dissonance est un roman qui fonctionne à la lecture.
D'une part car les personnages qu'a créé Hamill sont attachants et développés, de sorte qu'on s'inquiète de leur destin et qu'on espère pour eux un très incertain meilleur. Hal, Athena, Erin et Peter deviennent pour le lecteur des compagnons d'aventure dont les points de vue alternants l'entraînent dans chacune de leurs dissonantes visions du monde.
D'autre part car l'alternance des fils engendre inévitablement une volonté de savoir, de comprendre, de lire pour relier les moments, démêler les faits et en extraire la vérité. Classique mais toujours efficace.
Ensuite car Hamill réussit à rendre à merveille les tourments et incertitudes adolescents, les doutes personnels et relationnels, les changements d'humeur, l'exacerbation des sentiments, les réactions trop rapides sur lesquelles on ne revient pas. Livrant un ouvrage sur l'amitié et surtout sur l'amitié jeune, c'est dans la description du chaos des sentiments adolescents qu'Hamill brille. A fortiori quand se mettent de la partie les attirances sentimentales et sexuelles entre jeunes qui se sont toujours connus, qui ont toujours été amis, et qui découvrent douloureusement qu'il est difficile de passer de l'amicitia à l'amor voire au cupido.
Enfin, il faut bien admettre que l'auteur a su créer un vrai tough bastard, des aventures inquiétantes, et des effets spectaculaires, le tout constituant un roller coaster frénétique dans lequel le lecteur grimpe avec jubilation.
Le récit se termine sur une note un peu triste, aussi triste que l'ont toujours été les vies des quatre de Clegg, mais avec une lueur d'espoir néanmoins qui laisse penser que, peut-être, qui sait, les choses pourraient s'arranger et qu'un peu de bonheur pourrait entrer dans les vies des héros malheureux de La Dissonance. On le leur souhaite.
La Dissonance, Shaun Hamill
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