Voile vers Byzance - Robert Silverberg


Cinquantième siècle. La Terre n'est plus peuplée que de quelques millions de citoyens. Immortels dans un âge de post-rareté, ils vivent une éternité de loisirs dans cinq cités reconstituées : Xi’an, Asgard, New Chicago, Tombouctou et Alexandrie.

Xi’an, New Chicago, Tombouctou et Alexandrie sont des cités disparues, comme tout ce qui a précédé le cinquantième siècle. Asgard, elle, est une cité imaginaire, « reconstituée » pourtant comme si elle avait vraiment existé.

Pour que chacune des villes soit plus qu’un grandiose décor inerte, des millions de « temporaires » les peuplent : des PNJ qui interagissent pour insuffler de la vie aux lieux et, accessoirement, servir les citoyens de passage avant qu’ils ne voguent vers une autre des cinq cités.

Il n'y a jamais plus de cinq villes sur Terre. Elles sont régulièrement démantelées par des robots autonomes qui construisent ensuite leurs remplaçantes ; Asgard doit être prochainement détruite afin que Mohenjo-Daro puisse prendre sa place, Tombouctou suivra, remplacée, dit-on, par Byzance.


A Alexandrie, Charles Phillips vit une belle histoire d'amour avec Gioia.

Gioia est une citoyenne, petite, souple, svelte, mate, comme tous ses concitoyens dont elle partage le morphotype commun. Charles Phillips, lui, ne leur ressemble pas. C'est un homme de 1984, arrivé dans ce monde depuis déjà un certain temps, sans savoir comment. Il aimerait voir Byzance – ou du moins la Byzance réinterprétée de ce temps, car, il faut le savoir, par erreur ou volonté d'éclectisme, les autochtones n'hésitent pas à mélanger les époques dans leurs recréations, voire à y ajouter des créatures mythiques telles que des sphinx à Alexandrie, ce qui les rend encore plus exotiques. Mais une éternité de félicité est-elle possible ? Ou y a-t-il un ver au paradis ?


Voile vers Byzance est la VF, traduite par Pierre-Paul Durastanti, de Sailing to Byzantium, une novella écrite par Robert « Big Bob » Silverberg en 1984. Elle fut récompensée par le Nebula et deux nominations aux Locus et Hugo ; Don Wollheim la qualifia de « futur classique » pour le plus grand plaisir de Silverberg.

S'inspirant pour son titre et quelques vers du poème de Yeats Sailing to Byzantium, elle en reprend des thèmes dans une approche science-fictive. Le poème de Yeats évoquait les difficultés de faire face à l'âge alors que l'esprit est encore clair, et les moyens d'échapper à un corps qui n'est plus qu'un animal mourant en atteignant l'immortalité ou le paradis ; c'est le cas ici aussi, tant pour un personnage que pour l'humanité entière.

Il est aussi question dans le texte d'identité et de réalité. Phillips décrit cette époque lointaine comme « du pur Schopenhauer : le monde comme volonté et comme représentation ». Il ne se trompe pas. Le monde du cinquantième siècle est créé puis recréé de toutes pièces selon la volonté de ses organisateurs et la réalité des lieux et des identités y doit plus aux représentations qu'on s'en fait qu'à une quelconque essence. Les villes reconstituées sont-elles plus ou moins vraies que les originales ? La question n'a, de fait, pas de sens ; et c'est tout aussi vrai pour ce qui est de l'identité de Charles Phillips ou des différents citoyens dans leur diversité.


Par-delà les questions d'ordre philosophique (et la culture générale dont encore une fois un auteur de cette époque fait montre), la qualité du texte vient de la jolie histoire d'amour qu'il raconte et surtout du pur sense of wonder qu'il inspire. Comme le Lovecraft du Cycle des Rêves ou le Flaubert de Salammbô, Silverberg emporte son lecteur dans un monde imaginaire époustouflant. A coup de longues descriptions et d'une accumulation de détails, il crée un univers littéralement magique que le lecteur arpentera dans les pas des personnages. Cités perdues ou cités imaginaires, merveilles architecturales ou personnages illustres, parchemins antiques ou marchés caravaniers, c'est à un voyage merveilleux que le lecteur est convié par la plume de Silverberg. C'est pour cela qu'on lit de l'Imaginaire. Pour cela aussi qu'on joue aux jeux de rôles. Pour cette occasion rare de subir une hallucination contrôlée qui emmène loin si loin, vers de bien beaux rivages.

Promesse tenue pour Voile vers Byzance. Qu'on lira en chantonnant avec Freddie Mercury : Who wants to live forever ?


Voile vers Byzance, Robert Silverberg

L'avis de Feyd Rautha

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