Sous la Brume - Yann Bécu

Sous la Brume est le nouveau roman de Yann Bécu. Sans être rédhibitoire il est moins convaincant que ses deux précédents. Dommage. Je ne peux en dire plus car ma chronique sera dans le Bifrost n° 120, et elle ne reviendra ici qu’un an après la sortie de la revue (c’est à dire, pfff…). Je peux au moins donner le résumé de la couv’ car celui-ci est disponible partout : Imaginez une technologie capable de repêcher des sons dans les Objets du passé... Le papyrus Jarf recracherait des pistes audio millénaires : entre Tourah et Gizeh, on entendrait les voix des Égyptiens chargés d’alimenter en pierres la future pyramide de Khéops... Les céramiques mycéniennes nous ouvriraient les portes dérobées de la Grèce antique... Des pans entiers de l’histoire romaine jailliraient des innombrables poteries samiennes... Quel latin ont parlé les Romains du Ier siècle avant notre ère ? Qu’a chanté le petit peuple au sujet d’Antoine et Cléopâtre ? Qu’ont murmuré les potiers de P...

Festin de Larmes - Caussarieu - Tassy


Festin de Larmes est un roman écrit à quatre mains par Morgane Caussarieu et Vincent Tassy, publié chez ActuSF.


Caussarieu est connue du monde vampirique tant pour sa brillante duologie Dans les veines (le seul vrai, non édulcoré)/Je suis ton ombre (Prix Planète-SF 2015) que pour son pastiche Entretien Choc avec un vampire, déjà écrit en collaboration avec Vincent Tassy. Ce dernier est l'un de ces français qui rodent sans cesse autour de la figure du vrolok. On le lit récemment avec la nouvelle Je suis venue vous dire que je suis morte, publiée dans le recueil Les Nouveaux Déviants.

Caussarieu et Tassy unissent donc encore une fois leurs imaginations pour créer Tristan (peut-être), un nouveau prédateur qui vient se nourrir nuitamment de la vie des victimes qu'il choisit. Ils nous le donnent à voir dans ce roman intitulé Festin de Larmes.


On y découvre le malheur qui s'abat en 1856 sur une famille de la Nouvelle-Orléans. On y voit avec horreur la progression d'une emprise qui ne peut se conclure que dans la mort. On y est témoin de la progression d'un mal qui, parce qu'il est mal perçu ou négligé, peut s'étendre sans être vaincu ni même ralenti.

Suis-moi, lecteur, pour une brève visite dans les rues moites de la Nouvelle-Orléans, dans ses cimetières, dans les salons de sa bourgeoisie locale. Viens singulièrement dans la propriété de la famille Clare, récemment touchée par un malheur prosaïque (une fille morte des fièvres) qui n'est que le point de départ d'un cataclysme annoncé.


Cette chronique sera inhabituelle.


D'abord car je vais parler de l'objet-livre (eurk!), ce que je ne fais à peu près jamais car c'est le texte qui importe, pas son véhicule ni son auteur.

Ici c'est indispensable tant le livre est beau. Couverture rigide noire, tranches noires adornées de feuilles et de papillons blancs, marque-page intégré. Et à l'intérieur les illustrations de Morgane Caussarieu (autrice et tatoueuse), qui a aussi réalisé celles de la couverture et de la tranche. L'ensemble est magnifique, à conserver, à protéger. Je l'ai déplacé, pour une signature, sous deux couches de papier-bulle o_O


Ensuite car je dois faire un peu court, voici pourquoi. Tout ce que je pourrais te dire en terme de critique, lecteur, est déjà écrit par Adrien Party (autre vampirologue confirmé) dans sa très bonne postface. Je ne voudrais pas le plagier, même involontairement. Alors, de façon explicite, j'écris ici que je suis d'accord avec tout ce qu’il a écrit à la fin de l'ouvrage même :

  • oui, le pastiche est réussi,
  • oui, il est original car il « remplace » le vol de sang par un vol d'émotions, évitant ainsi la métaphorisation du sexe
  • oui, on sent à la lecture l'influence de Polidori,
  • oui, c'est épistolaire (mais épistolaire bizarre) comme Dracula entre autres
  • oui, on pense évidemment à Anne Rice et à sa superbe trilogie vampirique : Nouvelle-Orléans, relation émotionnellement ambiguë, culpabilité – j'y ajouterais que le personnage de Davril peut rappeler celui de Claudia dans le roman de Rice
  • oui, on pense aussi à Anne Rice quand la paraphilie du personnage principal croise ce que Rice décrit du sort ultime des vampires devenus trop anciens
  • oui, on pense au Portrait de Dorian Gray avec son Lord Henry (Hesselius ici, Wotton chez Wilde) qui dessille les yeux d'un jeune et beau naïf
  • oui, il y a une sensualité crue qui est celle de notre époque, de Poppy Brite notamment, qu'on ne trouve pas dans les textes fondateurs écrits il y a bientôt deux siècles
  • oui, on y spirite comme on le faisait au XIXè (Marie Laveau est un personnage important du récit et donne très envie d'un roman écrit par Caussarieu qui en ferait son personnage principal)
  • oui, il y a même madame Lalaurie (ça c'est pour le fun, en mode Holmes de Chicago)


J'ajouterai trois choses que je n'ai pas vues dans la postface.

  • D'abord une référence à La Chute de la Maison Usher dans l'amour irraisonnable qu'Aubrey Clare, le héros malheureux du roman, porte à sa jumelle morte.
  • Ensuite, l’approche romantique du texte, avec notamment l’importance de l’art et surtout de la musique qui véhicule les sentiments les plus forts au point de suffire parfois à nourrir le vampire, lui évitant alors d'avoir à voler ceux de ses victimes. Lisant Clare, je croyais voir le Chopin tuberculeux.
  • Enfin, le déni collectif qui permet au vampire de sévir peut résonner étrangement avec les récentes affaires de viols pédophiles et avec le déni qui les a longtemps entourées aussi.


Festin de Larmes qui, forme oblige, se lit comme on parcourt un grimoire, est un roman plaisant à lire qui déploie lentement son intrigue et baigne le lecteur dans l'atmosphère vaporeuse et onirique que le vampire impose à ses victimes lorsqu'il les place progressivement dans l'état second qui est celui de la dépendance sous emprise.

Si on doit lui faire un reproche, on dira qu'il aurait pu/du être plus choquant et plus intense. En 2025, pour horrifier et choquer (comme le faisaient les textes du XIXè en leur temps) il en faut, et je trouve qu'ici l'arme est un peu restée aux pieds.


Festin de Larmes, Caussarieu, Tassy

Commentaires

Anonyme a dit…
Chouette critique pour des auteurs tout aussi chouettes ! Le livre attend sur ma PAL (je termine La guilde des queues de chats morts) et tu me convaincs de m'y mettre dès que possible.

Par hasard, tu ne serais pas allé faire dédicacer ton livre à la Comédie du Livre ?
Gromovar a dit…
Je suis démasqué ;)
Anonyme a dit…
Hahaha, je m'en doutais, j'ai vu Mr Moore avec une critique en anglais signé de ton pseudo, je me suis dit "aaah, mais il est probablement passé !". N'hésite pas à faire coucou au libraire du stand concerné (moi :p) à l'occasion ; et si t'as pas envie, pas grave, je me contenterai de tes super chroniques !
Gromovar a dit…
Aha :)
Je veux bien te faire coucou mais où ?
Anonyme a dit…
Si t'es dans les environs de la Comédie du Livre, Sauramps Comédie, rayon Imaginaire/Polar (si tu vois un grand barbu, c'est pas moi mais mon binôme, que je bassine régulièrement comme un fanboy avec des "Hey hey, Gromovar a parlé de ce livre et il a dit que", "FeydRautha de l'Épaule d'Orion a lui aussi aimé ce bouquin !" :p).
Gromovar a dit…
Noté. Mais seulement quand je repasserai à Montpellier ;)
celindanae a dit…
Le lien à la fin est pas le bon :)
Gromovar a dit…
Merci. Je le déplace.
Roffi a dit…
À lire donc. Oui c’est important de lire cette autrice et ce roman qui fait écho à la question des adultes victimes d’emprises ,question qui reste un des angles morts de cette société.
Un défi pour l’avenir,pour que ça change peut-être un jour.
Merci pour les renvois à Marie Laveau et Madame Lalaurie que je ne connaissais pas. C’est intéressant.
Gromovar a dit…
Tant mieux si ça aide :)