GPI 2024 : Protectorats de Ray Nayler, lauréat

Protectorats, brillant recueil fix-up inédit en toutes langues de Ray Nayler, vient d'obtenir le Grand Prix de l'Imaginaire de la meilleure nouvelle étrangère. Cliquez ici pour ma chronique et lisez ce grand recueil.

Sequoia Nagamatsu - Plus haut dans les ténèbres


Sibérie, 2030. Le monde continue de voir son environnement se dégrader, entre sixième extinction, mégafeux et montée catastrophique du niveau des mers. La mise à jour du cadavre d’une adolescente néandertalienne dans le permafrost sibérien en dégel exhume aussi un virus antédiluvien qui se propage au sein de toute l’espèce humaine et y entraîne une pandémie de proportion cataclysmique, l’équivalent d’une peste noire au niveau mondial. Une « peste » boostée par la rapidité des transports dans un monde que cette rapidité même et ses sources carbonées sont en train de détruire ; une maladie terrifiante qui ramène les cellules des organes touchés à leur état totipotent puis déclenche une nouvelle « embryogenèse » défectueuse, transformant des cœurs en foie, des foies en poumons, etc. Parfois même ils deviennent étrangement luminescents.

L’humanité n’aura finalement peut-être pas à attendre l’effondrement climatique pour connaître la décimation, les effets d’un archéovirus meurtrier suffiront.


Plus haut dans les ténèbres est un fix-up qui s’étend, globalement, sur les dix années ou quinze années qui suivent la libération du virus (puis vire un peu au-delà). On y découvre, à travers des vies et des destins qui se croisent, ne fut-ce qu’à distance, comment l’humanité fait face au retour brutal de la mortalité de masse au sein d’un monde de l’immédiateté et de la longue vie qui avait peu à peu sorti la mort de l’existence.

A travers les histoires, détaillées, toujours singulières, et en même temps chacun représentative d’une manière d’affronter une avalanche de disparitions bien plus rapide que celle qui touche les écosystèmes ou les espèces sauvages, Sequoia Nagamatsu livre un panorama triste mais pas dénué d’espoir d’un monde en recomposition.


  • Chercher tous azimuts des traitements, si expérimentaux et risqués soient-ils.
  • Voir mourir ses enfants, ses parents, ses familiers, ses amis et voisins, en nombre et quel que soit leur âge (même si les enfants semblent plus touchés).
  • Voir l’économie s’effondrer et l’industrie funéraire devenir l’activité dominante en lieu et place de la financière.
  • Créer des parcs d’attraction de la mort où les enfants condamnés peuvent partir dans la « joie » - dans ce qui est le meilleur texte du fix-up et de loin.
  • Imaginer de nouveaux rites funéraires et de nouvelles façons de continuer à vivre après la mort de proches.
  • Croiser des veufs et des veuves d’âge moyen en grand nombre.
  • Remplacer les animaux domestiques robots par des amis ou des amants robots.
  • Remettre en cause ses alliances et en forger de nouvelles ou alors s’extraire de toute alliance stable voire quitter, en se suicidant, un jeu qui n’en vaut plus la chandelle.
  • Se passionner pour un patient condamné qui prend la place émotionnelle d’un conjoint décevant, pour un cochon artefact qui remplace un enfant mort, pour une morte tatouée qui veut partir avec style et ne pas être oubliée.
  • Quitter même la Terre pour en chercher une nouvelle, à l’aide d’un vaisseau au moteur improbable.


L’élaboration de rites funéraires est l’une des marques qui signent l’humanité naissante. Il n’est donc pas étonnant que ce soit un diplômé d’anthropologie, Sequoia Nagamatsu, qui ait imaginé Plus haut dans les ténèbres. Ce qu’il développe sous nos yeux et sur 370 pages est l’histoire mondiale (avec une forte prédominance asiatique) d’une transition anthropologique provoquée par le retour à un régime de mortalité qui n’avait plus été observé depuis des siècles.

Dans le brillant Le cloître des ombres, Jean-Claude Schmitt racontait un monde médiéval dans lequel la mort était à coté de la vie, omniprésente, aussi réelle que la vie. Ce monde où il n’était pas possible que la mort soit déréalisée comme dans le nôtre fut ensuite frappé par la peste noire qui enfonça le clou et modifia en profondeur le rapport à la mort. Et encore en 1900 en France, avec une espérance de vie de 45 ans environ, une personne de 30 ans avait déjà perdu 26% de sa cohorte de naissance, soit autant de frères, soeurs, cousins, voisins.

Le monde de Nagamatsu, qui pourrait être le nôtre, celui dans lequel les personnes de 30 ans ont 99% de leur cohorte encore vivante auprès d'elles, connaît donc un retour en arrière, un bouleversement comme on n'en voit que peu. Avec tristesse, rage, douleur, déni, mais aussi des bourgeons de renaissance qui fleurissent progressivement et ce d’autant plus que la maladie est peu à peu circonscrite – non s’en avoir prélevé un tribut terrifiant –, l’auteur raconte une transformation de grande ampleur qui change pour longtemps l’humanité. Le monde d’après n’est pas celui d’avant avec moins de gens, c’est un autre monde qui doit, pour renaître, panser ses plaies et imaginer de nouvelles façons d’articuler, vie, mort, perte, deuil, persistance, renaissance.

C’est joliment fait, émouvant et paradoxalement paisible. C'est d'anthropologie qu'il est question ici, il ne faut pas y chercher grande plausibilité scientifique et ce sont les deux textes qu’on qualifiera de SF qui sont les seuls vraiment décevants. Qu’importe, l’ensemble vaut la peine d’être lu pour sa pertinence et sa sensibilité.


Plus haut dans les ténèbres, Sequoia Nagamatsu

Commentaires

Roffi a dit…
Des thèmes intéressants de substitution mais ce doit être dur à lire emotionnellement.
C’est tentant néanmoins.
Gromovar a dit…
Certaines nouvelles sont dures, mais pas toutes.
Et il y a une forme d'espoir ou de légèreté toujours. Alors...