La Maison des soleils est un roman (de 2008) d’Alastair Reynolds qui arrive enfin en France grâce au Bélial et à l’infatigable traducteur Pierre-Paul Durastanti. La Maison des soleils se passe 6 millions d’années dans l’avenir (énorme à notre échelle, rien à celle de l’univers ; il est important d’avoir ces deux rapports en tête pour comprendre tant la dimension vertigineuse de l'aventure humaine que le caractère transitoire des civilisations présentées ici, aussi éphémères que les nôtres).
La Maison des soleils prenant place dans le même univers que la novella La Millième nuit, publiée en UHL et chroniquée ici, je te renvoie, lecteur, à la chronique précédente dont le début te précisera le contexte.
Univers de la Communauté donc. La Lignée Gentiane doit de nouveau se rassembler pour les Retrouvailles au cours desquelles, lors des célébrations des Mille Nuits, vont être partagés les fils mémoriels de chacun des clones (nommés frag, pour fragment de l’initiatrice de la Lignée, terme générique désignant les clones créés à partir de celle-ci pour partir explorer l’espace il y a 6 millions d’années).
Campion et Purslane, les deux frags déjà héros de La Millième nuit, voguent ensemble vers les Retrouvailles, les premières depuis environ 200000 ans. Chacun dans son vaisseau (leur liaison est une infraction, tout juste tolérée, aux règles de la Lignée), mais de conserve, comme le couple objectif qu’ils forment.
Les lecteurs de la novella savent que Campion est une sorte de trickster impulsif et un peu irresponsable (à l’inverse de l’aussi charmante que raisonnable Purslane). Ils ne seront donc pas étonnés d’apprendre que le couple sera en retard à la réunion à cause d’un mauvais choix tactique de Campion (un retard d’une cinquantaine d’années, énorme car les voyages sont infraluminiques et les distances colossales, gérable néanmoins car de telles durées ne sont guère significatives pour ces post-humains quasi immortels qui passent une grande partie de leur existence en stase, dormant quand l’univers avance : « Vous êtes un ver des livres qui a foré des tunnels à travers les pages de l’histoire »).
C’est donc très en retard que les deux frags arrivent aux Retrouvailles, ensemble de surcroît ce qui affiche de manière éclatante leur scandaleuse liaison. En retard et accompagnés d’Hesperos, un membre « pris en stop » de ce Peuple-Machine qui n’a aucun rapport avec la post-humanité et vit en paix à ses côtés dans la vaste galaxie. Les accompagnent aussi le docteur Méninge, un chercheur que Campion devait emmener jusqu’à la Vigilance, un ensemble post-humain qui enregistre et archive tout ce qui se produit dans la Voie Lactée et son entourage proche – un genre d’Internet Archive de la galaxie.
Mais de Retrouvailles il n’y aura pas. Pour la première fois depuis 6 millions d’années. Un drame est survenu. Un monde se termine. Un autre commence. Alors qu’un secret incroyablement ancien est mis à jour.
Dans La Maison des soleils, Alastair Reynolds crée un univers post-humain proprement démesuré. Les échelles de temps prodigieuses permettent de voir défiler, au moins dans les mémoires des frags, la « noria » des civilisations galactiques locales : « On contemple la société galactique et on voit les civilisations s’élever et retomber telles des vagues. On a pris l’habitude d’être les seuls des environs à incarner la permanence ».
Les pouvoirs disponibles, fruit de centaines de milliers d’années d’évolution technique, sont prodigieux. On archive des millions d’années de souvenirs ou de données, on remodèle des planètes pour accueillir des fêtes, on façonne des écosystèmes, on ajuste des systèmes planétaires, on détruit des mondes ou des lunes (parfois simplement pour se cacher derrière les débris), on canalise des trous de ver pour les utiliser comme armes, on est même capable d’endiguer des supernovas.
Les post-humains et leurs voisins machiniques sont des quasi dieux. Ne leur manquent que les vitesses supraluminiques et l’immortalité (on peut mourir accidentellement et donc chaque Lignée, de 1000 au départ, connaît une attrition progressive), barrières physique et biologique indépassables.
Dans cette galaxie qui leur sert de terrain de jeu, les Lignées voyagent, explorent, mémorisent et racontent – comme le faisait il y a 6 millions d’années la fondatrice de la Lignée Gentiane, inventrice de la technique du clonage reproductif (dont l’histoire est racontée aussi dans le roman sans que, imho, ça apporte grand-chose au récit principal). Mais comme l’univers est dangereux et que là où il y a de la vie il y a de la mort, certains meurent parfois. Certains clones manquent, d’une Retrouvaille à l’autre ; ils sont alors célébrés lors de cérémonies très émouvantes car le rappel de leur mortalité est une réalité presque incongrue pour les frags et que chacune de ces si rares vies est précieuse. Des Lignées même pourraient disparaître, si l’attrition qui les frappe devenait trop importante. C’est le rappel de cette mortalité qui est le point central du roman, c’est aussi le cas dans la nouvelle Les Nuits de Belladone qu’on pourra lire dans le Bifrost 114 (et il vaudra mieux le faire après avoir lu le roman même s’il n’est pas dramatique de le faire dans l’autre sens).
Mais le roman n’est pas que son histoire centrale. Il est également une occasion de réfléchir sur l'impermanence et de se demander si le seul but de la vie ne devrait pas être, en épicurien, d'accroitre sans cesse ses expérience sensibles – c'est ce que Campion semble suggérer à la fin des Nuits de Belladone.
Il est aussi – et je dirais surtout – l’occasion d’un vertige, d’un sense of wonder comme on n’en croise pas souvent. Sur des échelles de temps et de puissance qui rappellent autant le Greg Egan de Riding the Crocodile que le Poul Anderson de Tau Zero (tout ceci étant publié au Bélial, ça n’étonnera personne car c’est la Maison du sense of wonder comme Marvel est celle des idées) s’agitent et tentent de survivre, dans des conflits aux proportions titanesques, des post-humains aussi libres et rares que l’étaient ceux du diptyque Illium/Olympos de Dan Simmons. Par delà un récit palpitant et captivant, c’est le cadre, le contexte et les acteurs (mention spéciale pour l’Esprit de l’Air) qui donnent tout son sel à cette tragédie qui respecte les trois unités classiques : lieu, le Groupe local, temps, quelques dizaines de milliers d’années en enfilade, action, un complot diabolique qui se déploie sur ce lieu et dans ce temps ; qui respecte donc les trois unités classique à l’échelle monumentale de l’univers imaginé par Reynolds.
Lecteur, tu aimes la SF qui claque, lis La Maison des soleils, elle t’emportera vraiment vers l’infini et au-delà.
La Maison des soleils, Alastair Reynolds
L'avis de Feyd Rautha
Commentaires
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola