Le démon de Maitre Prosper - KJ Parker VO

Sortie hier de la traduction française de la novella Prosper's Demon , de KJ Parker, qui était chroniquée ici il y a quelques années . Intitulée Le Démon de Maitre Prosper en France et traduite par l'excellent Michel Pagel, elle sort à L'Atalante et, tu le sais lecteur si tu as lu ma chro, elle est bien sympathique.

Strategies against Nature - Cody Goodfellow


Strategies against Nature, ou SAN. La SAN (Santé mentale) qu'on perd à L'Appel de Cthulhu quand on fait une expérience traumatisante, la SAN dont la perte de tous les points a pour conséquence la folie incurable. C'est bien à des pertes de SAN que Cody 'Unamerica' Goodfellow expose son lecteur avec ce recueil de nouvelles daté de 2016.


Entre les couvertures de Strategies against Nature se trouvent onze textes de longueurs à peu près équivalentes.

Dans ces nouvelles on retrouve le ton si particulier de Goodfellow, entre horreur existentielle à la Lovecraft et splatterpunk le plus crade, le tout baignant dans le body horror. On goûte toujours sa capacité à prêter sa plume à des personnages parfaitement détestables, complotistes, sexistes, ou autres, et à rendre crédible leurs excès délirants – si tu as vu Seul contre tous, lecteur, tu sais de quoi je parle. On retrouve enfin son style, où se mêlent un vocabulaire foisonnant au service d'images omniprésentes et une matter-of-factness descriptive dès qu'il s'agit d'humains qui fait de lui l'un des auteurs les plus pince-sans-rire que je connaisse – l'hypothèse de la psychopathie n'étant pas retenue jusqu'à plus ample informé.

Admets-le, lecteur, peu d'auteurs, surtout contemporains, commencent une nouvelle comme ça : « “Hey dude, look at this!” Toothless Stu shouts at Pike, who turns around to look just as the blue Windstar swerves across three empty lanes to hit Toothless Stu so hard it cuts him in half. »


Onze textes donc. Qui disent les marges extrêmes, les marges de la marge dirai-je, là où on n'est pas juste au bord de la société normée mais aussi au bord de l’humanité ou de la réalité même. Dans un monde à la Ligotti si celui-ci écrivait crade, ou à la Vandermeer si son weird était plus urbain et moins mycologique. Car, de fait, le monde de Goodfellow est à l’opposé de celui des cosy mystery ou des histoires de fantômes polis et présentables. On y croise des mauvais pères et des mères mortes, parfois l'inverse. On y tue sans plaisir mais par nécessité. Les gens y sont louches, mal insérés, à la dérive, drogués ou ex-drogués, parfois monstrueux mentalement et d'autres fois physiquement, mais toujours agressés par un monde qui les maintient en bordure, loin de la chaleur de la constellation centrale, ou par un surnaturel qui cherche à les attirer de l'autre côté.


C'est le jeu dans un recueil, on n'aime pas tout. Ici, si tout a la saveur Goodfellow, si particulière, j'ai trouvé moins convaincants quelques textes qui, à force d'écriture hachée, donnent l'impression de souffrir de problèmes d'édition – ce qui n'enlève rien à leur pouvoir d'évocation, car c'est vraiment de ça dont il s'agit, Goodfellow invoque pour son lecteur un monde terrifiant par son étrangeté et sa proximité.


Morning Come Down ouvre le recueil. Il est une sorte de folie autoroutière, un jeu de massacre où les crashes succèdent aux crashes et les morts succèdent aux morts. Proches de ces films américains dans lesquels les voitures s’empilent les unes dans les autres une fois le carambolage initié, amusant par son côté excessif même, il véhicule néanmoins un message désespéré de vengeance qui ne répare rien.

At the Riding School est une impressionnante histoire qui mêle mythologie grecque et agression sexuelle dans la Californie contemporaine. Deux femmes y ont trop de secrets pour que ça puisse durer éternellement. Peut-être la meilleure du recueil.

A Summer on Quiet Island finit un peu en queue de poisson (désolé !) mais cette histoire d'été passé sur une île isolée par un jeune garçon aux parents défaillants est hallucinante par la description qu'elle fait d'une société hybride au sens lovecraftien.

What the Gods Eat est une symphonie de destruction et de cataclysmes provoquée par le ressentiment d'un indien du Mexique. Le preuve qu'il ne fait pas bon recuire de vieilles rancunes. Amusante.

Waiting Room développe le concept de vampirisme psychique à travers l'adoration ou l'attente. La maîtrise ultime de cette notion par un nihiliste affirmé aboutit à une sorte de soft apocalypse dont personne ne sort indemne.

Wasted on the Young, mouaip.

Beaucoup d'idées dans Nature's Mother. Des idées SF, des idées post-apo, des idées genepunk, qui donnent de vrais moments de weird mais le tout est un peu foutraque imho.

Flea Circus est la variation contemporaine de Goodfellow sur le thème du cirque de monstres. C'est un texte impressionnant par ses descriptions, par les horreurs qu'il suggère, et la maîtrise avec laquelle est utilisé son personnage principal.

Wishing Well semble mixer Le roi en Jaune et le Two Truths and a Lie de Sarah Pinsker pour une histoire de traumatisme enfoui, stressante mais qui se termine aussi un peu un peu trop abruptement.

Girl on Girl est amusante. On y voit un producteur porno provoquer involontairement un bouleversement mondial des préférences sexuelles. Un texte porté par le très déplaisant personnage du producteur.

Fat of the Land est à la fois odieuse et peut-être prophétique. Quand un père découvre que sa fille dont il n'a pas la garde souffre d'une maladie inconnue, il se lance dans un périple – très graphique –   au bout duquel les vérités qu'il découvre feraient passer Soleil Vert pour une aimable plaisanterie. Not for the faint of heart. Si At the Riding School n'est pas la meilleure alors c'est celle-ci, ou il y a ex-aequo.


Strategies against Nature, Cody Goodfellow

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