La Maison des soleils - Alastair Reynolds

La Maison des soleils est un roman (de 2008) d’Alastair Reynolds qui arrive enfin en France grâce au Bélial et à l’infatigable traducteur Pierre-Paul Durastanti. La Maison des soleils se passe 6 millions d’années dans l’avenir (énorme à notre échelle, rien à celle de l’univers ; il est important d’avoir ces deux rapports en tête pour comprendre tant la dimension vertigineuse de l'aventure humaine que le caractère transitoire des civilisations présentées ici, aussi éphémères que les nôtres) . La Maison des soleils prenant place dans le même univers que la novella La Millième nuit , publiée en UHL et chroniquée ici, je te renvoie, lecteur, à la chronique précédente dont le début te précisera le contexte. Univers de la Communauté donc. La Lignée Gentiane doit de nouveau se rassembler pour les Retrouvailles au cours desquelles, lors des célébrations des Mille Nuits, vont être partagés les fils mémoriels de chacun des clones (nommés frag, pour fragment de l’initiatrice de la Lignée,

Shards of Earth - Adrian Tchaikovsky


Futur spatiopérégrin de la Terre. L'humanité a essaimé loin de sa planète d'origine et elle a colonisé un nombre important de mondes. Elle a aussi rencontré un certain nombre d'espèces extraterrestres avec lesquelles elle a développé des rapports relativement amicaux.

Hélas arriva le jour où se matérialisa près de la Terre une « chose », un BDO mutique de la taille de la Lune, et les avertissements cataclysmiques que le mystérieux alien Ash émettait à corps et à cris depuis quelques années ans se révélèrent atrocement justes. L'humanité rencontrait son premier Architecte.

Celui-ci redessina la Terre, il en fit une sorte d’œuvre d'art inerte, tuant dans le processus des milliards d'êtres humains. Puis les apparitions d'Architectes se multiplièrent. Et à chaque fois, drame de l'impuissance, l'enjeu n'était pas de résister à l'agression mais seulement d'évacuer le maximum de personnes avant l'anéantissement d'un monde et la mort de ses habitants. Jusqu'à ce qu'une jeune fille, Xavienne Torino, parvienne – mentalement ! – à repousser un Architecte. Elle fut à l'origine du programme des Intermédiaires, un projet militaire qui sélectionnait des volontaires pour subir une série d'opérations dont l'objectif était de fabriquer des Xavienne artificiels. Un volontaire sur dix survécut et c'est donc une trentaine d'Intermédiaires que l'humanité put déployer. Il s'agissait pour eux d'entrer en contact avec les Architectes afin de les convaincre – on ne sait pas trop comment – de rebrousser chemin sans remodeler un monde. La guerre prit fin après un contact plus fructueux qu'à l'habitude. Une soixantaine d'années s'écoulèrent. Les réflexes de guerre furent oubliés. Jusqu'à ce qu'un vaisseau de récupération tombe sur une épave étrangement remodelée. Et qu'une trépidante course contre la montre s'engage alors que, peut-être, les Architectes reviennent.


Shards of Earth est un space opera d'Adrian Tchaikovsky, le premier de la trilogie The Final Architecture. Dans ses pages, on visitera un espace colonial humain développé sans excès de world building. Terre perdue, c'est la planète Berlenhof qui est devenue le siège du gouvernement humain et de son Council of Human Interests. Autour d'elle, à des distances variables, se trouvent les colonies humaines, certaines riches et peuplées, d'autres de simples avants-postes miniers. Les systèmes stellaires qui composent cet ensemble à la gouvernance lâche sont reliés par des Throughways qui permettent de traverser en sécurité l'unspace – une sorte d'hyperespace. L'unspace et ses voies de communication organisées en réseau rappelleront L'Interdépendance de Scalzi. Mais à la différence de la trilogie citée où les voies hyperspatiales étaient naturelles, ici les Throughways ont été créées dans des temps immémoriaux par une espèce disparue, peut-être ces Originators qui n'ont laissé d'eux-mêmes que ces voies et des reliques enfouies sur le sol de certaines planètes. Des reliques qui, sans qu'on sache pourquoi, tiennent à distance les Architectes.


Il existe un moyen de couper à travers l'unspace et donc d’aller plus vite d'un point à un autre. Un Intermédiaire peut, au péril de sa santé mentale, naviguer à travers ce non espace qui semble habité par une terrifiante présence. S'employer comme navigateurs, c'est ce qu'a fait une partie des Intermédiaires survivants, dont Idris Telemmier, le personnage principal du roman. En effet, lourdement affecté par ce qu'il a vécu durant la guerre, Telemmier a même refusé de participer à la reconversion « civile » du programme Intermédiaires. Privé de sommeil et de vieillissement depuis des années, peu bavard et de constitution fragile, il a erré puis s'est engagé sur le Vulture God, un scavenger qui gagne mal sa vie en récupérant des épaves pour leurs propriétaires ou pour le butin vendable qui s'y trouve.

L'équipage du Vulture God comprend aussi le capitaine Rollo, un bourlingueur bourru protecteur envers ses « enfants » et son vaisseau, Kris, l'avocate, duelliste à ses heures, d'Idris et par extension du Vulture God, Olli, une spécialiste système lourdement handicapée de naissance et aussi pleine de compétences que de rage, Kit, le négociateur et in-between âpre au gain (un Hannilambra, une espèce qui ressemble vaguement aux crabes), Barney, un ingénieur humain, et Medvig un technicien de recherche Hiver (une espèce d'insectes communautaires créée par les humains, qui a pris son indépendance et vit sous la forme d'instances transportés par des corps de robot).


Aux espèces citées ici on ajoutera les vermiformes Castigar et leurs nombreuses castes, les Naeromathi, une espèce nomade qui va de système en système en démontant des mondes pour entretenir leurs vaisseaux-arches, et les Essiel, maîtres divins de l'Hégémonie, des bivalves géants pompeux qui incitent les colonies humaines à leur prêter allégeance car eux seuls sont capables de déplacer de monde en monde (on ne sait pas comment) les reliques Originators protectrices. Deux trois autres sont moins développées dans le roman, les Ogdru notamment qui sont capables de piloter aussi dans le deep void, hors des voies balisées des Throughways, comme les Intermédiaires.

Enfin, les Partheni, une espèce de femmes guerrières humaines clonées créée par la docteur eugéniste Sang Sian Parsefer, qui ont pesé lourd dans le guerre par leur force et leur sacrifice et font maintenant l'objet de méfiance de la part de beaucoup d'humains et particulièrement de la faction qu'on nomme Nativiste qui se revendique d'une humanité « pure ». Une méfiance réciproque entre deux branches de l’humanité qui se trouvent en état de guerre froide en voie de réchauffement.

C'est parce que le Parthenon veut accéder à la technologie des Intermédiaires que Solace, l'une de leurs opératives, va se retrouver mêlée aux affaires du Vulture God et d'Idris Tellemier, provoquant ainsi encore plus d'occasion de confrontation entre les humains et leurs « descendantes ».


Dans Shards of Earth, Tchaikovsky décrit une humanité amputée par les conséquences de l'invasion des Architectes et les énormes déplacements de réfugiés qui en ont été les conséquences. Il raconte aussi l'histoire d'une colonisation réaliste. Durant des décennies et encore plus ensuite en raison des effets de la guerre, la colonisation humaine de l'espace est une affaire qui crée des mondes frontières où aucune loi ne règne, d'autres mondes sur lesquels l'inégalité est immense à l'avantage des premiers colons (un peu comme pour le patriciat US), des mondes encore à la surface desquels la vie est très difficile en raison des conditions physique ou du biotope local.


Il décrit surtout une diaspora humaine, volontaire d'abord puis forcée ensuite, dans laquelle tout le monde ne mange pas à sa faim loin de là. Les voyages spatiaux nécessitent d'énormes quantité de ressources rendues indisponibles pour d'autres productions, les planètes colonisées sont loin de satisfaire sans coût les besoins humains (on relira avec profit le Pourquoi nous travaillons de Jean Fourastié), la terraformation est une entreprise aussi longue que pharaonique. Et je ne parle pas de le microgravité qui a fait d'un des personnages du roman une handicapée à vie. Il est donc difficile d'être un colon, encore plus d'être un spacer, et tout ceci Tchaikovsky le montre bien tout au long du roman (il le résume avec les mots starvey et famies qui sont censés être les mots courants pour désigner colons et spacers). Cette approche est rare et elle est bien venue imho.


Il offre aussi au lecteur un roman plein d'action et de rebondissements qui évoque les livres de cape et d'épée tant les péripéties y abondent. Secrets, révélations, coups de théâtre, fuites éperdues et affrontements titanesques ne font pas défaut à l'amateur d'action.

Il développe enfin une espèce de « méchants » aussi mystérieux que spectaculaires en la personne des Essiel et de leur Hégémonie. Pacifique apparemment mais dotés aussi d'un égo qui les rend très dangereux.


Tout ceci fait de Shards of Earth une lecture agréable. Et pourtant je n'ai pas été totalement convaincu.

D'abord parce que, parfois, trop d'action tue l'action et qu'ici certains tunnels conflictuels m'ont paru trop long pour soutenir mon intérêt. Sache, lecteur, que j'aime l'action, mais pas lorsqu'elle s'éternise trop. Il aurait fallu y ajouter le species building des deux premiers romans SF de Tchaikovsky, mais mauvaise pioche ici, les aliens présents sont au mieux des archétypes.

Ensuite parce que les Architectes sont tellement au-delà de l'expérience et de l'atteinte humaines que toutes les tentatives contre eux – même les rares qui réussissent – donnent un sentiment d'excès. Il y faut tant de vaisseaux, de morts, d'attaques infructueuses qu'on a l'impression d’assister à ces carambolages dont les films américains sont si prodigues.

De plus, on trouvera qu'il est difficile d'adhérer vraiment aux personnages principaux, singulièrement l'équipage du Vulture God et la Partheni Solace qui les rejoint. Des morts viennent trop tôt alors qu'aucun attachement n'a eu le temps de naître, et, même avec l’équipage resserré, le personnage d'Idris, tout en intériorité geignante, n'encourage pas le sympathie, alors qu'au-delà de lui les oppositions exprimées entre les « héros » du roman, sont souvent trop caricaturales pour être vraiment prises au sérieux. Le coup de Galactus fonctionne quand on a d'abord ancré l'amour des Fantastic Four dans le lectorat et qu'on a su créer la figure du Silver Surfer.

Enfin, et sans que j'arrive à mettre le doigt sur la cause précise, il y a une forme de lenteur ou de langueur dans le récit, peut-être due à la rencontre d'un Idris bien tristounet et de scènes d'action si nombreuses et longues que leur nombre et donc la complexité du scénario en pâtit.

J'aimerais bien connaître le fin mot de l'histoire mais je ne crois pas que j'irai au-delà. Dommage.


Shards of Earth, Adrian Tchaikovsky

L'avis de Cédric Jeanneret

Cette chronique participe au Summer Star Wars Andor

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