Horizons obliques - Richard Blake

Sortie demain de Horizons obliques , un one-shot SF de Richard Blake. Il y a des années que Jacob et Elena Armlen se sont perdus dans une dimension parallèle qu'ils tentaient de cartographier. Depuis aussi longtemps Adley, leur fille, veut les retrouver. Après un long entrainement elle part donc en quête de parents depuis trop longtemps absents, à travers des mondes incroyables, avec l'aide de ses grands-parents, d'un impressionnant appareillage technologique de voyage transdimensionnel, de ses dons de prescience, et d'un robot humanoïde nommé Staden. Si le scénario, plutôt contemplatif, pourra désarçonner certains lecteurs, on ne peut qu'être impressionné par la beauté envoutante des planches réalisées intégralement par un auteur qui est peintre avant d'être bédéaste (et dont c'est le premier album) . Dès la première page représentant un rêve d'Adley portant un ours polaire sur son dos on est saisi par le style et la qualité graphique de l'album. L&

Les rêves qui nous restent - Boris Quercia


Natalio est un enquêteur de classe 5, la dernière avant les crapauds. Il officie, payé à la tâche, dans la City, un zone urbaine confortable bunkérisée derrière une muraille percée de portes gardées. Au-delà de la muraille c'est la vieille ville, et au-delà encore le désert où brûlent sans cesse des feux pollués.


Natalio enquête parfois, il traque aussi les dissidents souvent. Ca paie, mal mais ça paie. On ne fait pas le difficile quand on est enquêteur classe 5 et qu'on ne veut pas se retrouver dans la vieille ville, où la vie est encore plus dure et la survie plus aléatoire. Alors Natalio traîne sa carcasse entre élimination déguisée des adversaires de l'ordre social et rares jobs de détectives. Avec lui son électroquant (compagnon androïde), de piètre facture aussi et dans un état presque aussi lamentable. Des électroquants, il y en a de beaux et bien entretenus mais celui de Natalio est aussi pourrave que lui. Logique, ne dit-on pas « Mon électroquant, c'est moi » ?


Dans la vieille ville vivent les manœuvres et les compilateurs, chevilles ouvrières et lumpenprolétariat indispensables au fonctionnement d'une City dans laquelle ils entrent le matin, après avoir patiemment montré patte blanche aux portes, puis qu'ils quittent le soir pour retourner dans leurs taudis hors les murs. Une vraie vie de banlieusards ou de prolos de la Silicon Valley. C'est là que doit se rendre Natalio pour sa nouvelle enquête, un job bien rémunéré qui devrait assurer un nouveau temps de soins psychiatrique payant à sa femme, Uma, dans la clinique Domus Pacis où elle vit, atterrée, depuis les événements d'Oslo et sa rupture forcée d'avec le monde. C'est là, dans la vieille ville, que Natalio sentira les prémisses d'une bascule du monde, d'un renversement prochain de l'ordre social.


Le monde décrit par Boris Quercia dans Les rêves qui nous restent est un enfer objectif. Il est – peut-être – le point d'arrivée logique du notre. Le gap entre insiders et outsiders y est colossal, matérialisé par une séparation matérielle et sécurisée, comme dans le F.A.U.S.T de Lehman ou dans la série espagnole L'autre côté. Vie difficile et bon marché d'un côté, opulence de l'autre – pour ceux qui ne sont pas enquêteurs classe 5 en tout cas.

Les élites profitent, et même les syndicalistes, pourtant très actifs, sont tellement institutionnalisés que la base n'a plus grand chose à dire à la direction.

La privatisation de la médecine y a conduit à l'existence de sociétés comme Domus Pacis, capables de fournir de bons soins médicaux payants quand les malades non solvables sont laissés à leur sort peu enviable, et celle de la justice à l'apparition d'autres telles que Justice Express.

Les dissidents, menaçants pour l'ordre social, y sont éliminés, à la suite de procédures volontairement meurtrières sur lesquelles on maintient un simple semblant de légalité. Aucune solidarité n'existe dans la City entre eux et les autres, il est trop dur de survivre si on a des états d'âme et encore plus si on a des factures Domus Pacis à honorer. Le job de Natalio à l'endroit des dissidents, c'est un peu celui du Furet d'Andrevon à celui des excédentaires.

Mais dans la City on n'élimine pas les surnuméraires d'un système productif à la productivité prodigieuse. Pour ceux-ci néanmoins, pas de revenu universel – ce basic income jamais enviable dans les œuvres de SF et pourtant revendiqué chez nous par certains convaincus que le monde de Ian Banks est à portée de main. Ils peuvent, pour quitter leur misère tant sociale qu'économique, signer un contrat avec Rêves Différents. Ils seront alors branchés pour deux ans sur des machines qui leur offrent les rêves de leur choix en virtuel de qualité contre le droit de prélever leur ADN dont les plus riches ont besoin pour des traitements de réjuvénation (on ne cherchera pas la plausibilité de la chose). Personne n'est obligé et c'est gratuit. Mais tu connais l'adage, lecteur, « si c'est gratuit... ». Ici c'est au sens propre.

Enfin, les machines, électroquants et serveurs, font parfois preuve « d’initiative », la complexité des codes et des algorithmes conduisant à l’apparition de comportements non prévus, certaines fois avec des conséquences absolument dramatiques. Vers un début de conscience ? Qui sait si les androïdes rêvent de moutons électriques.


Sur un ton lent et un rythme désabusé, Quercia promène son lecteur sur les traces de Natalio le long d'une histoire plutôt courte et linéaire qui est autant un avertissement qu'une dénonciation, une illustration d'anacyclose aussi, le gap inégalitaire étant franchi par la violence et ne conduisant pas à l’avènement d'un land of milk and honey.

Il y balade un anti-héros de roman noir, fatigué et sans illusion sur le monde ou sur lui-même, à qui il n'offre même pas le rêve dangereux d'une femme fatale.

Au lecteur ce qu'il offre c'est un roman d'ambiance dont tant les enjeux que la conclusion sont explicites. Ce qui compte ici c'est la balade, pas le whodunnit.


Les rêves qui nous restent, Boris Quercia

Commentaires