La grande muraille de Mars - Alastair Reynolds

La grande Muraille de Mars est la version française du méga recueil d’Alastair Reynolds intitulé en VO  Beyond the Aquila Rift . Dans des traductions de Pierre-Paul Durastanti, Laurent Queyssi et Florence Dolisi, ce sont pas moins de 16 textes (2 de moins que dans la VO) qui s’étalent sur 640 pages. Au fil de ces milliers de signes c’est l’avenir imaginé par Alastair Reynolds qui se dévoile aux yeux ébahis du lecteur amoureux de SF. Car c’est bien de SF qu’il s’agit ici. Toujours. Même quand ça peut ressembler à autre chose. Certains de ces textes appartiennent au Cycle des Inhibiteurs , ce cycle bien connu de notre club qui raconte l’histoire future d’une humanité spatiopérégrine et divergente dont les différentes branches, souvent en conflit armé, se distinguent par leur degré de fusion avec les machines. C’est le cas notamment des deux premiers, La grande muraille de Mars et Zéphyr qui racontent, de transhumanisme en tentative de génocide, les débuts de la divergence et les ...

L'Obscur - Philippe Testa - Retour de Bifrost 100


Futur presque proche. Le monde de "L'Obscur" est le nôtre en pire. Des inégalités encore plus grandes, une part des actifs occupés de plus en plus faible, un changement climatique toujours plus intense.

Dans le monde de "L'Obscur" on appartient à l'une de quatre classes qui structurent l'humanité. La classe salariée routinière dont le narrateur est l'un des membres et où on vit dans l’angoisse de la requalification (un licenciement présenté comme une opportunité), la classe des cadres sup. chiens de garde du capitalisme pour Marx, la « classe » des sans-emploi (l'armée industrielle de réserve), ou enfin l'Überclass des super riches, détenteurs du capital et extracteurs de l'essentiel de la plus-value globale.

Individualisme humain et consumérisme ultra-libéral infantilisant ont œuvré ensemble à créer un monde dans lequel les jobs semblent si bullshit qu'on ne comprend jamais vraiment quel est celui du narrateur, dans lequel les humains, dans un globisch improbable de termes anglais et corporate, n'expriment que des sentiments superficiels, dans lequel on vit gavé d'info globale insignifiante, de divertissement et de réseaux, dans lequel on est assisté par un job-coach pour tenter de devenir salarié et un coach médical qui lutte à grands coups de médocs anti trauma contre les dépressions et psychopathologies diverses qu'une telle société ne peut que générer. Ah, j'oubliais, c'est aussi un monde dans lequel il n'y a quasiment plus de nature sauvage, restent les « Aires Récréatives Protégées ». Tout est sous contrôle. Sauf que non.


Dans ce monde en tension permanente, les inégalités sont telles que le pain et les jeux ne suffisent plus à y assurer la stabilité sociale. Des forces « anti » protègent ce qui peut payer pour l'être, entreprises ou gated communities. Nonobstant, les émeutes sont fréquentes, de plus en plus, les morts qui en découlent aussi. C'est Journal de nuit version premium.

Dans ce monde vit le narrateur. Introverti, solitaire, peu liant, il est une aberration dans une société qui prône le contact et l'extraversion exhibitionniste comme des vertus cardinales. Il a frère, sœur, parents, mais n'est vraiment proche d'aucun. Lunaire, inadapté, il rêve d'autre chose, de s'envoler dans un ciel immobile – tel le héros de Brazil. Il a eu une amie, Pia, qu'il retrouve alors que la Suisse dans laquelle il vit (et plus largement le monde) est touchée par de massives coupures de courant inexpliquées et que la première colonie martienne, si loin, semble affectée par un mal inexplicable qui pourrait l'anéantir. Mais quand les coupures se prolongent de plus en plus, même si on peut sortir de chez soi, contrairement aux colons, on ne peut pas plus qu'eux aller se réfugier ailleurs. Diamond l'a montré dans Effondrement, la Terre, à son échelle, est aussi une île dont on ne peut s'échapper ; et quand le courant vient à manquer vraiment, une civilisation qui tirait sa possibilité même de l'énergie électrique s'effondre. L'homme, déjà décivilisé par la société du divertissement, revient par nécessité de survie à des comportements de chasseurs cueilleurs en micro groupes hostiles ou méfiants les uns envers les autres. Le narrateur va tenter de survivre à la nouvelle donne, en compagnie de Pia, au milieu de risques que n'avaient plus connus les Occidentaux depuis des siècles ; le retour à la Nature est celui de Hobbes, pas celui de Rousseau.


Testa, dans une langue travaillée, raconte le monde fou à venir, l'effondrement inexpliqué (qui peut venir de n'importe quel grain de sable, cf. Le paradoxe de Fermi de Boudine), la fin de la société et le retour aux communautés. Si le roman peut rappeler ceux de Jean Baret, il est moins rigolard ; on se trouve ici plus près du désespoir existentiel de Houellebecq par exemple, celui d'une humanité arrivée au bout d'un modèle intenable et alors que les super-riches ont fait sécession, comme l'expliquait Bruno Latour récemment dans Où atterrir ? A cette question la réponse de Testa est simple : chez les nomades de Marshall Sahlins.


L'Obscur, Philippe Testa

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