Horizons obliques - Richard Blake

Sortie demain de Horizons obliques , un one-shot SF de Richard Blake. Il y a des années que Jacob et Elena Armlen se sont perdus dans une dimension parallèle qu'ils tentaient de cartographier. Depuis aussi longtemps Adley, leur fille, veut les retrouver. Après un long entrainement elle part donc en quête de parents depuis trop longtemps absents, à travers des mondes incroyables, avec l'aide de ses grands-parents, d'un impressionnant appareillage technologique de voyage transdimensionnel, de ses dons de prescience, et d'un robot humanoïde nommé Staden. Si le scénario, plutôt contemplatif, pourra désarçonner certains lecteurs, on ne peut qu'être impressionné par la beauté envoutante des planches réalisées intégralement par un auteur qui est peintre avant d'être bédéaste (et dont c'est le premier album) . Dès la première page représentant un rêve d'Adley portant un ours polaire sur son dos on est saisi par le style et la qualité graphique de l'album. L&

Sourdough and Other Stories - Slatter Angela


J'avais été impressionné tant par les qualités narratives que par l'écriture du All the Murmuring Bones d'Angela Slatter. Le roman prenant place dans le monde imaginée par Slatter dans ses recueils "Sourdough and Other Stories" et The Bitterwood Bible, je me suis procuré le premier des deux ouvrages pour une nouvelle virée dans l'imaginaire de la dame. Bien m'en a pris.


"Sourdough and Other Stories" contient seize nouvelles, liées entres elles par leurs personnages récurrents qui semblent s'insinuer d'une histoire à l'autre, précédées d'une introduction de Rob Shearman et suivies d'une postface dans laquelle Jeff Vandermeer himself dit tout le bien qu'il pense de Slatter. On peut rêver pire patronage.

Seize histoires qui sont résolument des contes de fée, et tout aussi résolument des contes de fées contemporains, réinterprétés par une femme qui leur donne une modernité de très bon aloi sans jamais tomber dans le didactisme – et sans jamais non plus renier son matériau d'inspiration, allant jusqu'à reprendre parfois des noms ou des situations de contes de fée bien connus.


Que sont donc ces contes qu'on dira slatterisés ?

D'abord, Slatter n'hésite pas à noircir les récits, à décrire sans que sa plume tremble des assassins, des voleurs, des bordels, des choix difficiles ou des ruptures biographiques radicales – avortement, abandon d'enfant, ou pire. Elle dit les choses brutes sans les métaphoriser.

Certes, on sait bien que les contes ont été écrits et réécrits et que certaines versions des contes classiques sont déjà dures et cruelles. C'est le partie aussi que prend Slatter dans ses récits qui, nonobstant leur familiarité, sont tous des créations originales et pas de simples transcriptions dark – aucune ambiguïté là-dessus. Tu ne retrouveras pas, lecteur, les personnages ou les histoires que tu connais fardés du noir à lèvres des collégiens « gothiques ». Non. Ce sont de nouvelles histoires, de nouveaux personnages, mais la filiation est évidente, même si, ici, on va plus loin dans l'explicite de situations humainement très pénibles – la reine chassée par une intrigante ne part pas vivre sa déchéance loin du regard des hommes et des lecteurs, elle doit vivre et travailler dans un bordel au vu et au su de tous sans jamais perdre la force morale de protéger son enfant quand ça deviendra nécessaire, un exemple parmi d'autres.


Le monde de Slatter est logiquement un monde bien plus crédible que celui des contes. Elle t'invite, lecteur, dans un univers pétri de violences et d'inégalités, ça se sent même si les descriptions ne s'attardent pas dessus.

Pour ce qui est de la violence, même si les textes ne sont pas gores, elle est claire comme de l'eau de roche : dans "Sourdough", on meurt, on est mutilé, on accepte un destin pire que la mort, on voit mourir des proches qu'on espérait sauver.

Pour ce qui est des inégalités, elles aussi sont « discrètement criantes ». Il y a des rois et des pauvres, comme dans les contes classiques, mais on sent bien à des détails que la pauvreté n'est pas une situation qu'on pourrait aimer pour peu qu'on y mette un peu de bonne humeur ou de ce carré de sucre qui aide, dit-on, la médecine à couler. Les humains vivent en cercles concentriques autour des puissants ; ils reposent selon la même organisation au cimetière de la capitale. Et si on n'est pas plus heureux au centre, la vie y est au moins beaucoup plus facile.


C'est aussi un monde où les forces païennes de la nature sont présentes partout, jusqu'au cœur des villes, voire de familles qui ne le soupçonnent pas jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Un monde où des chiens-fantômes gardent les cathédrales, où des enfants disparaissent nuitamment, où on peut enchanter du pain, où on utilise des morceaux d'âme pour donner vie à des poupées, où des demi-trolles sont les fruits cachés d'unions bien peu naturelles. Et il y a la sorcellerie. Presque omniprésente. Toutes les femmes la connaissent, la sentent, l’utilisent ; beaucoup la pratiquent, à des degrés divers de maîtrise.


De fait, si les deux sexes sont bien présents dans les histoires de Slatter, c'est d'abord un monde de femmes qui est décrit – ou plus précisément les histoires de certaines des femmes qui l'habitent, chacune unique dans sa biographie plus ou moins périlleuse et en même temps chacune vivant certaines expériences communes qui sont celles de toutes les femmes.

Et je dis bien des femmes, pas des princesses ni des bergères – si certaines le sont dans la lettre, aucune ne l'est dans l'esprit. Trop de passivité dans ces deux figures pour les héroïnes de Slatter ; ses femmes luttent pour s'affirmer et suivre leurs inclinations, elles ne rêvent ni de se marier ni de reconquérir un amour perdu : « Within my grasp is my past, my former life. It slips and slides under my fingertips like treacherous silk. And here once again is my husband, who is beautiful still for all his flaws. Memories of before conjure rich flavours: Stellan before, our love and lust before; luxury and leisure, never knowing want or hardship. If I just stretch out my hand it can yet be mine. But there is a sour aftertaste; there is what happened, and what was done. There was loss and betrayal and it can never be erased. I shake my head. ‘No. Better we take our chances among the whores and thieves. They’re more honest, more loyal.’ »

Les héroïnes de Slatter, qu'elles fassent le bien ou le mal, sont (ou pas) des humaines, pleines de passions humaines, de noblesse ou de vilenie. Leurs buts s'entrechoquent, leurs désirs s'opposent, les méfaits des unes doivent être – et seront – punis par celles-là même qui eurent à les subir. Pas de chevalier servant salvateur ici. Parfois la famille ou le groupe aide, parfois même pas, et il faut se débrouiller seule.

Les hommes, eux, sont plus spectateurs ou jouets qu'acteurs véritables des situations. Ils tentent souvent de contrôler les femmes et n'y parviennent quasiment jamais, à l'extérieur qu'ils sont des petits détails qui connectent les femmes à la nature alors que les hommes, eux, ne se concernent que de ce qui est humain – se rendant ainsi aveugle à la moitié au moins de la réalité.


Tous ces personnages – surtout les femmes – se débattent pour accomplir leur destin dans un monde très construit que Slatter dévoile par petites touches, d'une histoire à l'autre, posant un nom, un lieu, une anecdote, sans avoir l'air d'y toucher. C'est un monde noir qui ne ressemble pas à celui, trop lumineux, des versions classiques des contes. Un monde dans lequel vivent, aux marges, des créatures fabuleuses, des trolls bien sûr, mais aussi des rusalkas vengeresses ou des fantômes d'enfants accompagnés de renards magiques.


L'ensemble crée une bien belle toile sur laquelle Slatter peint des personnages qui ne le sont pas moins, jusque dans leurs laideurs. Comme dans tout recueil, on aime plus ou moins tel ou tel texte, mais l’ensemble est globalement très bon, sublimé par les liens existant entre les nouvelles, certaines histoires sont vraiment excellentes, et quel plot twist final... A lire.


Sourdough and Other Stories, Angela Slatter

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