Ressortie en France de "Au Carrefour des Etoiles, Prix Hugo 1964 et grand classique de Clifford D. Simak, dans une version repimpée par une nouvelle traduction du seul et unique Pierre-Paul Durastanti.
Je ne l'avais jamais lu, c'est l'occasion.
Enoch Wallace, né en 1840, est un fils de fermier. En 1861, Enoch est parti comme tant d'autres faire la Guerre de Secession. Il y a vu les horreurs et l'absurdité de la guerre, il y a survécu par chance, il en est revenu marqué. Ceci, ce sont les deux premières pages.
Puis, lecteur, tu sautes à l'année 1964, et tu apprends vite qu'Enoch est toujours vivant, qu'il n'a visiblement pas vieilli, et qu'il vit toujours dans la ferme parentale, au fin fond d'un trou perdu du Wisconsin. Tout ceci, lecteur, tu l'apprends de la bouche d'un agent de la CIA, Claude Lewis, qui a découvert cette étrange histoire et veut la creuser plus avant.
Qui est Enoch ? Qu'est-il ? Comment expliquer son incroyable longévité ? En cherchant des réponses à ces questions, Lewis se lance dans une aventure qui va les placer, lui et Wallace, sur une trajectoire de collision qui impliquera bien plus que leur propre personne.
Car – et ça tout le monde l'ignore sur Terre – Wallace est le gardien d'une station de transit pour voyageurs galactiques, investi de la mission d'accueillir des aliens issus de centaines de civilisations différentes avant de leur permettre de poursuivre leur voyage. Et il est, bien sûr, tenu au secret.
"Au Carrefour des Etoiles" est un roman d'une grande simplicité. Loin de la Hard-SF, Simak y met en œuvre un système de transport galactique dont la plausibilité scientifique est proche de zéro. Car la crédibilité n'est pas le sujet de Simak. Ce qu'il veut montrer, c'est un homme simple – qui, fils de fermier, autodidacte, et chroniqueur, lui ressemble sociologiquement – à qui le hasard a offert la chance de côtoyer les êtres les plus étranges qu'on puisse imaginer, de leur parler, de s'en faire quelquefois des amis. Il montre un homme bon qui saute sur l'occasion d'élargir son horizon, d'apprendre des arts, des sciences, et des histoires inédites. Un homme qui note tout et rêve d'être un jour un pont entre les innombrables civilisations extra-terrestres et l'humanité.
Détaché progressivement du monde, en contact amoureux avec la foisonnante nature du Wisconsin, Wallace n'a de contact qu'avec le facteur, Winslowe Grant, qui lui apporte chaque jour ses nombreux abonnements de presse, et avec Lucy Fisher, une petite voisine, fille sourde-muette d'une famille de ruraux locaux qui chassent le raton-laveur et trafiquent de la gnôle. Et ces contacts ne sont pas superficiels, son amitié respectueuse pour Grant est véritable et réciproque, son affection pour l'étrange Lucy aussi.
Mais si Wallace est reclus, il n'est pas isolé. Ses nombreux amis sont d'ailleurs, généreux et bienveillants, quelle que soit leur forme, leur langue, leur mode de pensée parfois totalement incompréhensible. Et même si sa vraie vie est indicible à quiconque, il n'oublie pas l'humanité ; il ne cesse jamais d'espérer qu'un jour l'humanité rejoindra le Central Galactique et qu'elle pourra enfin bénéficier des bienfaits que lui apporteraient les technologies maîtrisées par des civilisation infiniment plus avancées que la nôtre. Wallace, un homme bon qui pourra peut-être, un jour, faire du bien pour l'humanité entière.
Ecrit après la
crise des missiles de Cuba, "
Au Carrefour des Etoiles" est un roman sur lequel plane la menace de la guerre, et singulièrement de la guerre nucléaire avec ses millions de morts dans le meilleur des cas. A l'aide de mathématiques extra-terrestres qu'il nourrit de nombreuses données pertinentes, il la voit venir avec presque la même certitude que celle qu'offrait la psycho-histoire d'Asimov aux membres de la
Fondation. Au point qu'il pourrait briser le sceau du secret pour tenter de l'empêcher.
Roman réaliste et optimiste à la fois qui lie le pessimisme de la raison à l'optimisme de la volonté (wink wink Gramsci), "Au Carrefour des Etoiles" livre un regard sans concession sur l'humaine pulsion de mort et ses conséquences délétères, sans oublier pour autant de montrer que la « société » galactique est potentiellement grosse des mêmes tensions et pulsions. Ce qu'affirme Simak c'est qu'il est possible, au prix d'un effort véritable, de tenir éloignées pulsions de mort et volonté de puissance qui caractérisent le vivant. Qu'il est possible aussi de se comprendre et de s'entendre par delà les différences d'intérêt ou même de nature. Qu'entre « hommes » de bonne volonté il est possible de se témoigner du respect, de reconnaître ses erreurs, et des les corriger avant qu'elles n'engendrent des conséquences irréversibles – l'épisode, très beau dans son traitement, de l'incident diplomatique avec le cadavre alien le démontre.
Plus étonnamment, Simak livre une vision transcendante de l'existence. Il y a une « force spirituelle » dans l'univers de Simak, qui lie le vivant à travers toute la galaxie, qui apaise aussi les tensions lorsqu'elle est proposée aux peuples par l'entremise d'un intermédiaire « touché par la grâce ». Il parait logique alors que le « royaume des cieux » physique qu'est le Central Galactique ait été donné à un homme simple comme Wallace, et plus logique encore que sa contrepartie spirituelle, avec la tâche de relier ce qui fut délié en ramenant la « force spirituelle » à la galaxie, incombe à la plus innocente de toutes les créatures. C'est une grande vérité que répète Simak ici, fut-ce sous forme métaphorique : les idées et les concepts ne suffisent pas à faire société si aucune transcendance ne lie ensemble des parties que leur diversité rend infiniment centrifuges.
"
Au Carrefour des Etoiles" est un roman de son temps. D'un temps où la peur du futur s'appelait atome et où on rêvait encore – alors que
Mercury se terminait et qu'Apollo commençait – d'un salut venu de l'espace. Les problèmes restent, même s'ils changent de nature, les solutions seront hélas moins simples. Humaniste et bienveillant, Simak y pose des questions éternelles et leur apporte une réponse qui ne l'est pas moins.
N'ayant pas lu la traduction originale je ne peux pas comparer, mais ayant lu celle-ci avec le texte VO sous la main, je peux dire que Durastanti a fait un beau travail de respect du texte et particulièrement de son caractère « to the point ».
Au Carrefour des Etoiles, Clifford D. Simak
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