La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

L'Anomalie - Hervé Le Tellier


Deux Goncourt en deux ans ! Diable ! Il va bientôt falloir m’enchaîner à la cave les nuits de pleine lune.
Cette année j'ai une excuse. C'est de l'Imaginaire. Peu ou prou. Le Goncourt renoue donc avec son histoire et même son origine ; le premier Goncourt, en 1903, fut attribué à Force ennemie, un roman SF de John-Antoine Nau.
Aujourd'hui, en 2020, c'est l'oulipien Hervé Le Tellier qui reprend le flambeau avec "L'Anomalie". Le ruban de Möbius est bouclé. Pour longtemps ? L'avenir seul le dira, mais j’imagine que les autofictionnalistes préparent déjà leur riposte.

"L'Anomalie", donc. L'histoire, je pense que tout le monde en France la connaît à peu près, la presse a fait son travail.
En mars 2021, le vol 006 AF Paris New-York se pose endommagé à JFK après avoir traversé un très violent foyer orageux. Aucun blessé néanmoins et les passagers poursuivent le cours de leur vie. Trois mois plus tard, un 'second' vol 006  avec le même équipage et les mêmes passagers à bord arrive en approche de JFK après avoir traversé un foyer orageux. Il est intercepté par l'USAF et le mystère commence.
Le résumé ci-dessus définit le point de départ de l'intrigue, la perturbation qui déséquilibre la situation initiale banale. Mais ce n'est pas ainsi que le roman est construit.

"L'Anomalie" est partiellement construit comme un film catastrophe des années 70. Il commence donc par la présentation d'un certain nombre de personnages qui se trouvaient tous dans le (les ?) vol 006. Une galerie de personnalités – écrivain, mère de famille, musicien, architecte, avocate, etc. – dont on entre dans une part de l'intimité, entre certitudes et doutes, projets et ruptures, alors que nul ne sait encore qu'il s'est produit (va se produire ?) quelque chose d'unique. Et, s'il s'est tenu à l'écart de la presse française, le lecteur non plus ne sait pas ce qui est arrivé (arrivera ?).
Au cœur de ces fragments biographiques s'insinue, comme pour les bouleverser, « l'incident ». Qui, une fois connu, interrogera le monde entier autant que les quelques centaines de vies individuelles directement concernées et conduira à certaines réévaluations de priorités – là je fais des efforts surhumains pour ne pas spoiler plus que la presse.

J'ai lu "L'Anomalie" en moins d'une journée – et pourtant il contient plus de mots que toute l’œuvre d'Amélie Nothomb. C'est dire s'il est efficace, et, honnêtement, jamais désagréable à lire.
L'écriture est fluide, la construction plutôt réussie, et le roman recèle quelques pépites comme l'épisode du Late Show qui dit la construction de la réalité télévisuelle, la solution simple à décrire que l'un des personnages, Blake, trouve à un problème simple aussi à décrire, ou le parallèle amusant entre le personnage de Victor Miesel et l'auteur lui-même – chacun acquérant une notoriété jamais obtenue jusqu'alors, en publiant tous les deux un texte intitulé L'Anomalie.

Pour ce qui est de la SF, puisque c'est de la SF qu'il s'agissait d'écrire – était-ce l'oulipienne contrainte ? – Le Tellier donne quantité de références – de gages ? –, de H2G2 à Donjons et Dragons (avec une erreur néanmoins sur le nom des niveaux), prenant bien soin néanmoins de ne jamais rien citer de trop spécialisé.
Et c'est dans cette approche grand public que le roman dévoile vraiment sa nature. Car Le Tellier ne fait pas que dans l'easter egg SF. Il veut aussi montrer qu'il est un homme du Monde, un écrivain qui sent vibrer chaque fil de la toile mondiale et renvoie à son lecteur, par l'entremise de ses personnages, un état des stocks (pour citer Enki Bilal) du monde contemporain. Tout le buzz du monde est donc dans le roman, de la pédophilie à l'homophobie en passant par les guerres US (et Trump) ou la misère africaine, sans négliger les crises environnementales, le fanatisme religieux, ou la sécession des riches. Là aussi, tout est abordé sans approfondissement.
Il ne néglige pas l'intime non plus, ces mondes qui pour l'individu sont parfois à eux seuls Le monde. Dans ces mondes privés, l'incident, confrontant les personnages à la réalité de leurs trajectoires, va contraindre à des choix douloureux ou permettre, peut-être, une seconde chance voire une rupture salvatrice.

Le lecteur de SF dira qu'il commence chez Christopher Priest, passe par Bostrom, et finit quelque part entre le Spin de RCW – Prix Hugo 2006 – et Mes vrais enfants de Jo Walton – Prix PSF 2017 –, à chaque fois dans des versions très édulcorées.
Le non lecteur SF lira une histoire entraînante qui le fait s'évader tout en lui parlant du monde et de lui, qui lui permet de se sentir intelligent puisqu'il comprend un livre qui est visiblement intelligent tant il mêle pop culture, culture classique, science, intimité, et questions contemporaines (comme on dit à Sciences Po).

En fait, "L'Anomalie" donne vraiment l’impression d'avoir été écrit pour concourir aux Prix littéraires. Il a le coté agaçant des blockbusters dont on sent que chaque élément a été minutieusement pensé pour être efficace et accrocheur, il en a aussi l'attrait, car, si tout fonctionne, et c'est le cas ici, les blockbusters peuvent être des spectacles vraiment agréables.
Il a aussi cette caractéristique des « bons » Goncourt : donner à des lecteurs qui parfois ne lisent pas d'autre livre le sentiment d'entrer avec aisance dans un roman primé, d'être tiré vers le haut par un texte primé par la profession. C'est déjà énorme. Et qu'importe si c'est très artificiel.

L'Anomalie, Hervé Le Tellier

Commentaires

Vert a dit…
Très intéressante ton analyse. Je pense que j'y jetterai un oeil même si j'ai toujours du mal avec les livres blockbusters.
Gromovar a dit…
En même temps, ça se lit vite.