La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Le voyage de Haviland Tuf - George RR Martin

"Le voyage de Haviland Tuf" est un fix-up SF de George RR Martin, écrit par le maintenant très célèbre auteur entre 1978 et 1985, et situés dans l'univers de Dying of the Light.

Les sept textes rassemblés dans le fix-up ont été originalement publiés dans des revues, et certains d'entre eux ont été primés – Guardians notamment a gagné le Locus de la novelette en 1982.

L'ensemble ressort aujourd'hui chez Actusf, un livre épais qui fait sérieux, avec jolie couverture et marque-page cousu.

Haviland Tuf est un marchand interstellaire de seconde voire de troisième zone. Ce géant de plus de deux mètres à la peau très pale et au bide prononcé est un végétarien convaincu qui est en même temps un gourmand compulsif, un amoureux de bonnes chères, et un fanatique de plats aux champignons. Il est par ailleurs un vrai « marchand à chats » – comme il y a des « écrivains à chats » –, entouré d'un nombre croissant de chatons et de chats adultes au fil des pages du livre. Des chats qui, souvent, utilisent leurs pouvoirs télépathiques pour aider Haviland dans ses négociations qu'ils ponctuent de feulements ou d'horripilations.

Un jour, après une expédition rocambolesque en compagnie de personnages aussi malhonnêtes que caricaturaux, il entre en possession de l'Arche, un immense (30 km de long) vaisseau de génie génétique et de guerre bactériologique porteur d'une science et d’équipements oubliés depuis un milliers d'années et la chute de l'Empire. Il va alors sillonner l'espace en apportant à des systèmes en péril sa technologie devenue unique – sans jamais oublier de la facturer.


A priori, sentant venir la bonne rigolade, je n'étais pas client. Mais je n'ai encore jamais lu de mauvais texte de GRRM, aussi le risque – réel – paraissait limité.

Le premier texte, celui au cours duquel Tuf entre en possession de l'Arche, m'a fait craindre le pire. L'humour est un art difficile, en plus d'être très référentiel, que certains maîtrisent – Douglas Adams par exemple – et d'autres non. Et là, lisant L'étoile de la peste, j'ai craint que GRRM ne sombre sur 500 pages.

Puis arriva le deuxième texte, Pains et poissons, et avec lui un soulagement qui devint satisfaction quand l’enchaînement des textes successifs montra que GRRM avait un plan et que ses voies n'étaient pas si impénétrables que ça, finalement.

Car si "Le voyage de Haviland Tuf" se passe dans un univers foisonnant et improbable à la Jack Vance – aussi riche que parfois épuisant du fait même de sa richesse toute de créatures et de lieux plus aliens les uns que les autres –, s'il est si old school qu'il charme et repousse à la fois par sa négligence volontaire de toute velléité de plausibilité scientifique astronautique, il n'en reste pas moins qu'il est aussi une déclinaison libre et plutôt finement conduite sur des thèmes de l'histoire humaine et les problèmes concrets auxquels l'humanité se heurte.


Surpopulation, révolution verte, contrôle des naissances. Epuisement des ressources naturelles (notamment des hydrocarbures). Pénurie de métaux ralentissant le développement. Inégalités obscènes et jeux du cirque. Exploitation de la nature, et anthropocentrisme meurtrier. Religion fanatique et totalitaire qui rappelle un peu les khmers rouges. Arbitrage décroissance/croissance verte. Intérêt général et égoïsme de certains.

Peu de nos questions ne sont pas dans le livre, et face à celles-ci Haviland Tuf règle un problème après l'autre, sans jamais tirer un coup de feu ni de canon, en n'usant que de l'immense science qu'il détient et de la rouerie sans limite qui l'anime.

Références bibliques évidentes, de l'Arche de Haviland pleine jusqu'à la gueule de génotypes aliens à un faux Moïse jouant le prophète sur une planète agraire et y réinterprétant les plaies d'Egypte. Pouvoirs quasi-divins conféré par la technologie du vaisseau à un Haviland qui, l'air de rien, transforme des systèmes planétaires entiers et bouleverse les sociétés qu'ils abritent. Il est difficile d'être un dieu affirmaient les Strougaski, le dilemme n'existe pas vraiment pour Tuf. C'est le rôle qu'il s'attribue sans le dire lors des missions qui lui sont confiées, jouant parfois même le génie qui feint de ne pas comprendre l'esprit de l'ordre donné pour l'interpréter dans un sens qui lui paraît aller vers plus de justice et de raison. Le tout sans avoir l'air d'y toucher et en jouant systématiquement la vierge outragée dans ses interactions.

C'est alors un personnage admirable que nous découvrons, un être bon et intelligent qui feint la cupidité ou la bêtise naïve pour parvenir à améliorer drastiquement des situations insatisfaisantes du point de vue de l'humanisme mieux que ne le feraient de longues et douloureuses guerres et sans jamais perdre de vue que l'homme n'est qu'un maillon d'un écosystème sans lequel il ne peut survivre durablement. Un guerrier sans armes, un Hodja plus qu'un Ulysse.


C'est donc un vrai bon moment que tu passeras, lecteur, en compagnie de Haviland Tuf, un moment à l'issue duquel tu te demanderas si GRRM, qui crée un personnage qui lui ressemble, truffe son fix-up de référence au monde des jeux qu'il affectionne, et dissimule d'abord son propos sous des atours old school qui peuvent paraître poussiéreux, n'est pas lui aussi ce faux naïf qui, comme Haviland Tuf le fait avec ses clients, t'a amené progressivement par ruse là où il voulait que tu arrives sans éveiller à aucun moment ta méfiance.

Le voyage de Haviland Tuf, George RR Martin

Commentaires

Vert a dit…
C'est un très très bon fix-up, d'autant plus qu'on ne s'attend pas à quelque chose d'aussi subtil. Beaucoup aimé.
Gromovar a dit…
Tout à fait. Un livre bien malin d'un auteur bien roué.