L’Oiseau qui boit des larmes (tome 1, Le Cœur des Nagas) est un roman de Lee Young-Do, premier tome d’une tétralogie de fantasy. Son auteur serait « Le Tolkien coréen » si l’on en croit le sticker apposé sur la couverture.
Diable ! Qu’en est-il ?
Le monde imaginé par Lee Young-Do est divisé en deux par une Ligne imaginaire. Au sud de celle-ci vivent les Nagas. Ils s’y sont installés non sans violence dans un lointain passé. Au nord on trouve les autres « humains », qu’ils soient Standards, Rekkons, ou Tokkebis.
Les Nagas sont petits. Ils ont le corps couvert d’écailles. Ils entendent mal, ce qui fait qu’ils parlent beaucoup moins qu’ils ne nilhent (une forme de communication par la pensée). Ils voient en revanche très bien, notamment les différences de température. Ils vivent dans une société matriarcale, sous la domination de matrones qui traitent les mâles comme un cheptel reproducteur – à l’exception des Protecteurs qui ont épousé la déesse et la servent dans un culte secret. Ils ne peuvent manger que des animaux vivants. Enfin et surtout, lors d’une cérémonie de coming of age, ils donnent leur cœur à la déesse, ce qui les rend quasiment immortels aussi longtemps que l’organe, conservé dans la Tour du Cœur, est intact.
Les humains standards sont...standards. Ils vivent dans des cités, parfois rivales.
Particularité notable : ils n’ont plus de rois depuis des temps très anciens. Un roi ne pourrait revenir que s’il s’excusait d’abord auprès d’un peuple de chasseurs qui, a priori, a disparu. Alors, les faux rois, would-be rois, presque rois abondent, dans un monde humain où presque n’importe quel illuminé peut convaincre un homme et un peuple que la légitimité est au bout du verbiage.
Les Rekkons sont humanoïdes, certes, mais ils mesurent 3 mètres, sont très forts, poussent des cris terrifiants, et ressemblent autant à des coqs géants qu’à des hommes. Honorables et courageux, parfois dotés d’armes terrifiantes, ils sont téméraires : le simple fait qu’ils risquent leur vie pour tenter de grimper sur les mystérieux poissons célestes (des poissons volants grands comme des îles et couverts des ruines d’antiques civilisations) en est une preuve suffisante. Ils craignent une seule chose : l’eau, qui provoque chez eux une véritable panique.
Les Tokkebis enfin sont facétieux, puérils, parfois couards – de vrais barjos dignes des Monty Python ! Mages du feu, ils sont capables de terribles destructions si celui-ci vient à être hors de contrôle mais peuvent aussi l’utiliser pour le jeu ou la protection. Ils ont peur du sang et réprouvent donc tant la violence que l’abattage des animaux. Ils sont capables de se « réincarner » dans un autre corps après leur mort en rejoignant un autre Tokkebi pour faire partie des Anciens.
Gens du Nord et gens du Sud n’ont aucun contact. Les Nagas ne peuvent venir au Nord, il y fait trop froid pour leur métabolisme. Quant aux autres humains, ils préfèrent éviter un Sud forestier aux mains de Nagas aussi mystérieux qu’inquiétants. Mais ceci va peut-être changer.
En effet, une équipe de trois Nordiques est envoyée au Sud pour exfiltrer un Naga qui doit rejoindre un monastère humain au Nord. Pourquoi ? On ne le sait toujours pas à la fin du tome – et les membres de l’équipe ne savent pas non plus ce secret qui est celui des moines seuls. Tout au plus sait-on que c’est d’une importance capitale pour l’avenir du monde.
Problème : le Naga conspirateur a été assassiné dans sa ville du Sud et c’est un de ses amis, naïf à tous les sens du terme, qui l’a remplacé.
Problème 2 : le remplaçant n'a pas donné son cœur, il est donc aussi mortel que quiconque.
Cerise sur le gâteau : le Naga de substitution est poursuivi par sa propre sœur qui doit laver dans son sang une dette d’honneur. Faible motivation et vengeance en cours rendront la mission d’exfiltration plus périlleuse que prévu.
Le Cœur des Nagas est un roman de fantasy, avec des tropes de fantasy. C’est aussi un roman de fantasy coréen, même si l’auteur rejette cette classification. Disons alors que c’est un roman de fantasy différent, étranger, alien aux deux sens du terme.
L’imaginaire de Lee Young-Do est, disons-le, dépaysant et poétique à la fois. Humanoïdes assez peu humains, poissons célestes géants, dragons-fleurs, tigres géants semi-conscients, grands scarabées volants, serpents divinatoires, le monde de Lee Young-Do (pas toujours aussi décrit qu’on le souhaiterait) est peuplé de créatures bien plus étranges imho que les Orcs ou Gobelins de la fantasy locale.
Le ton aussi est très différent. Parfois absurde ou loufoque, gore ou très spectaculaire, le roman propose un récit qui fleure bon le style manga avec ses animaux parlants, ses personnages très expansifs, ses situations invraisemblables, sa théâtralité omniprésente.
Deux questions importent maintenant : Est-ce un bon roman ? Et Tolkien alors ?
Commençons par Tolkien. Si la narration comme l’imaginaire diffèrent grandement, on retrouve néanmoins, si on veut jouer au jeu des parallèles, des ressemblances. Il y a bien un Grand-Pas, peut-être futur roi (qui, ici, a une obsession assez peu ragoûtante). Il y a des intendants qui se rêvent en rois. Il y a des Tours où on intrigue. Il y a une Moria. Il y a des mutants difformes qui rappellent les Orcs, descendants mutés des Elfes. Etc.
Sur la qualité du roman, je dirais que ça dépend de ce qu’on vient y chercher. Le dépaysement est là, les personnages sont mystérieux et/ou attachants, il y a une menace et une prophétie (encore floues), et quelques grandes confrontations. L’ensemble est très humain dans les sentiments, assez lent et atmosphérique, ce qui satisfera un type de lecteurs mais pas tous ; et parfois le récit pêche par solution de continuité.
Alors, décide-toi toi-même, lecteur. Si tu veux lire quelque chose de radicalement différent, de joyeux et de parfois bizarre, ce livre est pour toi. Si tu veux arpenter des territoires plus familiers ou plus immédiatement conclusifs, ce n’est peut-être pas la meilleure idée.
L’Oiseau qui boit des larmes t1, Le Cœur des Nagas, Lee Young-Do

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