Le Geôlier - Florian Quittard

Lieu indéterminé, date indéterminée. Un de ces espaces-temps incertains qui m’évoquent immanquablement Kafka. Qu’on peut attribuer aussi à Olga Tokarczuk ou à Karin Tidbeck , pour ne citer qu’elles. Saul Geôlier est gardien de prison. Oui, Saul Geôlier est geôlier, ce qui n’est pas absurde tant il ne fait qu’un avec un emploi et une fonction qui semblent être ses seules occupations. Il vit seul dans une petite cabane non loin de la prison où il officie. Il fait chaque soir le chemin qui relie sa cabane à la prison. Il prend son tour de garde nocturne auprès de prisonniers avec lesquels il a peu de contacts et de collègues qu’il fréquente à peine, sous les ordres d’un directeur qu’il n’a jamais rencontré. Au matin, sa garde accomplie, il rentre à la cabane. Il y collectionne les yeux des prisonniers (il faut lire pour comprendre) . Tous les jours, tous les soirs, tous les matins. Sans changement, sans promotion, sans perspective. Mais ce soir, le premier du livre, est spécial. Ce soir,...

Les croix de bois - Morvan - Percio - Dorgelès


Ayant déjà chroniqué des dizaines d'ouvrages (BD ou textes, fiction ou non-fiction) sur la Grande Guerre (sous le tag 14/18), je ne vais pas me lancer dans la chronique détaillée de celui-ci.
On y trouverait peu ou prou les mêmes éléments que dans mes autres chroniques sur le même thème : sauvagerie des combats, industrialisation du massacre, rationalisation de l'appareil militaire, combats et morts sans ennemi visible – la mort tombant du ciel ou surgissant d'une mitrailleuse à la vitesse du son –, sacrifices inutiles, cadavres grisâtres sur lesquels on court pour se mettre à l'abri, grand brassage social, camaraderie de nécessité, mithridatisation des âmes, incapacité à communiquer à l'arrière la vérité des tranchées, regrets éternels. Et la pluie, et la boue, et les poux, et les cagnas et la roulante.

Je veux donc simplement signaler qu'est disponible l'adaptation BD des "Croix de bois", le roman autofictionnel avant l'heure de Roland Dorgelès, prix Fémina 1919 (mais second au Goncourt derrière Proust). Et qu'elle est particulièrement réussie.

Roman écrit à la fin de la guerre par un engagé volontaire de 29 ans, journaliste et deux fois réformé pour problèmes pulmonaires – comme Henri 'Le Feu' Barbusse qui s'engagea, lui, à 44 ans en dépit de son âge et de problèmes similaires, "Les croix de bois" est l'hommage d'un homme à ses camarades et le témoignage d'un lettré sur une guerre qu'eux même ne pouvaient pas décrire pour le public, mots et relations leur faisant défaut.

Magistral, l'album de 102 pages reprend le récit et de nombreux passages intégraux des Croix de bois. Il y ajoute des passages coupés lors de la première publication par la censure et des moments de la vie de Dorgelès lui-même.

Comme le roman, l'album est fait d'une succession de tableaux qui disent l'horreur dans lequel furent plongés les combattants des deux camps (même si, point de vue oblige, c'est des Poilus qu'il est surtout question ici) et les liens qui se tissèrent entre ceux qui vécurent l'enfer - qu'ils aient survécu pour s'en souvenir ou qu'ils ne vivent plus que dans celui de leurs camarades plus chanceux.
Comme le roman, il offre au lecteur de très belles phrases et prouve, quelques décennies après Baudelaire, que tout peut être « beau » si on sait comment l'écrire.

Tout peut être beau aussi si on sait le dessiner, et les graphismes de Percio, indistincts ou précis suivant les moments, sombres, nets, dynamiques et comme pulvérulents, sont magnifiques, parfaitement adaptés à ce qu'ils racontent, offrant ainsi un superbe écrin à l'adaptation très réussie de JD Morvan.

C'est un grand album que voilà. A lire absolument.

Les croix de feu, Morvan, Percio, d'après Dorgelès

Commentaires

Baroona a dit…
Quand je l'ai vue dans les sorties - en me doutant que j'allais la retrouver ici sous peu ^^ - je me suis justement dit "tiens, encore une BD sur 14-18". C'est vraiment un vivier intarissable. À quand la liste des incontournables BD sur le thème ? =P