Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

A Summer Beyond Your Reach - Xia Jia


Parution après un crowdfunding et quelques tribulations de "A Summer Beyond Your Reach", un recueil inédit de nouvelles de Xia Jia traduites en anglais par Ken (himself) Liu, Carmen Yiling Yan, Emily Jin et Rebecca (Poppy War) Kuang.
Le recueil rassemble quatorze textes de longueurs variables.

Je l'ai déjà écrit ailleurs, la littérature d'Imaginaire chinoise est une littérature à laquelle l’expression éculée « Entre tradition et modernité » est parfaitement adaptée.
Littérature écrite par une génération tiraillée entre la mondialisation avec l'ouverture qu'elle amène (en dépit de la volonté du parti unique) et un sentiment national moins affaibli qu'en Occident, entre un vif intérêt pour l'espace et le souvenir encore vivant de la Révolution, elle doit aussi adresser le passage d'un holisme familial et social à un individualisme très occidental. Le tout en l'espace d'une ou deux générations seulement quand l'Occident a fait sa transition en deux siècles.

Comment l'individu se situe-t-il par rapport au groupe familial ou national ? Comment peut-il ou veut-il le faire ? Comment sacrifier à la tradition sans sacrifier ses désirs propres ?
Ce sont des questions qu'on trouve – sans doute encore pour un bon moment – dans toute la littérature chinoise, et singulièrement dans celle d'Imaginaire qui a pour elle l'avantage de disposer de moyens originaux pour exprimer un malaise existentiel ou envisager une solution technique à la tension entre la tradition et son lot de devoirs et une modernité individualiste source d'éclatement géographique, entre diaspora intérieure et émigration lointaine.

Ces questions qui sont celles des Chinois de la modernité sont encore plus prégnantes dans l'esprit des littérateurs, femmes et hommes lettrés et éduqués qui perçoivent mieux que d'autres à quel point l'équilibre actuel est instable, et qui se trouvent en première ligne, du fait de leur éducation supérieure, de choix inédits à faire concernant leur carrière, le lieu géographique de celle-ci et donc de leur vie d'adulte, le statut matrimonial qu'il souhaite se donner et les moyens d'obtenir ce dernier.
On trouve tous ces thèmes dans les nouvelles de Xia Jia, comme dans celles d'autres auteurs chinois. Elle y ajoute – la plupart du temps – une finesse toute personnelle dans la description des sentiments, une grande culture classique tant chinoise qu'occidentale, une compassion véritable pour ses personnages, et une belle verve descriptive.
Elle y ajoute de manière très explicite ici les interrogations d'une génération pour laquelle les règles du mariage changent fortement (symbole le plus explicite des tensions sus-citées), entre amour, carrière, et arrangements familiaux, sur un marché matrimonial tendu du fait du déficit de femmes résultant de la politique de l'enfant unique et des avortements sélectifs qui en ont été l'effet pervers.

Six Views of a Spring Festival est une histoire kaléidoscope, le tribut de Xia Jia aux transformations qu'amèneront changements techniques et sociaux sur la façon de vivre la plus importante des fêtes chinoises, entre médiatisation à outrance, réseaux sociaux omniprésents, naissances et mariages, prédictibilité des vies et des destins, obligation implicite de réussite, et réunion virtuelle pour l'anniversaire d'une aïeule. Un très beau texte, long, qui plonge le lecteur dans une Chine prochaine qui est déjà presque là et qui dit déjà presque tout de ce qui est à dire.

The Psychology Game est un hommage à l'Imitation Game de Turing et une critique feutrée de la télé-réalité. Bof.

Avec Up in the Air, Xia exprime de manière très poétique les heurts et malheurs qu’entraîneront (ou entraînent déjà) pollution et/ou changement climatique. Un joli texte, qu'on peut rapprocher, dans le fond, de The Waste Tide.

Meeting Anna est une sorte de conte de fées très beau et presque magique sur la rencontre éphémère de deux êtres à l’heure des réseaux sociaux omniprésents.

On Miluo River est un hommage à la psycho-histoire d'Asimov doublé d'un clin d’œil science-fictif et sensible à la relation que peut entretenir un apprenti écrivain avec un auteur confirmé qui le conseille à sa demande durant l'écriture d'un texte. Joliment écrit, il plonge au cœur de la culture classique chinoise mais peine à exalter en raison d'un caractère trop répétitif.

A Time Beyond Your Reach est un long texte qui dit un amour d'enfance qui dure une vie durant. Un amour, presque jusqu'à la fin, à sens unique, un amour entre deux êtres aussi différents entre eux qu'ils le sont des autres, un amour que la science aidera et qui saura aller jusqu'au sacrifice, un amour dit en « je » et « tu » – « je » racontant et « tu » étant celui dont « je » parle, « tu » qui es très loin de savoir tout ce que « je » dis et pense. Très finement écrit, l'histoire implique le lecteur dans une relation déséquilibrée au long cours dont l'alternance des « je » et des « tu » dit parfaitement le caractère tragique. Un très beau texte, très émouvant – avec un soupçon de Bonnie and Clyde inside.

Tick-Tock est une réflexion sur les avatars virtuels, sur leur libre arbitre inexistant, sur la tristesse qu'il y a à ne pas savoir qu'on n'est qu'une simulation. Assez fine dans sa description, elle manque néanmoins un peu d'enjeu, la conclusion se devinant d'assez loin. Et puis, Matrix est passé par là.

Eternal Summer Dreams est un récit épique narrant les rencontres, du début de l'Homme à la fin des temps, d'un « Voyageur » temporel et d'un Immortel. Sentiments vifs entre les deux, destins contrariés, amour inévitable, de saut temporel en saut temporel les deux héros se croisent, se perdent, se recroisent, au long d'une chronologie historique qui n'est pas leur chronologie biographique. Joliment fait.

Heat Island dit la haute technologie militaire développée par les cerveaux les plus brillants du pays, et la vie des très nombreux étudiants chinois, entre émulation, travail intense, compétition féroce, et si peu de temps pour les sentiments annexes. Générationnelle, pas la meilleure.

Duet of Love s'interroge avec son héroïne sur la nécessité de l'amour, sur les problèmes qu'il pose, sur les bienfaits d'une société qui est en train de techniquement le faire disparaître, sur les avantages et inconvénients des mariages sans amour. Un texte qui peut rappeler les tirades anti-sentiments et pro-stabilité sociale de l’Administrateur Mondial Mustapha Meunier dans Le meilleur des mondes puis qui semble s'en éloigner à la fin.

Light of Their Days est un joli texte d'amour par-delà les générations, celui d'une jeune fille pour sa grand-mère et d'une Chinoise contemporaine pour la génération de la guerre et de la Révolution. Elle montre comment la technique peut aider à franchir le gap et à rendre des biographies, lointaines au point de paraître étrangères, compréhensibles. C'est un appel au passage de témoin, à la transmission des histoires, à la résistance à l'oubli.

All You Need is Love raconte une histoire de date (en vue de mariage) qui conduit à découvrir une technologie inédite ici : l'ajout par neurochirurgie d'une passion de son choix (comme on ferait une opération de chirurgie esthétique).  Trop technique et trop courte imho.

Pour Night Journey of the Dragon-Horse et le très beau Tongtong's Summer, je reprends ici ce que j'en disais ailleurs. Il y a assez pour savoir sans être spoilé.
J'insiste juste une nouvelle fois sur la qualité de Tongtong's Summer, à lire absolument :

Tongtong's Summer possède les mêmes qualités de finesse et d'émotion (que A Hundred Ghosts Parade Tonight, absente de ce recueil). On y voit la technologie proposer une solution au vieillissement de la population chinoise, une solution qui respecte le devoir filial sans négliger de faire une place et d'offrir une vie vraie à la partie vieillissante de la Chine moderne.

Night Journey of the Dragon-Horse est un texte beau et poétique, post-humanité, qui rappelle par son début la fin des Fables de l'Humpur de Bordage, propose peut-être une théorie de textes à écrire, et met en vedette le seul et unique Dragon-Cheval de Nantes. Yeah !

A Summer Beyond Your Reach, Xia Jia

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