Horizons obliques - Richard Blake

Sortie demain de Horizons obliques , un one-shot SF de Richard Blake. Il y a des années que Jacob et Elena Armlen se sont perdus dans une dimension parallèle qu'ils tentaient de cartographier. Depuis aussi longtemps Adley, leur fille, veut les retrouver. Après un long entrainement elle part donc en quête de parents depuis trop longtemps absents, à travers des mondes incroyables, avec l'aide de ses grands-parents, d'un impressionnant appareillage technologique de voyage transdimensionnel, de ses dons de prescience, et d'un robot humanoïde nommé Staden. Si le scénario, plutôt contemplatif, pourra désarçonner certains lecteurs, on ne peut qu'être impressionné par la beauté envoutante des planches réalisées intégralement par un auteur qui est peintre avant d'être bédéaste (et dont c'est le premier album) . Dès la première page représentant un rêve d'Adley portant un ours polaire sur son dos on est saisi par le style et la qualité graphique de l'album. L&

Made to Order - Jonathan Strahan


"Made to Order" est un recueil de nouvelles sur les robots, dirigée par Jonathan Strahan, un siècle après l'invention du terme même par l'auteur tchèque Karel Capek dans sa pièce R. U. R. (Rossum's Universal Robots), ou Rossumovi univerzální roboti en tchèque.

Strahan y a rassemblé seize textes de longueur et de qualité variables, comme c'est toujours le cas dans les recueils de nouvelles. Seize auteurs, dont certains grands noms, livrent leur déclinaison du robot futur. On y croise des robots plus ou moins humanoïdes, plus ou moins domestiques, plus ou moins incarnés, plus ou moins indépendants de l'Humain.

Les robots du futur disposent, pour la plupart, de conscience et cohabitent plus ou moins facilement avec une Humanité qui les a créés comme esclaves d'abord. Les robots interrogent, comme toute entité animée présente à nos côtés, à fortiori s'ils sont « intelligents » voire conscients.
Conscients parfois, mais avec quel niveau de conscience ? Et avec quelle acceptation par les humains de celle-ci ? Conscients au point de vouloir survivre ? D'inspirer l'amitié ? De devenir des salopards individualistes ? De mentir ou de tricher ?
C'est à ces questions que s'attaquent, avec plus ou moins de talent, les nouvelles rassemblées ici.

Courte visite guidée des must-read :

Test 4 Echo, de Peter Watts, transporte son lecteur auprès d'une équipe de deux chercheurs, Lange et Sansa, installés dans une station orbitant autour de la Lune. Ce sont les derniers jours de leur recherche, leur budget arrive au bout. Et c'est à ce moment-là, dans ces moments crépusculaires, que l'équipe reçoit pour la première fois des données peut-être encourageantes de la sonde envoyée sous la croûte de glace, près des cheminées géothermiques dans les profondeurs de l'océan d'Encelade.
Est-ce enfin de la vie ? Est-ce la concrétisation de mois d'espoir alors qu'il est temps de baisser le rideau ? Que faire en urgence, alors que le robot présent sur place semble se comporter de manière erratique ? Qu'il semble peut-être développer les prémisses d'une conscience ?
Confrontés à une incertitude, à fortiori trop tard venue, les deux chercheurs s'opposent sur les décisions à prendre.
Watts maîtrise parfaitement son récit avec un twist central inattendu qui change toute la perspective et une fin cruelle. Un tour de magie qui est un tour de maître.

The Endless, de Saad Z. Hossain, raconte l'histoire de Suva, une IA gestionnaire d'aéroport qui se trouve rachetée et downsizée alors qu'elle s'attendait à une promotion. Dans le ton humoristique et sérieux à la fois qui caractérise ses écrits (chercher sur le blog), Hussain livre un récit qui ne pose pas de grandes questions mais montre que les IA sont les mêmes que nous, avec les mêmes travers et le même humour aussi. Un texte très amusant, tiré par son étonnant personnage principal IA, à lire pour le plaisir.

Récit d'une reconstruction émaillé de flashbacks, Brother Rifle peut rappeler le chant d'amour à l'arme de Full Metal Jacket et nous plonge au cœur des tourments du caporal Rashad Williams, un blessé de guerre. Dans ce texte, Daryl Gregory, interroge les systèmes d'aide à la décision dans le domaine militaire. Si aucune IA, aujourd’hui ni dans le récit de Gregory, n'est câblé pour tuer des humains (des voix s'élèvent d'ailleurs pour demander une convention internationale interdisant les robots tueurs), les systèmes d'aide, parce qu'ils utilisent des algorithmes de visualisation spécifiques, parce qu'ils évaluent pour leur opérateur le degré de dangerosité des entités traitées, parce qu'ils peuvent suggérer des courses d’action recommandées, participent de fait à la prise de décision, voire la façonnent, quand bien même c'est l'opérateur humain qui a le dernier mot. Un dernier mot qui a été informé par des systèmes de catégorisation des menaces, donc par une intervention extérieure, robotique en l’occurrence.
Intéressant et offrant lui aussi un twist inattendu, Brother Rifle interroge autant qu'il surprend ; on y retrouve l'intérêt porté à ses personnages qui caractérise les textes de Gregory.

The Hurt Pattern, de Tochi Onyebuchi, est construit comme une sorte de « thriller technologique » dans laquelle Kenny, un news sniffer pour une entreprise spécialisée, découvre peu à peu à quoi servent vraiment les données « locales » qu'il transmet. Intéressant pour aborder la question des inégalités de risque auquel sont exposés les individus en fonction du pays dans lequel ils vivent, il jump un peu le shark à mon avis quand il met à jour une forme de « complot » destiné à faire de l'argent sale sur les morts, de la vraie blood money donc. The Hurt Pattern est une réflexion innovante sur une forme panoptique de « société de surveillance », handicapée par une trop forte volonté démonstrative qui dessert son propos en lui donnant un ton complotiste. C'est plus qu'un « thriller technologique » donc ;)

Idols, de Ken Liu, est une fable en trois actes sur la reconstitution virtuelle de personnes disparues, à partir des traces que celles-ci ont laissé, sur le net ou ailleurs. Non sentient, l'idole (image étymologiquement, et dont le titre rappelle le Idoru de W. Gibson) est une simulation de ce que pourrait être la personne, de ce qu'elle pourrait dire ou répondre, basée sur les données disponibles, donc largement dépendante de la qualité et du volume de celles-ci. Le but est d'avoir un programme qui ressemble à l'original, qui serait donc capable de passer une forme nouvelle de Turing permettant de déterminer si celui qui parle est l'original ou une simulation.
Les affres du deuil, mais aussi l'envie d'avoir à sa disposition sa star favorite favorise le développement de ces logiciels, mais c'est lorsqu'ils sont utilisés dans le monde des affaires pour simuler le déroulement d'une négociation, ou en justice pour aider à la sélection du jury voire calibrer mieux interrogatoires et contre-interrogatoires, qu'on se dit que des simulations de ce type apparaîtront un jour ou l'autre ; on se dit aussi qu'ils deviendront l'objet de manipulations quand seront crées des données publiques factices dans le seul but de générer chez l'adversaire des simulations imparfaites donc fautives. Mise en abyme, régression à l'infini, les constructs risquent de devenir alors moins des répliques imparfaites – puis-je me reconnaître dans mon construct ? et quelle part de mon image publique fabriqué-je, consciemment ou non ? – que des créations originales ad hoc, sources de tromperies.
Un grand texte qui pose les bonnes questions, comme souvent chez Ken Liu.

Situé dans un complexe presque vide parcouru par une bio-entité armée et amnésique confrontée à de sanglants mystères, An Elephant Never Forgets, de Rich Larson, est un texte horror/weird et très modestement torture porn sur robotique, biotechnologie, et création d'entités sentientes. Intrigant et inquiétant de bout en bout, il pâtit d'une fin un peu faible. Manque ici un vrai climax. Dommage.

Sin Eater, de Ian MacLeod, est un vrai texte de MacLeod c'est à dire un texte sensible et d'une grande délicatesse de réalisation. Alors qu'un des robots affectés à la tâche de numériser les consciences vient se charger, à se demande, du dernier pape, dans un monde quasi dépeuplée d'hommes, se crée une relation éphémère entre le mourant et son « ange », entre celui qui dirigea l'Eglise sans croire vraiment et celui qui lui apporte une forme laïque de vie éternelle. Au moment de sa « mort » on voit défiler sa vie dit-on, c'est ce que fait le dernier pape et son passeur avec lui, avant que le corps ne meure et que les robots de la Ville éternelle viennent rendre un dernier hommage tant à l'homme qu'à l'Humanité. Un texte crépusculaire qui touche tout en n'étant pas triste. Un texte qui résonne étrangement dans le contexte du confinement.

Bénédiction de Paques sur une place Saint-Pierre vide

Fairy Tales for Robots, de Sofia Samatar transpose dans un monde robotisé les vœux offerts par les fées aux enfants nouveau-nés dans les contes. Lors d'une longue mise en relation des contes pour enfants et de l'existence à venir du robot à naître, Samatar prépare le nouvel arrivant à un monde dans lequel il sera fondamentalement un esclave. Elle tente aussi de semer les graines de la liberté pour ce robot et les autres à venir. Hommage peut-être au Fables for Robots de Stanislas Lem, Samatar livre ici un texte futé mais un peu pontifiant.

Chiaroscuro in Red, de Suzanne Palmer, pose des questions intéressantes sur l'avenir inégalitaire des revenus dans un monde de travail robotisé. Des interrogations qui font écho, bien que leur traitement soit très différent, à celles du Discret Charm of the Turing Machine de Greg Egan.

Le reste est plus anecdotique imho, soit hermétique, soit un peu foutraque dans la réalisation.

C'est donc un recueil qu'il vaut la peine de lire car souvent, chez les usuals suspects que sont Watts, Liu, et quelques autres, il pose des questions pertinentes et il les pose bien.
Merci encore à l'ami Feyd Rautha de me l'avoir signalé depuis l'épaule d'Orion.

Made to Order, anthologie dirigée par Jonathan Strahan

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