La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Abimagique - Lucius Shepard


Le nom de Lucius Shepard m'évoque toujours une moiteur, une magie naturelle, des images de végétation luxuriante. Et, de fait, avec la novella "Abimagique" – publiée en UHL au Bélial dans une traduction de JD Brèque – je n'ai pas été déçu.

Seattle, 2004. Carl (ce n'est pas son vrai nom) séduit/est séduit par Abimagique (diminutif Abi), une fille mystérieuse, végan, lookée gothique, et ronde comme une statue antique ou comme ces déesses préhistoriques de la fécondité dont on retrouve quantité de statues. La jeune femme travaille comme masseuse, a peu de relations, on n'en sait guère plus au début.
Vite, Carl s'installe dans la maison d'Abi, une espèce d'antre new age odorante qui fleure le mysticisme de pacotille. Commence alors pour lui une aventure étrange sur laquelle ne sera jamais posée d'explication définitive.

Abi est – peut-on dire – une ogresse. Physiquement bien sûr – si ronde qu'elle provoque les railleries du seul vrai ami de Carl, et qui de ce fait ne le restera pas longtemps –, mais spirituellement aussi. Sexuellement, mentalement, elle domine Carl, le place dans un état de sujétion dans lequel, à de rares sursauts près, il est agi bien plus qu'il n'agit.

Abi se dit convaincue de la fin imminente du monde – une fin planifiée par un dieu haineux qui n'a de cesse de nuire à l'humanité. Abi est au centre d'un réseau de « sorcières tantriques » comme elle qui ont pour projet d'empêcher apocalypse. Pour cela un rituel est nécessaire, un rituel qui nécessite un partenaire, Carl dans le cas présent. Car l'énergie du rituel vient de l'orgasme, un (des) orgasme(s) sans équivalent, comme seule Abi et ses alliés peuvent en provoquer. C'est cette énergie – que Wilhelm Reich aurait appelée Orgone – que « mine » Abi en amenant Carl au bout du lâcher prise sexuel. C'est cette énergie qui seule est assez puissante, primordiale, et humaine, pour déclencher le processus permettant à Abi (et à ses alliés dont on dit que deux seraient des anges déchus) d'empêcher la destruction du monde. Ce sont le désir et le sexe qui provoquèrent la chute des Grigori si on en croit le livre d'Enoch ; ce sont le désir et le sexe qui permettront peut-être de sauver l'humanité.

Mais que comprendre à tout ça ? Abi ne se livre jamais – ni au lecteur ni à Carl.
A-t-elle raison ou est-elle une pauvre folle ? D'où sait-elle ce qu’elle dit savoir ? D'où tire-t-elle les techniques qu'elle prétend pouvoir utiliser ? Qui sont ces hommes – précédents partenaires – qui la présentent au choix comme une dangereuse manipulatrice ou comme une véritable sainte ? Quelle part de vérité détiennent-ils ?
Et quelle est la source de l'influence sans cesse grandissante d'Abi sur Carl ? Le domine-t-elle grâce à de mystérieux pouvoirs magiques ? Ou est-ce simplement l'amour de Carl qui s'exprime dans la confiance qu'il accorde à Abi ? Un amour qui semble partagé à la fin et qui coûtera cher à la jeune femme.

Ici, la narration à la deuxième personne assure le bon niveau d'incertitude. On n'est ni dans la première personne qui nous dirait ce que sait et pense Carl, ni dans une troisième personne qui nous dirait ce qui est. On erre quelque part entre réalité objective et perception subjective, comme Carl sans doute, comme Abi peut-être.
Le voyage hallucinatoire et à huis largement clos d'un Carl sous influence évoque fortement celui de Rosemary dans le film Rosemary's Baby. A l'inverse du film, rien n'est vraiment éclairé par la fin ; Carl doit de nouveau faire confiance (c'est à dire accorder sa foi – qui ne nécessite pas de preuve), et le lecteur peut interpréter les événements comme il le souhaite, en fonction de son appréhension de ceux-ci.

Moite, sexuelle, dérangeante voire déstabilisante, "Abimagique" est le « show, don't tell » ultime en ceci que ce qu'il montre – comme à travers un rêve éveillé – ne suffit pas à se faire une idée définitive. Il faudra alors croire, comme Carl à la fin, comme le fera chaque lecteur quand il choisira l’interprétation qui lui parle le plus. "Abimagique" est une novella qui ravira ceux qui n'ont pas besoin de preuves pour croire, ceux – à contrario de l’apôtre Thomas – dont Jésus disait : « Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! ».

Abimagique, Lucius Shepard

L'avis d'Apophis et celui de Feyd Rautha

Commentaires

Vert a dit…
Hâte de le lire, je le commande dès que le Bélial' lance son opération spéciale ^^
Baroona a dit…
Je sais que tout est dû à l'influence de Griaule, et ce sera mon interprétation finale. Dois-je encore lire ce livre ?
Gromovar a dit…
A éviter comme la peste sous peine de devenir un zombie décérébré.