Hummingbird Salamander - Jeff VanderMeer

Cette chronique vous parlera de la dérive de Jane et de celle du monde. Jane Smith. Appelons-la Jane Smith puisque c'est le seul nom qu'elle nous donne – même si elle se présente à certains sous le pseudonyme Jill –, sans oublier de signaler qu'elle anonymise aussi, par sécurité, tous les autres protagonistes de Hummingbird Salamander , ce témoignage qu'elle laisse pour un hypothétique avenir et que Jeff Vandermeer présente comme un roman qu'il aurait écrit. Jane est très grande, très costaude, très forte, une montagne de femme. Elle a grandi dans une ferme. A perdu un frère à l'adolescence. Vit avec son mari et sa fille adolescente. Travaille dans la sécurité corporate (une des seules femmes à ce poste dans une firme où l'on est, à juste titre, aussi paranoïaque qu'à la CIA) . Un jour, le barista d'un coffee shop lui remet une enveloppe qui contient une clef, une adresse et un numéro. Au dos de l'enveloppe est griffonné : « If you received this,...

Certains ont disparu et d'autres sont tombés - Joel Lane - Filigree and shadows


"Certains ont disparu et d’autres sont tombés" est un recueil de 30 nouvelles de l'auteur anglais Joel Lane. L'ouvrage, inédit, est le fruit du travail aussi patient que passionné de Jean-Daniel Brèque, anthologiste et traducteur.

Que trouvons-nous dans ce recueil ?

30 textes fort joliment écrits, une prose poétique mélancolique, d'un genre qu'on pourrait qualifier de fantastique interstitiel pour ne pas le dire aickmanien. Car le fantastique de Lane est aux marges du récit, parfois subliminal comme une 25ème image, parfois résidant seulement dans l'étrangeté intrinsèque d'un monde en déréliction.

Un fantastique qui trouve son épicentre dans le Black Country, autour de Birmingham, ce cœur de la Révolution Industrielle que son histoire même prédisposait à devenir le lieu sacrificiel de la désindustrialisation.

Des récits touchants qui donnent à voir l'étendue de la désintégration d'une société anglaise victime du thatchérisme, du post-thatchérisme, du post-post-thatchérisme, jusqu'à des futurs ou des réalités possibles bien pires encore.

Entrez dans le monde de Lane.
Une violence constante à bas bruit n'attire plus l'attention d'une police sous budgétée.
Entre paupérisation et privatisation, les transports publics ou l'hôpital ne valent guère mieux.
Le travail ne fait plus lien social. Entre usines fermées et restructurations qui n'épargnent personne, si on n'en meurt pas, on se retrouve à errer, à vivre à l'hôtel, à boire du mauvais alcool ou à s'abrutir de drogue frelatée.
Pas de repli sur la famille. Elle est au mieux dysfonctionnelle, au pire disparue.
L'amour est un espoir futile. Seul le sexe vainc parfois la solitude. Il est indifféremment échange de bons procédés sans lendemain, achat de services proposés par des pauvres à des pauvres, ou défouloir à la frustration d'une vie sans contrôle.
Et puis la maladie rode, qui souffle sur les flammes et les éteint souvent. La maladie ou le malheur, cancer ou catastrophe industrielle, séparant les couples qui auraient pu durer.

Tout ceci, Lane le décrit au fil des presque 400 pages du recueil.
Il montre le durcissement des relations humaines qu'une civilisation en fuite ne police plus.
Il narre la solitude, le désespoir, la folie, l'envie de s'étourdir, le besoin de faire souffrir comme on souffre ou d'associer les deux dans le suicide.
Il raconte l'intrusion discrète de créatures que la rationalité du monde moderne tenait à l'écart jusqu'alors ; le sommeil de la raison engendre des monstres. Antigens et fantômes hantent les rues sales, les terrains vagues, les voies de chemin de fer désaffectées, les friches industrielles, les pubs et les clubs dans lesquels subsistent, le soir, les derniers lambeaux de vie sociale, si misérables soient-ils. Ils tourmentent les humains ou s'en nourrissent ; qu'importe, ceux-ci sont déjà morts. Même les vampires sont au bout du rouleau.

Tout ceci, Lane le raconte sans grandiloquence, sans hurlement. Même quand il faudrait hurler, ce sont les actes ou les faits qui hurlent, pas les personnages et pas l'auteur non plus. Au fil des textes (et même s'il m'en a fallu deux ou trois pour entrer dans le rythme), Lane impose une poésie de l'effondrement, de l'anomie réalisée, du réensauvagement. Il raconte la dissolution des liens sociaux, et pose sur les relations condamnées qui demeurent un regard d'un cynisme aussi glacial que pertinent – et souvent drôle, de cette drôlerie qui est la politesse du désespoir.

Certains ont disparu et d’autres sont tombés, Joel Lane

Commentaires

artemus dada a dit…
Oui, un bien chouette recueil.

Comme je le disais ailleurs, les quelques nouvelles qui font parties du cycle policer/fantastique sur la trentaine proposée, m'ont rappelé le John Constantine (Hellblazer) du court run de Warren Ellis.

Et ta description de l'ensemble, rejoint mon propre sentiment.

Une très belle découvert.
Gromovar a dit…
Une belle découverte en effet.

Et je n'ai jamais lu Hellblazer mais j'irai voir à l'occasion.

Merci.
zen arcade a dit…
Je suis en pleine lecture et je trouve que ta chronique montre parfaitement bien ce qui fait la singularité de l'univers de Joel Lane.
Très chouette découverte.
Gromovar a dit…
Alors, impec'. Merci.