Que faire un dimanche après-midi venteux pour passer une petite heure et demi ? La mer étant le lupanar des poissons et les collines d'Aubagne rongées par les flammes, on les évitera absolument. Reste alors la relecture des deux albums les plus SF de Tintin (avec
Vol 714 pour Sidney, pour être honnête), "
Objectif Lune" et "
On a marché sur la Lune". C'est chose faite.
Je ne vais pas ici chroniquer ces deux albums (aventure scientifique, exploration spatiale, et thriller guerrefroidiste) tant ça a déjà été fait, ni les passer au crible du juste et du faux comme Roland Lehoucq himself
l'a très bien fait ailleurs. Juste partager les quelques remarques que m'inspire une œuvre dans laquelle je ne m'étais pas replongé depuis des décennies.
En vrac :
Ecrit de 1950 à 1954, soit presque 20 ans avant le vrai alunissage d'Armstrong – avant même que le projet soit officiellement lancé ou que le Spoutnik soviétique ait décollé pour la première fois –, le diptyque fut un vrai travail d'anticipation, qu'on dirait aujourd’hui SFFF, fondé sur des recherches plutôt sérieuses d'Hergé.
- L'auteur fait montre, dans les albums, d'une vraie volonté pédagogique. Ses personnages expliquent donc largement et plutôt clairement les aspects scientifiques et techniques du voyage. Ceci vaut aussi bien pour l'enrichissement de l'uranium ou la fabrication du plutonium (pour le moteur atomique de la fusée) que pour les questions de pesanteurs différenciées Terre/Lune ou les effets concrets de l'apesanteur. Il y a donc dans deux pages quelconques de ces albums autant de textes que dans un numéro complet des Légendaires par exemple (autre temps, autres mœurs).
- Il prévoit l'utilisation d'un moteur chimique d’atterrissage et de décollage, moteur atmo suppléant à un moteur atomique inutilisable lors des manœuvres atmosphériques de la fusée.
- Il évoque, sans développer, la vitesse de libération du puits de gravité terrestre.
- Il décrit l'écrasement de l’accélération (jusqu'à l'évanouissement des passagers), la pesanteur artificielle créée par l’accélération du moteur allumé, et le retournement du vaisseau à peu près à mi-distance d'un voyage organisé sur un cycle accélération/décélération intégral (comme les arches de la SF contemporaine).
- Il fait enfin atterrir ses héros sur une Lune désolée dans le ciel de laquelle les étoiles – faute d'atmosphère – ne scintillent pas, sur laquelle on gambade en bondissant, et où il importe de réaliser des mesures de radiations pour profiter de l'absence d'atmosphère.
Beaucoup de choses collent donc plutôt bien à la réalité – avec quelques réserves mineures. C'est surtout la fusée rouge et blanche
(une peinture en damier vraiment utilisée sur les V2 pour des raisons pratiques) qui pêche. Peu après la guerre et Hiroshima, Hergé invente une fusée qui évoque la V2 hitlérienne en version habitable et atomique. Un seul étage, aucune considération explicite de masse transportable, un moteur atomique, la versatilité de la fusée est sûrement le point le plus faible de l'invention « réaliste » d'Hergé
(à moins qu'on considère que le moteur atomique emporte un « carburant » si énergétique qu'il permet de dépasser le problème).
Le pilotage quasi-manuel aussi rappelle plus Jules Verne que la NASA.
Quant à la question du confinement du cœur, Hergé n'imagine pas à l'époque d'autre solution qu'un isolant siliconé baptisé
tournesolite, loin des tores magnétiques qui sont la norme aujourd'hui dans la SFFF ou les véritables réacteurs de fusion ; la fusion contrôlée n'était pas, en 50, à l'ordre du jour.
Les grottes à concrétions et la glace lunaire, enfin, sont, elles aussi, peu crédibles.
Mais qu'importe – et en dépit des
running gag un peu pénibles d'Haddock et des Dupont-d, il y a un vrai
sense of wonder appuyé sur des connaissances scientifiques loin d'être ridicules. Et, même si j'ai lu ces albums pour la première fois au moins dix ans après le premier vrai alunissage humain, je peux imaginer le frisson, l'excitation, l'émerveillement qui ont dû saisir les lecteurs des premières éditions, emportés par Hergé – comme le dit Tournesol – là où personne n'était jamais allé avant.
Tintin : Objectif Lune, On a marché sur la Lune, Hergé
Commentaires
A la fois plus riche en sens et nostalgique car il y a certaines vignettes dont je me rappelais comme si je les avais lues hier.