Sortie du tome 2 de la série biographique Stalag IIB. Début 45, la défaite est très proche pour l’Allemagne nazie, envahie par l’Ouest par les USA, le Royaume-Uni, et même la IIème DB française, et pénétrée (c’est le cas de le dire) par l’Est par une Union Soviétique qui cherche la vengeance après les atrocités nazis sur son sol mais également l’anéantissement de son jumeau superflu dans l’horreur. Devant l’avance soviétique, les stalags sont évacués et les prisonniers de guerre commencent de longues marches vers l’ouest dans le froid et la neige. Celle du père de Tardi durera (sous les yeux virtuels et anachroniques de son fils qui interroge et commente) environ cinq mois, dans un pays de plus en plus détruit, au milieu d’une débâcle bien pire que celle que la France connut en 1940.
René Tardi et ses compagnons d’infortune marchent dans la neige, vers l’ouest mais jamais en ligne droite (le terrain, les ordres, les armées combattantes interfèrent avec le vol d'oiseau). Progressant de ferme en ferme à travers l’Allemagne rurale, ils ne découvriront que bien tard les destructions dans les villes. Ils subissent la violence des gardiens, de plus en plus incompréhensible (si ce n’est par la terreur qu’ils éprouvent eux-mêmes) à mesure que la fin approche. Ils voient leurs frères de misère mourir les uns après les autres, de froid, de maladie, des violences de la soldatesque. Ils rapinent pour se nourrir. Ils rêvent d’évasion mais pour aller où, perdus qu’ils sont au milieu de l’hiver poméranien ?
Durant l'interminable progression, s’ils ne savent pas grand chose des évènements en cours, ils en croisent des indices. Les fermes à moitié abandonnées, les flots de réfugiés allemands fuyant devant l’avancée soviétique, les viols et les massacres à l’est dont bruisse le téléphone arabe des prisonniers. Les SS qui brûlent leurs uniformes noirs pour ne pas être identifiés, oubliant que leur groupe sanguin est tatoué sur leur avant-bras. Et aussi les marches de la mort, ces files, croisées par les prisonniers, de déportés des camps déplacés par les SS pour, peut-être, servir d’otages (ceci pour les plus « chanceux », les autres furent assassinés sur place pour ne pas encombrer les SS).
Après trop longtemps à leur goût, ils verront enfin des soldats alliés, américains, anglais et soviétiques, en chien de faïence. Ils seront pris en charge par les troupes occidentales et rentreront, pas bien vite mais une guerre était toujours en cours, en France. René Tardi retrouvera, à la gare de Valence, sa Zette. Cinq ans après son départ.
Dans cet album, comme dans le précédent, Tardi ne cache rien de ce que dit le témoignage de son père. Il raconte les horreurs, grandes ou petites, dont celui-ci fut témoin, quelle que soit l’origine de celles-ci, et ne passe pas sous silence les petites mesquineries ou les crimes véritables dont se rendirent coupables les prisonniers de la colonne durant leur marche vers la liberté. Cette honnêteté est méritoire, Tardi avait les carnets de son père, il aurait pu facilement cacher ce qui le gênait en ne l’incluant pas dans l’album. Il a choisi de ne pas le faire. Ca doit être salué. Ca sert aussi son point. Pour Tardi, la guerre est le pire que puisse faire les hommes. Tous les hommes.
Et quand le fils (l’auteur) s’indigne, son père lui rappelle, comme dans l’opus précédent, qu’on ne peut juger le présent avec les lunettes du passé et que la magnanimité est facile au chaud derrière une tasse de thé.
Intéressant et émouvant, l’album est néanmoins inférieur au précédent. Je crois qu’il y a deux raisons à cela.
D’abord, la longue marche vers l’ouest, en dépit d’une violence, d’un froid et d’une faim permanente, n’est guère riche en évènements. A part quelques incidents, il ne se passe pas grand chose pour René Tardi durant ce retour. De ce fait, les conversations historiques entre le père et le fils deviennent progressivement de plus en plus fréquentes et longues, et par moment l’album ressemble plus à un cours d’histoire (détaillé parfois jusqu’au niveau tactique) qu’à un récit biographique. On y perd en proximité avec le personnage de René Tardi, on a l’impression de réviser ses fiches avant le Bac. Ou alors, il faudrait ne rien connaître de la guerre, de l’holocauste, etc. pour parvenir à se passionner, s’horrifier, s’indigner devant des faits qui, en réalité, sont largement connus de ceux qui prendront la peine de lire cet album.
D’autre part, et même s’il faut d’abord répéter encore une fois qu’il ne cache rien de tout ce qui s’est passé tant au niveau micro de René Tardi qu’à celui macro de la Guerre Mondiale (étrange bifocalisation) et que c’est l’énorme vertu de l’album, l’anarchisme viscéral de Tardi lui fait mettre sur le même plan dans le récit,
les viols et pillages de masse des soviétiques et les quelques affaires de viols en Normandie, le million de SS allemands et les 2000 couillons de la
Brigade Charlemagne, les exactions des
Einsatzgruppen et le
bombardement de Dresde (étonnamment Hiroshima et Nagasaki n’ont pas l’air de poser problème), les exfiltrations de savants allemands vers les USA et les déportation au goulag des prisonniers
soviétiques libérés par les soldats
soviétiques. Chercher l’Histoire derrière l’historiographie est une bonne idée, mais tenir compte des nombres et des pourcentages peut aider aussi à sérier les questions ; certaines différences de quantité deviennent des différences de qualité. Le message en devient brouillé, sauf si le message n’est qu'un simpliste «
Guerre à la guerre », message que la case en bas de la page 123, à propos de la
remilitarisation de la Rhénanie, semble prendre en défaut.
Un album en demi teinte donc, car trop à distance de la réalité humaine. Racontant la guerre, Tardi oublie un peu son père. Il n’y avait peut-être pas matière à 128 pages.
Stalag IIB, tome 2, Mon retour en France, Tardi
Commentaires
Quant à la longueur, je soupçonne qu'il y a une volonté de symétrie entre les trois tomes prévus.