La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Papa Schultz n'existe pas


Nouvelle superbe BD de guerre de Jacques Tardi. Mais ici, contrairement à l’habitude, c’est de la Seconde Guerre Mondiale qu’il s’agit et le « héros » malheureux des évènements est René, le père de Jacques. Après la guerre de son grand-père, celle de son père qui, si elle fit moins de morts militaires, ne fut pas moins terrible mais le fut différemment.

N’ayant jamais chroniqué les albums de Tardi sur la WWI, ni même les adaptations de Mallet, et pas plus les Adèle Blanc-Sec (décidément, tous les Tardi que j’ai lus sans jamais les chroniquer ; lus trop tôt), je vais dire ici toute l’admiration que j’ai pour l’œuvre de ce monstre de la BD française. C’est fait. Passons à l’album proprement dit.

Dans "Stalag IIB", Tardi, à partir des récits de son père, récoltés ad hoc, raconte l’absurdité et l’horreur insidieuse de la Seconde Guerre Mondiale. La mise en scène du récit, originale, est une bonne et émouvante idée. René Tardi raconte ce qui se passe et il est interrompu et interrogé par le jeune Jacques Tardi, représenté comme un enfant visible dans certaines cases. Jacques pose à son père les questions qu’il s’est sûrement posées, qu’il se pose peut-être encore, que se pose sans doute le lecteur qui n’a pas connu ces années. René répond au mieux de sa sensibilité et explique progressivement à son fils, par l’exemple, qu’il ne faut pas juger le passé avec les lunettes du présent, et que tout jugement à l’emporte-pièce nie la complexité de toute situation, en particulier conflictuelle. Parfois Jacques a oublié de poser la question ; il ne saura jamais.

Sur le plan historique, Tardi narre une réalité qui est connue si on s’intéresse à cette période, la plus étudiée sur le plan historique peut-être, la plus représentée aussi au cinéma (passage drôle d’ailleurs dans lequel René parle de la représentation des soldats allemands dans le cinéma français). René raconte sa guerre, mais il raconte aussi La Guerre. Il raconte comment, n’aimant pas l’armée, il s’engage néanmoins quand il sent la guerre venir du fait des vociférations d’Hitler, il raconte la Drôle de guerre (tragi-comique) de la manière la plus vivante que j’ai jamais lue, il raconte sa capture inévitable et le transfert pénible vers les camps de prisonniers de guerre dans des conditions dont on sait qu’elles seront bien pires pour d’autres. Puis il arrive en Poméranie, au Stalag IIB. Il y restera cinq ans.

L’armée allemande respecte à peu près les Conventions de Genève sur les prisonniers de guerre, mais c’est la guerre. Groß malheur la guerre ! Le quotidien est donc brutal, chaque abruti abusant du pouvoir que donne un uniforme, brimades et exécutions sommaires sont la règle, et encore les français ne sont pas les plus mal traités. La faim, qui taraude, est omniprésente, la promiscuité, l’inconfort aussi. On voit l’abattement des prisonniers, mais on voit aussi les nombreux petits actes de résistance qui permettent de survivre, de garder un peu de dignité, de rester humain. On voit le fonctionnement du marché interne au camp, comme l’avait décrit Radford dans un article célèbre et passionnant, traduit ici par L'antisophiste. On voit le courage des uns, la lâcheté des autres, les petites mesquineries, l’imbécillité de certains, les rumeurs, l’impossibilité de fuir ; on voit même quelques allemands qui tentent d’être humains. On comprend « l’esclavage » des prisonniers envoyés dans des Kommandos de travail qui ne ressemblent guère à la ferme de La vache et le prisonnier ou de La cuisine au beurre. On voit l’espoir de rentrer, le désespoir de la durée, d’autant que les allemands sont d’autant plus durs avec les prisonniers que la guerre tourne mal pour eux.

La réalité de cette guerre est connue, mais Tardi l’humanise en donnant des visages, des noms, des vies aux hommes qui furent, à leur corps défendant ou pas, les protagonistes de cette conflagration. Il ouvre aussi à un public qui ne lirait pas un livre d’Histoire un pan du passé souvent connu seulement par des films français dans lesquels de gros bétas d’allemands se voient tourner en bourrique par des français malins qui s’en tirent toujours à la fin. La réalité a été beaucoup moins drôle que ça. La souffrance bien plus grande.

"Stalag IIB" raconte le malheur que fut, pour ces prisonniers, la Seconde Guerre Mondiale. C’est la grande qualité de cet album.

Stalag IIB, Tardi

Pour plus d’informations sur le Stalag IIB, on peut aller voir ce site personnel.

Commentaires

Anudar a dit…
Cet album m'intéresse bien... De toute façon j'adore le travail de Tardi. Et puis, c'est vrai qu'il s'est plus intéressé au premier conflit mondial jusqu'à présent dans son oeuvre.

Ton titre d'article est excellent, au passage.
Gromovar a dit…
Merci :)

Et oui, ça vaut vraiment le détour.
Guillmot a dit…
Cela me rappelle l'histoire de mon grand-père.
Efelle a dit…
Ayant aimé ce qu'il avait fait avec Mallet je vais m'y intéresser très bientôt.

Beau billet.
Blop a dit…
Je me le réserve pour la rentrée, celui-là.
dasola a dit…
Bonjour, je me le suis offert appréciant beaucoup Tardi. Il faut que je trouve le temps de le lire. Et en plus, ce n'est qu'une première partie. Bonne journée et excellente année 2013.
Gromovar a dit…
J'espère que tu y prendras plaisir.