La Cité des Lames - Robert Jackson Bennett

Sortie du tome 2 de la trilogie des Cités de Robert Jackson Bennett. Après le très plaisant Cité des Marches , voici qu’arrive La Cité des Lames . Tu sais, lecteur, que je n’aime guère chroniquer des tomes n car la description du monde a déjà été faite par mes soins dans la chronique du premier volume. Je vais donc faire ici une sorte d’inventaire de ce qui est proche et de ce qui diffère, en pointant le fait que, de même que le  premier volume pouvait se lire seul, celui-ci le peut aussi, les événements du premier formant un background qui est correctement expliqué dans le deuxième, y compris pour d’éventuels lecteurs qui auraient commencé par celui-ci. J’espère que c’est assez clair;) Voilà, lecteur, tu sais tout, suis le guide ! La Cité des Lames se passe quelques années après les événements narrés dans son prédécesseur. Le pouvoir à Saypur a pris un virage à l'opposé de la politique colonialiste revancharde qui était la sienne depuis le Cillement qui a mis fin au Divin. Shara,

Utopiales 2014 : Interview de Laurent Kloetzer

Laurent Kloetzer est la moitié de L.L. Kloetzer, auteur bien connu pour la fantasy corporate Cleer et le monumental Anamnèse de Lady Star.
Lors des Utopiales, il a gentiment accepté de répondre à quelques questions qui nous permettent d'aller plus loin dans l'Anamnèse.

L.L. Kloetzer, collage à partir d'originaux de Mélanie Fazi

Bonjour, Laurent, merci d’accepter de répondre à quelques questions pour Quoi de Neuf.
Nous pouvons commencer par une question un peu triviale. Dans Anamnèse, vous parlez du groupe Norn et de l’hôtel Giessbach. Ce sont des choses que vous connaissez personnellement, que vous appréciez ?

Giessbach, WikiCommons
Giessbach en premier. C’est un lieu réel, un hôtel assez connu en Suisse (si tu cherches sur Internet tu vas en voir des photos, c’est très beau), situé dans une région splendide au bord du lac de Brienz. Le cadre est incroyable, un lieu de rêve, l’envie d’y placer un passage du roman est venue très naturellement. Pour la petite histoire, c’est un hôtel du XIXème siècle – de son nom précis, le Grandhotel Giessbach, un hôtel de luxe construit pour les touristes Anglais – qui a eu sa petite célébrité en Suisse car une forte personnalité locale, l’écologiste Franz Weber, l’a défendu contre une destruction programmée et a fait une campagne pour le préserver. Un endroit chic, mais pas un hôtel de grand luxe réservé à une upper upper class. Les exploitants ont gardé l’idée que des gens normaux devaient pouvoir y venir, pour y fêter leur anniversaire de mariage, par exemple.
Norn est un groupe suisse de trois femmes, qui chantent une musique ethno-imaginaire. Laure les connaît depuis longtemps. Le collectif a été fondé en 2003 et nous les avons vues pour la première fois sur scène à l’occasion de leur deuxième album en 2007. C’est un collectif de scène. Leurs disques sont très bien et leurs spectacles sont encore mieux. Pas des tours de chant mais, pour chaque album, un spectacle sur une thématique particulière, avec des costumes adaptés et une langue ad hoc qui est inventée par la compositrice du groupe, Anne-Sylvie Casagrande, un vrai personnage aux yeux de magicienne.
Norn est arrivée dans l’Anamnèse d’une manière pas du tout pensée. On était en train de faire l’Anamnèse, on a vu un concert et je voulais qu’il en reste quelque chose. Nous avons eu envie d’écrire quelque chose en hommage à leur travail et à leurs créations. Et à ce moment-là est venue l’idée qu’il pourrait y avoir dans le futur, le futur de l’Anamnèse, quelqu’un qui s’intéresse à ce qu’était Norn, à leur magie. Le récit est parti de là, l’envie de voir Norn, vues du futur.
Pendant un certain temps, ce texte a existé à part du roman, il n’avait pas exactement la même forme, les différents éléments du chapitre étaient agencés autrement. Puis à un moment, nous avons a eu une révélation. On s’est dit « En fait, c’est un morceau très important de l’Anamnèse qu’on n’avait pas vu » et on l’a alors rapatrié dans le roman.

Norn, by Marc Lopes/Eikazia
Dans CLEER et Anamnèse, vous décrivez des lieux de pouvoir, ou au moins des lieux de décision. Vos emplois vous amènent à fréquenter ce genre de lieux. Dans quelle mesure cela a-t-il irrigué ou enrichi votre travail et votre imagination ?

D’abord je pense qu’un écrivain est bon surtout quand il parle de ce qu’il connaît. Ceci dit, ni Laure ni moi n’avons jamais été très près des vrais lieux de pouvoir. Directement je veux dire. Laure a travaillé dans la direction stratégique d’une transnationale, moi j’ai travaillé comme ingénieur dans une très grosse société, mais jamais près des gens qui prenaient des décisions importantes. Toutefois, de part nos études, nous avons pas mal d’amis qui ont, ou ont eu, des postes de pouvoir. CLEER vient beaucoup de discussions avec ces amis, d’histoires qu’on nous a racontées.
Pour l’Anamnèse, le seul lieu de « pouvoir » représenté est le milieu universitaire, des réminiscences de la vie professionnelle de Laure, je suppose.

Comment est née l’idée d’Anamnèse ?

Le fait est assez rare, mais c’est une question à laquelle je peux répondre précisément. L’idée de l’Anamnèse est née au retour des Imaginales de 2009. Nous étions dans la voiture Laure et moi, on venait de finir CLEER, on réfléchissait sur ce qu’on voulait faire et là, on revenait des Imaginales, on y avait rencontré des auteurs de SF, ça nous avait donné des envies de SF. On était en pleine période de lecture de Christopher Priest – auteur que nous aimons beaucoup et avons en commun alors que nous avons des cultures littéraires très différentes – et on s’est dit qu’on aimerait vraiment bien faire quelque chose en SF qui puisse produire sur le lecteur l’effet de sidération que provoquent chez nous les romans de Christopher Priest. Dans le Prestige, le Glamour, ou d’autres encore on trouve une forme particulière de sense of wonder, de stupéfaction, et nous avons eu envie d’écrire quelque chose dans ce genre.
Notre idée priestienne, l’envie centrale de l’Anamnèse, c’était de faire le portrait d’un personnage, qui, au fur et à mesure du livre, changerait de nom, d’apparence, ne serait jamais la même et jamais une autre. On s’est dit : il faut que le lecteur n’ait aucun doute sur le fait que c’est toujours le même, alors que nous ne donnons aucune des choses qui permettent normalement à la cognition humaine d’affirmer que c’est la même personne.
A toi de dire si c’est réussi.
La nouvelle (Trois singes, le texte qui a précédé Anamnèse) existait déjà, le personnage flottait aussi un peu par là, des idées souterraines suivaient leurs cours… On s’est décidés pour ce projet.

A propos du personnage, je t’avais demandé au moment de la sortie si on pouvait la considérer comme une Idée platonicienne, et tu m’avais répondu « pourquoi pas, mais ce n’était pas l’idée initiale »…

Ce n’était pas mon idée, mais ton idée à toi est respectable et vaut autant que la mienne.

… peut-on au moins la définir comme un personnage que le désir des autres fait s’incarner ?

Ecoute, je suis toujours mal à l’aise sur le fait de dire comment est le roman, comment est le personnage. Tu as lu le roman, tu en sais autant que moi. Maintenant, j’espère vraiment un jour écrire et publier d’autres histoires qui mettent en scène des personnages similaires à ce personnage-là, et tu verras que j’ai une certaine idée sur la manière dont ils fonctionnent. Tu me diras alors ce que tu en penses, si ça correspond à tes intuitions ou bien si ça te déçoit…
En tout cas, c’est une idée que j’ai depuis longtemps et qu’on a partagée avec Laure, on a construit ensemble cette idée des Elohim – car pour moi le personnage de l’Anamnèse n’est pas unique, il y en a d’autres comme elle – et je pense qu’il y a quelque chose à faire du point de vue de la fiction avec ses semblables.

C’est une idée ou c’est un projet ?

C’est un projet. Il y a des histoires très concrètes. Dans le dernier Angle Mort, on peut lire une nouvelle, assez ancienne, qui s’intitule « Christiana » et qui est basée sur la même idée, qui présente aussi un personnage de cette nature.

La bombe iconique qui est au début du roman, même si elle n’en est pas le point principal, est-elle une pure création imaginaire destinée à mettre les évènements en branle ou est-elle symbolique de quelque chose, en terme de circulation des mèmes par exemple ?

Nous ne faisons pas d’allégorie donc il n’y a pas de clef de lecture. Ce n’est pas une approche qui nous intéresse. Ensuite, dans la SF je pense qu’il y a des idées qui flottent. Des idées qui sont dans l’air, qui viennent de ce qu’écrivent les gens, de l’actualité. Nous parlions hier à table avec Gilles Dumay de concepts similaires à celui de la bombe iconique et il paraît que dans Glyphes, un roman de Paul J. McAuley, l’auteur utilise un concept très voisin. Quelqu’un d’autre évoquait une nouvelle de Matheson des années 50 qui utilisait les mêmes idées, je ne crois pas avoir lu aucun des deux textes donc effectivement cette idée des mèmes, est derrière la bombe iconique, l’idée de dire que l’information a un impact. Alors après qu’est ce que tu fais si tu tires cette idée à la limite ? Il y a aussi une nouvelle de Thomas Day dans un de ses recueils qui joue là-dessus, une nouvelle sur la manière dont les infos t’impactent, le fait que dans un monde mondialisé où l’information circule très vite, la douleur t’arrive dans la gueule très vite aussi. Pour moi la bombe iconique c’est une manière d’incarner cette idée, l’idée de l’information qui te donne un grand coup de poing.

Peux-tu me parler de la construction du roman d’un point de vue pratique ? Comment construit-on un roman aussi complexe qu’Anamnèse ?

Nomen Rosae, par Piotr Jaxa
A l’origine il y a la nouvelle « Trois singes », dont nous n’étions pas sûrs au début qu’elle ferait partie du roman[1]. Elle n’y est pas du tout rentrée au début, nous n’avons pas dit « ça va partir de ça ». La nouvelle contenait un élément du cadre mais sans plus. Mais déjà, à cette période, nous aimions inventer des histoires sur un format nouvelle. Nous avons donc commencé par une nouvelle, le texte pivot de l’Anamnèse, celui où tout l’enjeu du livre est en place : celui intitulé Marguerite. C’est celui qui introduit Magda, où on la voit plonger grâce à son ordinateur dans le passé et retrouver des traces de « Marguerite ». On la voit mener son travail d’étude et on voit « Marguerite » faire un de ces twists dont elle a le secret pour effacer ses traces. Et pour nous c’était vraiment l’histoire pivot. On a donc commencé par faire celle-là, après on s’est demandé ce qui se passait ensuite – et ce qui se passe ensuite c’est ce qui se passe avant (rires) – donc on a fait le second élément, c’est à dire le passage intitulé Nomen Rosae qui est celui où il y a la course poursuite avec les tueurs, après on a cherché à construire d’autres récits, et on voulait que la série de récits joue ce rôle de points de vue multiples dont je t’ai parlé. Puis on a eu une idée que j’aime beaucoup, se dire que les éléments de récits collés seraient des « majeures » - au nombre de sept dans Anamnèse – et à peu près toutes les « majeures » (pas toutes en fait, on a un peu triché) sont accompagnées d’une « mineure » qui est le moment où, à partir d’un témoignage, Christian et Magda décortiquent et critiquent les faits.
Le processus créatif a ressemblé à ça : Trois singes existait déjà, Norn existait déjà, ces deux textes se sont retrouvés dans Anamnèse, je pense ensuite qu’on a fait Marguerite, Nomen Rosae, Giessbach, puis à un moment on a collé « Trois singes » en se disant « tiens ça va être l’intro », après on a collé Norn en se disant « ça devrait aller là ».
Dès qu’on en a eu deux ou trois textes s’est posée la question du lien, comment tout ça s’articule. On a beaucoup relu, on en a énormément parlé, on a fait des séances de brainstorming de folie, et on a été obligés de coucher par écrit des trucs parce qu’à un moment on n’arrivait plus à tout tenir. Après, quand tout était collé, on a fini avec le premier texte, Kirsten et le dernier, La fée bleue, dont on savait qu’on voulait qu’il soit le dernier du roman et le dernier écrit. Puis on a relu et des amis précieux ont relu l’ensemble et fait des critiques. Il y a eu par exemple une relecture de Léo Henry qui a été très axée sur l’aspect littéraire du récit, qui nous a fait reprendre des choses assez importantes pour la mécanique du récit. Il y a la relecture d’un autre ami qui est un fact-checker de folie, qui a une très bonne intuition des problèmes de cohérence, et qui a été très précieux car, comme l’Anamnèse repose sur des mensonges, des omissions, des choses qui ne collent pas, et que c’est exprès, il ne fallait pas qu’il y ait des choses qui ne collent pas sans que ce soit voulu. On a essayé de faire que tout colle là où on voulait que ça colle, et que ça ne colle pas seulement là où on voulait que ça ne colle pas. Il y a d’autres gens qui ont participé, des gens qui ont travaillé avec nous sur des morceaux particuliers. Vraiment nous disons un grand merci à tous ceux qui ont participé à ce moment là. Et un point, enfin, qui a été très important est l’intervention de Gilles Dumay. Gilles Dumay, en tant qu’éditeur, a une qualité importante, il se met au service du projet de l’auteur, il est là-dessus d’une très grande humilité ce qui est étonnant car il est aussi auteur dans une autre vie. Mais en tant qu’auteur Lunes d’encre, on discute toujours avec Gilles Dumay l’éditeur, qui n’est pas Thomas Day. Gilles fait ce travail de lecture et de clarification, pour que livre soit compris comme l’auteur veut qu’il soit compris. Pour l’Anamnèse c’était vraiment important, il y a plusieurs passages qu’on a simplifiés, raccourcis, condensés, expliqués plus clairement, sur ses suggestions.

L’idée que les mineures servent de commentaires et que les témoignages sont fallacieux ou plein de trous laisse penser que la vérité peut se trouver dans les bases de données, là où la cherche Magda, mais les bases de données sont truquables aussi. Alors deux choses, penses-tu que les systèmes de lifelogging qui se développent peuvent être la source d’une oppression plus grande ou d’une meilleure connaissance de soi, les deux étant possibles, et comment d’après toi peut-on contrôler la confidentialité des systèmes de lifelogging ?

Désolé mais je n’ai pas beaucoup de crédibilité pour parler de ça. Pour en dire quelque chose quand même : ces trucs là je ne les vois ni comme un bienfait ni comme une menace, je les vois comme un fait. Qu’on fasse du lifelogging explicite en racontant notre vie ou juste implicite, simplement en prenant des photos, il est certain qu’avec les capteurs, les appareils photos, les enregistreurs comme le tien, tout ça, on crée des bases de données des vies des gens avec leurs interactions sociales, et ça c’est un constat. L’Anamnèse joue avec cette idée-là mais  je pense que c’est un constat que tout le monde fait. Concernant la confidentialité… moi je travaille dans l’informatique, ma société enregistre des données personnelles de gens, juste ce qu’ils ont acheté et quand, des données commerciales classiques, un peu de données sociales. Je pense que si tu proposes d’enregistrer les données des gens tu as un devoir, au moins moral et en plus légal, de confidentialité et de protection des données. Alors comment protéger ? D’abord avec une bonne technique et, surtout, on voit ça avec les affaires Snowden et autres, il y a une question de moralité, la prise de conscience qu’en confiant nos données à des externes, on prend ce risque et qu’ils ont un devoir moral de les protéger. Après, là-dessus je n’ai pas d’opinion très tranchée : faut-il le faire ou pas, est-ce que c’est bien ou mal, mais ce que je sais c’est qu’en tant qu’auteur ce qui m’intéresse depuis très longtemps – c’est un sujet universel – c’est la mémoire. De quoi nous souvenons-nous ? Quelles traces restent de nous ? Comment retourner dans notre passé, comment retourner dans notre enfance ? Et là, il y a un truc incroyable. J’ai peiné pour retrouver trois photos de moi enfant, et mes filles vont en avoir des milliers. Et tu sais bien que ces données ne vont pas rester confinées, que je le veuille ou non, à mon appareil personnel et à ma maison car ces systèmes de partage en cloud sont tellement intéressants qu’on s’en sert, et à ce moment là on se dit que ça y est, on a une forme de mémoire collective de l’Humanité, de certaines parties de l’Humanité au moins, qui est là. Tu vois comment dans l’Anamnèse on joue avec cette idée, la mémoire est là, plus personne ne s’en sert, et puis quelqu’un, beaucoup plus tard, replonge dedans.

Sur les affaires de type Wikileaks, j’étais plutôt critique car il me semblait que ce n’était que la violation d’un secret par son détenteur. Puis, j’ai lu Existence de David Brin. Il y développe l’idée selon laquelle la transparence devrait être la règle car si ce n’est pas le cas, les institutions puissantes auront les moyens de violer la confidentialité alors que le commun des mortels ne le pourra pas, et qu’il vaudrait donc mieux que tout le monde soit à égalité. Rajaniemi traite aussi cette question de mémoire collective dans The Quantum Thief, il décrit un monde dans lequel je serais avec toi ici, je te verrais donc, or comme tout ce que je vois est mémorisé en externe tu pourrais décider que tu ne veux pas être sur la mémorisation et donc l’expérience physique aurait bien existé mais il n’y aurait pas de trace numérique, donc la scène ne pourrait jamais être rappelée. Que t’inspire ce type d’interrogation tant chez Brin que chez Rajaniemi ?

Je trouve ça fascinant. Je ne suis pas du tout un penseur de ces trucs là donc je n’ai pas d’avis autorisé. Comme je l’ai déjà dit, il y a des choses en fait. Ca se produit. Je me contente de voir que ça se produit. Après je trouve ça passionnant. Ce sont des expériences de pensée très intéressantes de dissocier par exemple numérique et réel. C’est tellement associé aujourd’hui, au point qu’il y a des gens qui photographient leur sandwich avant de le manger, que c’est quelque chose de très étrange, une tentative d’avoir la maitrise sur sa vie. Un truc qui me paraît intéressant, peut être que j’écrirai un jour quelque chose dessus, c’est qu’on a l’impression que ça coïncide, que les gens font coïncider réel et numérique. Mais, en réalité, quand tu vois l’usage de la présence sociale en ligne, Facebook, Twitter et compagnie, tu vois en fait que la plupart des gens sont tout à fait conscients du fait que c’est une nouvelle facette d’eux qu’ils font apparaître, c’est une construction, un construct, qui n’est pas du tout eux. Gromovar en est un très bon exemple. Il y a vraiment une présence en ligne qui est ta présence en ligne, qui est un aspect de toi que tu as construit, que tu exposes, et dont tu dis « voilà c’est moi, en tout cas c’est avec lui que vous discutez, et moi je suis derrière ». Par exemple, tout comme moi, tu parles peu de ta famille sur ton blog et sur les réseaux sociaux. Moi je sais que Laurent Kloetzer en ligne, c’est l’auteur. Et l’auteur ce n’est qu’un des aspects de ma vie, j’ai des enfants, j’ai un boulot, j’ai aussi des centres d’intérêts qui sont hors de l’écriture, mais j’ai décidé consciemment que Laurent Kloetzer en ligne serait surtout l’auteur. Donc oui il y a une forme de transparence mais je crois que la plupart des gens sont tout à fait conscients que ce qu’ils mettent est un masque plus ou moins élaboré, une nouvelle figure sociale, après ta figure sociale professionnelle, ta figure familiale, il y a ta figure publique sur le web, il peut aussi y avoir une figure privée sur le web, ça peut se démultiplier parce que tu fais partie de différents cercles et tu peux avoir des figures différentes suivant les cercles, etc. Je trouve que c’est un sujet passionnant.

Terminons par une question à la con. Tu décris dans Anamnèse un post-apo propre, clean. Un tropisme suisse ?

Non. D’abord je ne suis pas Suisse mais Français, sans lien familial avec la Suisse. Ensuite l’univers d’Anamnèse est bien antérieur à mon installation en Suisse, l’univers dans lequel se passe Anamnèse est un univers de jeu de rôle. Personnellement, le post-apo je trouve ça très angoissant. C’est une chose que je ne vis pas bien. Dans le cadre de l’Anamnèse, ce n’est pas le sujet du roman, c’est un élément du récit, c’est pour moi un énorme fantasme, l’idée de construire un background post-apo sans m’intéresser  à ce qui s’est passé. Je n’ai pas envie de faire le récit de l’apocalypse, de raconter les gens qui hurlent, les types qui se tirent dessus, les horreurs. Je me suis dit « on ne va pas les mettre dans le récit, les gens vont comprendre tous seuls que ça s’est passé » mais ce n’est pas le sujet.
A ce sujet, je l’oublie souvent mais il y a un roman qui a été une très forte inspiration pour cet univers. C’est « Toi l’immortel » de Roger Zelazny qui est un de mes romans préférés de cet auteur. Il a eu le Hugo je crois (oui, meilleur roman 1966 à égalité avec Dune, ndG), ce n’est pas le plus grand des romans de Zelazny, ce n’est pas le plus sophistiqué, il met en scène un héros très zélaznien, un Corwin-like, un peu roublard et vraiment sympa. Le boulot de ce gars est d’être gardien de musée de la Terre. Parce qu’il y a eu une forme d’apocalypse nucléaire, puis des extra-terrestres sont venus récupérer tous les gens et les emmener sur une autre planète pour travailler pour eux, et ne restent que quelques habitants sur Terre – le parallèle avec l’Anamnèse est assez fort – et l’histoire se passe sur une Terre plutôt calme où il n’y a plus grand monde et où les touristes viennent visiter les monuments. Le héros appartient à un groupe qui est chargé de faire visiter les pyramides, les temples grecs, sachant que l’histoire se passe essentiellement en Grèce, au bord de la mer. Il passe beaucoup de temps à boire, il y a un petit côté « Terre Mourante » dedans, c’est un roman que j’aime beaucoup, et j’en aime vraiment bien l’atmosphère. Quelque chose de dramatique s’est passé, certains coins sont complètement irradiés, il y a des mutants, ce n’est pas un monde très rassurant mais c’est fait, c’est passé, on est dans la construction qui suit. C’est ça qui m’intéressait, d’être dans la construction après.

Et bien merci Laurent pour cette plongée en profondeur dans l’Anamnèse et à bientôt pour tes nouveaux projets.


[1] Dès le début du travail sur cette nouvelle, j’avais eu l’intuition qu’il y en aurait d’autres et le texte était bourré de références à des personnages et évènements extérieurs. Serge Lehman a eu la sagesse de me faire virer tout ce qui n’était pas nécessaire à la nouvelle, en laissant, en creux, la possibilité de rattacher le texte à un futur recueil. Il a eu raison.

Commentaires

Baroona a dit…
Interview très intéressante, merci Gromovar et merci Laurent.
Lorhkan a dit…
Merci à l'intervieweur et l'interviewé, je vais lire ça à tête reposée. ;)
Gromovar a dit…
Encore deux ou trois jours de transcription, et c'est Jo Walton qui te parlera Lohrkan ;)
Lorhkan a dit…
J'attends ça avec une grande impatience. ;)
Lhisbei a dit…
Passionnante interview. J'aime beaucoup les propos tenus sur la construction d'une image de soi sur les réseaux sociaux (on n'est jamais que soi-même mais toujours différent en fonction de ce qu'on laisse à voir).
Merci Grom et merci Laurent.
Gromovar a dit…
Si ça vous intéresse, tant mieux, c'est le bût.
Tigger Lilly a dit…
Très intéressant. Pour le coup ça me donne limite envie de re tenter Anamnèse.
Gromovar a dit…
C'est très éclairant en effet.