La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Bird is the word


Je ne présente pas Stephen King, star incontestée de la SFFF et peut-être son représentant vivant le plus apprécié du grand public. Il est néanmoins important, je crois, de dire qu’il est né en 1947, ce qui fait qu’il avait 11 ans en 1958 (début du voyage dans le temps dans "22/11/63") et 16 ans en 1963 (quand Kennedy est assassiné, horizon du roman).
11 à 16 ans : la fin de l’enfance, le début de l’adolescence, pas encore les misères de l’âge adulte ; c’est l’âge d’or de la vie, une fois reconstruit par la mémoire dans la galerie du souvenir. C’est vrai pour tout le monde, et ça joue forcément dans le regard que chacun porte sur ce moment particulier de son existence.
Bien plus encore pour la génération de King, tant l’écart avec ce qui suivra ce moment fut abyssal. Escalade dans la guerre du Vietnam, émeutes raciales, assassinats de Martin Luther King, de Malcolm X, de Robert Kennedy, entre autres, ce qui suivit la mort du jeune et fringant Président ne fut guère ragoutant.

Lui vivant, les choses auraient-elles mieux tourné ? C’est la question de fond de "22/11/63" ; c’est la certitude de ses héros, celle qui les motivera à agir. Ils emprunteront donc ce « trou de lapin », découvert par hasard dans la remise d’un diner en aluminium, qui les amènera de notre époque au milieu de l’année 1958, sacrifiant des années de leur propre vie pour attendre Lee Harvey Oswald et tenter d’empêcher l’assassinat de JFK.

Sur le papier, l’idée est séduisante. King joue ici sur du velours : l’assassinat de Kennedy (un des traumatismes majeurs du XXème siècle), les théories complotistes jamais éteintes, la question taraudante du « Et si ? », tout ceci au cœur de l’American Way of Life dans sa version la plus triomphante, et, par là, séduisante. Et on peut penser que King s’est donné les moyens : roman très (trop) détaillé, très documenté (tout lecteur deviendra incollable tant sur la vie du lumpenprolétariat étasunien au début des années 60 que sur la chronologie de l’événement ou le tissu social des petites villes US du début des 60’s), "22/11/63" laisse même ouvert (un tout petit peu) le spectre des hypothèses sur l’assassinat, même s’il est clair qu’une est privilégiée.

Mais le roman souffre de nombreux défauts qui en font, au final, un mauvais livre, et un livre très énervant tant il avait de potentiel.

D’abord, et pour évacuer le point, King, comme d’habitude, est trop long. Digressant à n’en plus finir, choisissant toujours la manière la plus longue pour dire quelque chose, King livre un texte qui pourrait, sans rien perdre de son sens, être amputé d’un bon quart. Un seul exemple (on en trouve à chaque page du roman), lorsque Jake voit son pote Al, qu’il avait quitté la veille, et le trouve incroyablement vieilli : « Ce n’était pas un rafraichissement ou un rhume…si j’en croyais les signes, c’était bien plus grave. Mais quel genre de maladie grave se déclarait en seulement vingt-quatre heures ? Moins que ça, en fait. Il était 14 heures 30. J’avais quitté Al la veille à 17 heures 45 et il allait bien. » Jake voit son ami vieilli de cinq ans en une nuit. C’est incroyable et terrifiant. A quoi sert la seconde partie (en gras) du texte ? Je l’ignore. C’est ce que j’appelle « tirer à la ligne » et King est maitre dans cet art ; répété mille fois c’est insupportable. Comme il allonge aussi la sauce en noyant le lecteur sous une foultitude de détails, son texte est toujours bien trop long, et, comme je l’ai déjà dit, m’oblige à lire des passages entiers en diagonale pour ne pas m’endormir.

Malheureusement, ce défaut récurrent des romans de King n’est, cette fois, pas venu seul.

D’une part, King a deux fils narratifs dans ce roman, deux angles entre lesquels il n’a pas voulu choisir et qui font de "22/11/63" une œuvre chimère qui donne l’impression d’avoir capturé deux romans sous une seule couverture. Et quel que soit l’intérêt historique de la chose (et le droit de King d’écrire ce qu’il veut, comme le mien d’écrire ce que je veux sur ce qu’il écrit), la partie « anonyme » du roman (la romance et la petite vie de prof dans une petite ville) interfère sans cesse avec la partie historique, ennuie, dérange, détourne, en plus d’être d’une insupportable mièvrerie. On comprend - impossible de faire autrement tant c’est asséné - que le début des 60’s était une époque merveilleuse où les gens étaient gentils, les voitures étaient belles, et les aliments avaient du goût, et que c’est un point important de ce que l’auteur veut dire. Certes on y trouvait aussi bigoterie et discrimination, King ne le cache pas, mais pour lui la balance penche nettement du côté + (son héros supporte même étonnamment pour un américain moderne la fumerie permanente de l’époque).

D’autre part, la thèse de King selon laquelle il ne faut pas changer le passé à cause de l’effet papillon (à laquelle je peux adhérer sans difficulté), est illustrée d’une manière tellement grotesque à la fin du roman qu’elle en devient irrecevable, sauf par un novice absolu en matière de littérature de genre. Et je ne parle même pas ici des saillies sur la danse, les échos, et les harmoniques qui, par leur accumulation même, finissent par devenir ridicules.

Enfin, le nombre incroyable de références à des marques, des personnages, des expressions typiques de l’époque, même lorsqu’elles sont complètement oubliées ou anecdotiques, tend à exclure tout lecteur qui n’en a pas été le contemporain, au point de ne lui laisser régulièrement le choix qu’entre faire un coup de Google pour voir de quoi il s’agit ou accepter de ne pas comprendre parfaitement l’allusion. Déplaisant et contre-productif imho quand ça ne sert pas l’histoire, et ce n’est justement pas le cas ici. King, jeune homme du début des 60’s se fait plaisir et s’adresse largement à ses frères de cohorte, dont je ne suis pas. Allant jusqu'à se citer lui-même (Derry et les meurtres de 57, issus de Ca), il oublie de fait en chemin beaucoup de ses lecteurs actuels.

Et pourtant, dans "22/11/63", il y a quelques phrases vraiment bien troussées, une histoire dont on veut connaître la fin, un roman dont on aurait envie de dire du bien tant son sujet est excitant, mais ça ne suffit pas à sauver un texte qui ne m’évoque au final, et à mon grand regret, que l’expression  « Qui trop embrasse, mal étreint ».

22/11/63, Stephen King

NB : Ayant lu "22/11/63" en VO, je ne gloserai pas sur la traduction, paraît-il drolatique.

Les avis de Anudar, Efelle, Lhisbei

Allez, cadeau pour la route, un avant/après. Enjoy, buddy ! 


Avant l'assassinat de Kennedy



Après l'assassinat de Kennedy


Commentaires

Lhisbei a dit…
Ce que tu appelles "tirer à la ligne" me semble tout à fait approprié dans le principe narratif du bouquin : pour renforcer cette idée qu'à l'époque on avait le temps de vivre (comme le vieux du magasin, installé sur sa chaise : dans notre monde moderne, il n'en aurait plus la possibilité), le temps de prendre son temps et le temps de faire durer l'histoire (et le plaisir qui va avec). (et c'est assez typique d'un courant US de peindre la société dans les détails (surtout chez les écrivains de l'est des États Unis comme Richard Russo et John Irving)
Je ne suis donc pas d'accord :)
ps : ton capcha me donne des envies de meurtre
Gromovar a dit…
Je ne suis pas d'accord non plus ;)

Désolé pour le captcha mais j'ai eu tellement de spams que ça devenait vraiment pénible. Je pourrai faire un essai de retrait à l'occasion :)
Djinnzz a dit…
Bonjour!

Je trouve enfin quelqu'un qui n'encense pas béatement le "grand" King... Ca fait du bien!!
Stephen King m'a fait rêver durant toute ma jeunesse, et j'ai aimé - non, adoré! - tous les premiers bouquins qu'il a écrits. Une écriture décomplexée, une histoire sans détour, des situations jubilatoires.

Plus encore, j'ai été émerveillé par l'Univers torturé de la Tour Sombre, oeuvre majeure de la SF trop méconnue selon moi.

Mais j'ai l'impression que le bonhomme a pris la grosse tête. Ecrire des histoires simples (Christine, Cujo, Marche ou Crève, et bien d'autres...) ne lui suffisait plus: il s'est senti obligé de changer son style et d'aller explorer des recoins de la littérature qu'il aurait mieux fait de laisser à d'autres auteurs bien plus doué que lui.

C'est bien simple, je n'ai même pas eu ne serait-ce qu'une petite seconde envie de lire ce dernier livre tant j'étais sûr qu'il me décevrait, tout comme tous les livres qu'il a pondus ces 15 dernières années. Son style est devenu poussif, descriptif à l'extrême... Ce n'est plus le Stephen King qui m'a fait faire des cauchemars durant toute mon enfance!

PS: En effet, ces captchas sont HORRIBLES!!!! 7e essai et toujours pas réussi!!! grrrrrr....

Gromovar a dit…
Non Djinnz, ça passe.

Bon je vais faire un essai d'enlèvement de captcha.
Gromovar a dit…
Et je suis bien sûr totalement d'accord avec toi Djinnz en ce qui concerne le style de King.

Restent les nouvelles, plus courtes, où son talent narratif continue à s'exprimer, mais je crois aussi que c'est mon dernier roman de lui. A un moment, il faut prendre acte.
Gromovar a dit…
Bon ben, les spams repartent donc fin de l'expérience. Désolé. N'hésitez pas à commenter quand même.
Efelle a dit…
Après une longue abstinence de King, j'ai lu celui ci et ai aimé.
Par contre je reconnais que ce n'est pas un chef d'oeuvre et que le sujet est bateau...
Bon, je vais reprendre cette lecture, qui pour un début s'annonce pas mal... mais ne me convertira pas en King Lover. Je n'étais déjà pas/plus fan de King après deux livres lus, cela ne risque pas de changer. Je pense que j'apprécierai le livre dans l'ensemble (j'espère), mais les défaut susmentionnés sont déjà ceux que j'ai noté rien qu'au début du livre. Ca promet pour la suite : digression, détails inutiles, pages à rallonge, etc.
Gromovar a dit…
Bon courage :)
Xapur a dit…
J'ai été longtemps fan de King, mais ses digressions m'ont fait lâcher l'affaire. Le type d'auteur à qui on devrait retirer son traitement de texte, ça lui ferait aller à l'essentiel.
Et je te trouve clément, la plupart du temps j'estime à quasiment 50% ce qu'il pourrait retirer, sans que ça nuise ;)
Gromovar a dit…
Je n'aurais pas osé mais je te crois volontiers.
C'est enfin chroniqué président. Ouf.