Mariana Enriquez - Un lieu ensoleillé pour personnes sombres

Des voix magnétiques, pour la plupart féminines, nous racontent le mal qui rôde partout et les monstres qui surgissent au beau milieu de l’ordinaire. L’une semble tant bien que mal tenir à distance les esprits errant dans son quartier bordé de bidonvilles. L’autre voit son visage s’effacer inexorablement, comme celui de sa mère avant elle. Certaines, qu’on a assassinées, reviennent hanter les lieux et les personnes qui les ont torturées. D’autres, maudites, se métamorphosent en oiseaux. Les légendes urbaines côtoient le folklore local et la superstition dans ces douze nouvelles bouleversantes et brillamment composées, qui, de cauchemars en apparitions, nous surprennent par leur lyrisme nostalgique et leur beauté noire, selon un art savant qui permet à Mariana Enriquez de porter, une fois de plus, l’horreur aux plus hauts niveaux littéraires. Un lieu ensoleillé pour personnes sombres , le dernier recueil de nouvelles de Mariana Enriquez, sort en VF aux Editions du Sous-Sol dans une trad...

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"Un cantique pour Leibowitz" fait partie de ces ouvrages tellement classiques qu'on se dispense de les lire car on a l'impression de les connaitre sans les avoir jamais ouverts. Grave erreur. Car "Un cantique..." est un beau livre, fort et poignant, auquel il faut se frotter pour en tirer la substantifique moelle.
Après l'anéantissement nucléaire de la plus grande part de l'Humanité, l'ordre monastique de Saint Leibowitz va, pendant 1800 ans, préserver des fragments du savoir ancien de l'oubli. Après une véritable Renaissance, l'Humanité s'anéantira enfin complètement dans une nouvelle guerre nucléaire.
Par sa construction narrative en parabole inversée et l'impression de nostalgie qu'il laisse, "Un cantique pour Leibowitz" m'a rappelé le chef d'oeuvre de Daniel Keyes "Des fleurs pour Algernon". Et ceci malgré une différence capitale, "Un cantique..." est un roman sans héros. 1800 ans d'Histoire sont développées en trois périodes séparées de plusieurs siècles et le seul "personnage" pérenne est l'Ordre de Saint Leibowitz, institution bimillénaire qui survivra même à la destruction ultime. Notons que cette absence de personnage principal ne nuit jamais à l'intérêt du roman.
Dans un style érudit, parsemé de citations latines, Walter M. Miller aborde quantité de thèmes par le biais de conversations et de réflexions introspectives. La notion de patrimoine, sa validité historique et son utilisation sont au coeur du récit ainsi que l'opposition entre la conservation du patrimoine comme objet vivant et la statufication muséologique qui n'a d'autre fin qu'elle-même. Nous voyons aussi, en lisant le roman, comment l'Histoire s'écrit, comment les faits deviennent légendaires en perdant de leur netteté, comment les positions institutionnelles sont transformées par l'imperfection de la mémoire (les personnages réels dont nous avons suivi les pérégrinations dans la première partie deviennent des figures légendaires dont on peut douter de l'existence réelle dans les parties suivantes). La question de l'usage de la science est aussi clairement posée, ainsi que celle de la conscience morale qui devrait présider à sa gestion, reprenant en cela l'assertion rabelaisienne matérialisée par un personnage de poète à l'oeil amovible. Le roman est aussi parcouru de part en part par des manifestations de ce qu'on nomme la "querelle des deux glaives" et qui durant le Moyen-Age opposera empereurs et rois au pape pour la suprématie européenne. L'hubris de l'Humanité qui ne sait jamais obéir ni se soumettre à la loi divine est cause des malheurs éternellement répétés qui la frappe. Chacune des oppositions que je viens de décrire est portée par des humains de chair et d'os, chacun convaincu de la validité de sa position théorique et de la justesse de sa cause. Chacun de nous est donc le mauvais de ses mauvais. Et l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Roman de la guerre froide (écrit dans les années 50), il est hanté par la peur nucléaire et les images de monstres qu'a engendré Hiroshima. L'auteur a la tentation de l'innocence perdue et du jardin d'Eden alors qu'aux Etats-Unis on fait avancer l'horloge de l'apocalypse.
"Un cantique pour Leibowitz" est, je le répète, un beau livre et une belle interrogation écrite presque 20 ans avant le "Dans le château de Barbe-Bleue" de Georges Steiner. Pas mal pour une littérature que d'aucuns qualifient de distractive.
Un cantique pour Leibowitz, Walter M. Miller

Commentaires

Efelle a dit…
Le sujet de ce roman m'a toujours fait reculer car il me semblait désespérément aride.
Me tromperai-je ?
Gromovar a dit…
C'est en effet assez aride. Il faut l'envisager je crois comme une chronique, presque un livre d'Histoire romancée.
Si tu n'aimes pas le style, tu t'en apercevras au bout de dix pages, et sinon tu seras pris (je l'ai lu très vite alors qu'il est assez long et surtout écrit dramatiquement petit dans l'édition que j'avais).