L'Amulette - Michael McDowell

L’Amulette est le dernier roman de Michael McDowell publié par Monsieur Toussaint Louverture dans une traduction de Laurent Vannini. Encore une fois c’est un beau livre, encore une fois vendu (si on le commande sur le site) avec de jolis goodies réalisés avec amour par l’éditeur. Alabama, 1960, dans la petite ville de Pine Cone, près de Fort Rucca. C’est la guerre du Vietnam et des soldats sont formés pour être envoyés en Asie du Sud-Est (étrangement, McDowell semble suggérer un draft alors qu’il semble que ce système n’ait pas été utilisé aussi tôt, à voir) . Parmi les soldats s'entrainant à Fort Rucca, il y a Dean Howell, un jeune homme assez peu sympathique de Pine Cone, qui a cherché à ne pas être incorporé. Comme le reste des habitants de la ville, Dean a tenté de se faire embaucher à l’usine de fusils de Pine Cone pour devenir non sélectionnable, mais ça n’a pas pu se faire. Seule sa femme Sarah a été recrutée, sur un poste pour femme, différent de ceux auxquels Dean aurait...

Making History - KJ Parker


Voltaire l’écrivit justement : « Le premier qui fut roi fut un soldat heureux ».

Imagine donc, lecteur, un royaume, Aelia, gouverné par un tyran qui en aurait pris récemment le contrôle par la force.

Le Premier Citoyen Gyges (nom d’emprunt qui, en Aelien, signifie Resplendissant) n’était encore il y a peu qu’un capitaine mercenaire (un peu comme le Mâtho de Salammbô). Il gouverne maintenant par la force et la peur un royaume dont il n’était naguère que le condottiere. Et le Premier Citoyen a de grands projets. Qui impliquent notamment de déclarer la guerre à ses voisins.

Mais pour cela, il a besoin d’un prétexte, et d’un narratif à vendre à sa population pour lui faire accepter les levées en masse, les réquisitions, les fils et les maris tombant au champ d’honneur (les « nazis » d’Ukraine ont joué ce rôle de justification récemment, hélas).

Pour cela, il a besoin d’un tort à redresser, si possible exhumé des brumes incertaines du temps (un peu comme les nationalistes Serbes ont exploité la très ancienne bataille de Kosovo Polje).

Pour cela, il a besoin de la « preuve » d’un massacre oublié. Ou mieux, d’un génocide.

C’est donc pour cela qu’il a besoin des douze meilleurs universitaires du royaume.

Pour créer ex-nihilo une cité « exhumée », afin d’expliquer au peuple, par argument d’autorité archéologique « factuelle », que les « barbares » voisins d’Aelia ont exterminé la glorieuse et pacifique civilisation des lointains ancêtres des Aeliens :

“Four of the cities,” he went on, “lie buried under the Strasoe plain. The fifth is in fact on the border, just inside our territory, five miles north of Fort Resilience. I want you people to dig it up for me.” Long, terrifying silence. “So it exists,” someone said.

“It will,” said Gyges.


Les douze, assistés de milliers de travailleurs plus ou moins volontaires qui seront très certainement sacrifiés après, ont neuf mois (pas un de plus) pour construire une ville en ruine et lui donner un art, une langue, une histoire, etc. Une mission impossible, certes, mais une mission qu’ils ont tout intérêt à mener à bien s’ils veulent garder leur tête sur leur cou.

Cette épopée délirante t’est racontée, lecteur, par l’un des douze, un très brillant linguiste dont la tâche est d’inventer la langue des Aeliens antiques en rétrofittant celle des modernes. Et tu n’aurais pu trouver meilleur guide.


Making History est une novella de KJ Parker (un auteur que j’aime vraiment). Elle est vive, enlevée, drôle, pleine de rebondissements. Elle est futée aussi, disant des choses sérieuses sans jamais être lourde.

Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire (et oui, Vae victis!) ; ici ils la construisent même. Et pour le démontrer Parker te met sous les yeux, lecteur, un panier de crabes universitaires qui veulent à tout prix survivre à la folie du tyran, même s’ils doivent pour cela mentir et accepter le meurtre de milliers d’ouvriers falsificateurs. Au cœur de ce panier, ton guide personnel, lecteur, est un homme amusant, fin, roué, qui partage sa vie avec une ancienne prostituée et a bien plus bourlingué que ses distingués collègues, ce qui rend sa compagnie agréable et lui donne aussi des opportunités uniques qu’il utilisera au fil du récit. Reconnaissons-le pour finir, il est assez content de lui et cela aussi est drôle.


Cocasseries mises à part, ton guide est un vrai universitaire que Parker te montre in vivo. Et, de fait, c’est un spécimen très amusant. Tu suivras donc ses très nombreuses digressions guidées par une curiosité intellectuelle qui ne se dément jamais. Tu entendras ses monologues intérieurs qui pourraient être autant de préparations de cours. Tu verras par ses yeux, et ceux de ses collègues, la déconnexion qui touche parfois des hommes (tous) qui vivent dans le vase clos de l’université à l’anglo-saxonne et y sont tellement plongés dans leurs recherches que les vents du monde ne leur parviennent que rarement, et encore très édulcorés. Tu découvriras avec amusement l’effroi qui les saisit lorsqu’il semble que des fuites ont lieu qui compromettent le caractère top secret de leur mascarade. Tu le (les) verras gigoter pour arriver (peut-être) à sauver sa (leur) tête de la folie du tyran. Tu prendras un grand plaisir à lire cette étonnante histoire – sinon je te rembourse ;)


Une fois encore, KJ Parker livre un récit plaisant et engageant qui saisit son lecteur en ne le lâche plus avant la dernière page. Ses textes sont drôles, vifs, dynamiques, ils sont de vrais plaisirs de lecture. Je les conseille très vivement.


Making History, KJ Parker

Commentaires

Igrangard a dit…
Je me suis dit en cette fin de matinée que ça faisait longtemps que je n'étais pas venu sur ton blog... Me voilà désormais encore avec un nouveau texte à lire. Heureusement il semble court, ce qui devient un avantage vu l'encombrement de ma pile de lecture.
Thématiquement, ça me branche bien, je lis beaucoup de livres d'histoire d'universitaires, y compris anglo-saxons.
J'aime aussi beaucoup la référence Hérodotienne dans le nom du tyran.
Gromovar a dit…
Welcome back Igrangard :)
Igrangard a dit…
Merci Gromovar !

J'ai acheté l'ebook dans la foulée et je l'ai lu d'un trait. Tu as eu raison dans ta critique, j'ai pris un grand plaisir à lire cette histoire, je ne demande pas le remboursement ! Néanmoins la fin m'a pris un peu par surprise et je cogite sur le texte depuis.
Déjà c'est clairement un texte postmoderne, il y a un énorme jeu sur la Vérité qui est déconstruite comme récit qui sert les buts de celui qui l'émet et qu'on retrouve jusque dans les dernières lignes avec la confession finale du narrateur.
Quand on connait l'amour des universitaires du monde anglophone pour les théories postmodernes, je pense que la profession du narrateur et de ses compagnons d'infortunes n'est pas un hasard non plus.
Je note aussi le jeu de références antiques à destination du lecteur cultivé, je suis loin d'avoir tout relevé mais on en trouve dans le noms des lieux (empire de Shashan = Sassanides ? Antecyrene = mélange d'Anticythère et de Cyrène ?), dans les noms des personnages (Gygès) et dans certaines situations (le personnage qui se libère de la mission à la façon d'un Sénèque).
Et il y aurait encore beaucoup à dire de ce texte qui est pourtant court, lol !
Gromovar a dit…
Super :) Et Sénèque, en effet.