Te souviens-tu de Blanche-Neige, lecteur ? Garde la pomme, le miroir, la princesse, et change tout le reste. Tu obtiendras Hemlock and Silver, le dernier roman de T Kingfisher, un roman qui commence par cette phrase : « I had just taken poison when the king arrived to inform me that he had murdered his wife ».
Rassure-toi, lecteur, ce meurtre, acte fort peu amène, a une justification en béton. Quant à la prise de poison, comment connaître l'effet exact des produits qu'on distille sans les tester in vivo ? Tu l'auras compris, Hemlock and Silver tente d'être là où on ne l'attend pas. Il y parvient souvent.
Anja est une soigneuse ou, pour être plus précis, une piètre soigneuse assortie d'une très grande spécialiste des poisons et de leurs traitements. Voilà pourquoi le roi vient prendre son conseil. Il pense que la princesse Snow, sa fille, victime depuis des mois de troubles de santé que les médecins ne parviennent ni à diagnostiquer ni à soigner, est empoisonnée par un tiers inconnu. Il lui propose donc (on ne refuse pas à un roi) de l'accompagner dans le château où celle-ci réside afin de trouver une solution définitive au problème. Une offre qui inquiète grandement Anja : qu'adviendra-t-il si la princesse n'est pas empoisonnée, ou, pire encore, si elle est empoisonnée mais que la soigneuse ne parvient pas à la sauver ?
Avec Hemlock and Silver (Ciguë et argent), T. Kingfisher propose au lecteur un conte entièrement réinventé, dans la lignée de Nettle and Bone. On y suit les investigations d'Anja, une soigneuse salvatrice (peut-être), bien loin du prince charmant du conte original. Anja est une vieille fille (spinster), elle est grande et forte, sans doute en surpoids, n'a aucun instinct maternel et, last but not least, est tout sauf élégante. Mais, depuis un drame survenu dans son enfance, le traitement des poisons est la seule passion d'Anja. Elle y a consacré toute sa vie, étudiant, apprenant, testant, goûtant, administrant. Elle est ainsi peu à peu devenue la spécialiste mondiale des poisons. Mais ce qu'elle en a compris c'est qu'il reste bien plus à apprendre que ce qu'elle sait déjà. Elle sauve quand même des patients, parfois, souvent, mais tout dépend du poison, de la dose, du mode d’administration, du délai. La science des poisons, qu'elle maîtrise mieux que quiconque, est, je l'ai expliqué, une science inexacte.
Alors quand, flanquée d'un duo de gardes du corps, Anja se présente au château de Witherleaf, elle est loin de savoir si elle pourra faire le moindre bien à la malheureuse princesse adolescente.
Hemlock and Silver est une enquête policière et scientifique qui se conclut dans de l'action frénétique. Sous la plume de T Kingfisher tu suivras, lecteur, le cheminement de pensée d'une Anja (rapidement assistée par l'un des deux gardes qui lui sert de John Watson) qui fait des hypothèses, vérifie, ferme des portes, en ouvre d'autres, de plus en plus extraordinaires. Une vraie démarche scientifique d'autant plus affirmée qu'Anja ne croit pas à la magie (là, elle a peut-être tort) et qu'elle est une adepte du rasoir d'Occam qui s'ignore. En butte à un problème qui défie ses connaissances, confrontée à une patiente qui, comme le disait fort justement le docteur House, ment, menacée peut-être par d'éventuels empoisonneurs, Anja devra accepter d'ouvrir son champ de crédulité tout en continuant à examiner scientifiquement les incongruités qu'elle découvre. C'est palpitant sur le plan de l'énigme intellectuelle, pour elle comme pour toi. D'autant que, rappelons-le, dans le monde médiéval d'Anja, il n'y a ni analyse de laboratoire ni spectroscopie de masse.
Dans ce roman clairement féministe, T Kingsisher met en scène un personnage plaisant, plein d'humour et d’autodérision, qui s'adresse régulièrement au lecteur pour souligner l'incongruité d'une situation.
Le texte est une ode à la méthode scientifique, au plaisir de la découverte scientifique, à l'apprentissage qui n'est jamais inutile même si son utilité n’apparaît pas au premier regard. Il est une profession de foi dans l'appréhension rationnelle du monde, quelles que soient les bizarreries que celui-ci propose à l'observateur.
Hemlock and Silver est, pour conclure, un roman agréable à lire, tiré par son énigme et son personnage principal. Je l'ai moins aimé que le plus court et excellent Nettle and Bone, peut-être parce qu'il est un poil trop long, et peut-être aussi parce, que pour rendre cohérent une intrigue assez complexe, l'autrice est obligée de donner quantité d'explications qui alourdissent parfois le propos. C'est néanmoins une lecture plaisante, même si T Kingfisher a déjà écrit plus percutant.
On compare le roman à Blanche-Neige (l'autrice elle-même le fait) et il est vrai que les points communs sont nombreux, mais j'ai trouvé que d'autres points tout aussi nombreux rappelaient Alice au Pays des Merveilles (aurais-je oublié d'évoquer un chat parlant très capricieux ? des chenilles très particulières ? des miroirs qu'on traverse ? et une méchante reine ? Oups ! Quel distrait je suis !).
Hemlock and Silver, T Kingfisher
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