Les plus antédiluviens des lecteurs de ce blog se souviennent peut-être de la série Hill Street Blues, intitulée en France Capitaine Furillo (un titre à la fois moins juste et moins percutant).
On y voyait, sans doute pour la première fois, ce qu’était un commissariat de police américain réaliste, avec ses enquêtes bien sûr (c’était un police procedural), mais aussi la vie des hommes et des femmes qui le composaient.
Deux aspects donc dans cette série. D’abord, comme dans toute œuvre mettant en scène un collectif de travail, on y découvrait des êtres humains, écrits et développés, aux prises avec les difficultés communes à tous : qu’il s’agisse de leurs interactions professionnelles ou de leur vie privée. Mais ce qui n’était pas commun, en revanche, et faisait de la vie des hommes et des femmes d’Hill Street une expérience absolument singulière, c’est qu’ils étaient chargés de se confronter quotidiennement au pire de ce que le monde peut offrir : violence, misère, crasse et réalités sordides.
Et, comme on peut l’imaginer, chacune des deux sphères – personnelle et professionnelle – avait un impact sur l’autre. Difficile d’avoir une vie heureuse quand on voit tous les jours le pire de l’être humain ; difficile de bien travailler quand on a une vie personnelle compliquée.
Et bien sache, lecteur, que Gotham Central est le Hill Street Blues de Batman, écrit par Ed Brubaker et Greg Rucka, et dessiné par Michael Lark.
A travers les heurts et malheurs du Marcus Driver (qui commence tragiquement la série), Renée Montoya, Crispus Allen ou Josie Mac entre autres, Brubaker et Rucka plongent le lecteur dans le quotidien de la Major Crime Unit de la ville de Batman. Traiter les meurtres, les enlèvements, la corruption, les menées mafieuses, les hommes et femmes de la MCU de Gotham savent faire, quoi qu’il puisse leur coûter, entre rivalités internes et inimitiés personnelles, homophobie affichée et scandaleux outing, problèmes de budget et pressions politiques, tensions amoureuses et déceptions sexuelles. Presque un métier comme un autre pour ces hommes et ces femmes. Même si c'est néanmoins un métier particulier que celui où on est plus proche de son équipier que de son éventuel conjoint, où on risque sa vie chaque jour, où on voit ses équipiers mourir (parfois sans rime ni raison).
Les centaines de pages de la série permettent d'entrer vraiment, via les enquêtes qui servent de fil rouge, dans le quotidien de ces hommes et femmes, leur rendant une humanité que leur statut d'enquêteurs pour les uns et de redshirts pour les autres pourraient leur dénier. Et pour les lecteurs qui seraient un peu lent à comprendre, ça devient parfaitement explicite dans l'épisode Rêveries et tristes réalités qui dit le regard d'une intervenante extérieure sur la vie et les acteurs de l'unité, montrant par là-même qu'ils sont de vrais pros, dévoués et efficaces, et aussi des humains qui savent résister à leur quotidien éprouvant par un humour constant et une solidarité sans faille.
Psychopathe tueur en liberté, attentats terroristes, flic piégée par un malade mental, pauvre fille assassinée, meurtre causé par possessivité, ex-flic à la dérive, c'est le quotidien de l'unité, traité par les scénaristes comme une série télé dans laquelle les enquêtes et les éléments de vie privée s'étendent sur plusieurs épisodes – avec même, à partir du TPB 2, une page récap' de l'épisode précédent pour que l’illusion soit parfaite. Gotham Central, bien écrit et bien rythmé, est un cycle parfaitement réalisé, réaliste, stressant, captivant.
Et Batman alors ? Je n'en ai encore rien dit. Parce qu'il n'y a pas grand chose à en dire. Quoique...
Batman n'est qu'un bruit de fond dans la série. Il n'intervient que lorsque des super-vilains sont concernés et que, de ce fait, les policiers de Gotham échouent et/ou meurent. Cette intrusion du supernormal dans le quotidien policier est, d'une part, assez rare, d'autre part, douloureusement ressentie par les policiers de la MCU qui ont l'impression de n'être que des pions (au mieux) et des victimes collatérales (au pire) dans la guerre qui oppose Batman aux Vilains qui se piquent de le combattre. Si on ajoute à ceci le fait que toute intervention explicite de Batman dans une enquête risquerait de créer une vice de procédure et que donc la police ne peut pas faire officiellement appel à lui sous peine de nullité, on se trouve alors dans une Gotham post-Gordon où la police tente d'avoir le moins de rapports possibles avec le justicier masqué.
Cela donne une série qui fleure le noir et le procedural bien plus que le gothique qui caractérise parfois les aventures de l'homme chauve-souris. Une série qui devait plaire à tout amateur d'ambiance réaliste donc sordide et de collectif soudé face à l'adversité.
Gotham Central, t1 et 2, Brubaker, Rucka, Lark
Commentaires
Brub et Rucka se partageaient la série : Brub l'équipe de jour, Rucka l'équipe de nuit. C'est d'ailleurs lui qui a marqué et changé à jamais Montoya. ;-) ( qu'il réutilisera lorsqu'il scénarisera les aventures de Kate Kane, Batwoman )
Grazie mille :)