Milieu des années 90, Saint-Auch (une petite ville résidentielle non loin de Toulouse), entre les lotissements des Acacias et des Genêts. Alex, Max, Mehdi et Tom sont quatre copains d'enfance auxquels vient de s'adjoindre Léna, qui arrive de Montauban.
Les cinq vivent la vie des lycéens de l'époque, et même si Léna, nouvelle venue, est à la fois plus proche de Mehdi que des trois autres et de surcroît une fille, la bande s'entend bien et partage à peu près tout. Ils traînent leurs espérances – qui à défaut d'être grandes ont au moins le mérite d'exister – entre les pavillons de leurs parents, le lycée Melville, et les serres désaffectées dont ils ont fait leur base. Une vie sans originalité ni aspérité, c'est ce qui caractérise le quotidien des cinq amis, de leurs familles et de leur voisinage.
Mais à Saint-Auch, un lycéen est mort récemment dans des conditions qu'on dit étranges, et il y a, aux Genêts, cette maison abandonnée au bout de l’impasse des Ormes qui intrigue avant de commencer à fasciner. Une maison dans laquelle, hélas pour eux, les cinq vont entrer une nuit, déclenchant un piège qui n'attendait que de nouvelles proies pour s'activer. Jouir, comprendre, lutter, tenter de survivre, les cinq se trouvent projetés du fait de cette malencontreuse visite dans un processus qui les obligera à abandonner leurs illusions d'enfance et à entrer douloureusement dans l'âge adulte.
La Nuit ravagée est le sixième roman de Jean-Baptiste Del Amo. C'est le premier qui se veut Imaginaire (et tout est dans le « se veut »).
Dans les plus de 400 pages du texte, Del Amo brosse le portrait de cinq adolescents plus que d'une génération (qu'est ce qu’une génération ?).
Les cinq amis dont ils racontent le passage brutal à l'âge adulte font partie de la classe moyenne (plus ou moins petite). Alex a une mère atteinte d'un cancer du sein, Max vit avec des parents qui cohabitent sans plus s'aimer et une mère qui boit trop de vodka, Mehdi grandit dans une famille aimante de travailleurs immigrés ayant connu aussi bien l’ascension sociale que le racisme ordinaire, Tom vit avec sa mère et son déplaisant beau-père depuis que son père est parti avec une étudiante, Léna et sa mère Hélène ont fui un conjoint violent.
Rien que de très ordinaire. Idem pour la petite ville, qui a connu les grandeurs et misères de toute société humaine. Aucun grand drame ni titre de gloire, que ce soit pour le lieu ou pour ses habitants.
Et c'est ce microcosme de la société française, sans particularité aucune, qui va se trouver être l'épicentre d'une attaque surnaturelle dont le voisinage ne sortira pas indemne.
De temps en temps, je lis un roman d'Imaginaire écrit par un auteur de blanche. En général, j'en sors déçu. Je suis donc très méfiant, chat échaudé craint l'eau froide. Mais là, les réseaux sociaux Imaginaire bruissaient de cette Nuit ravagée qui, lisait-on, lorgnait vers le Ça de King et le transposait joliment en France. Je me suis donc laissé tenter. Mal m'en a pris.
Passé un premier tiers qui pose les faits et le contexte, suit un deuxième qui montre les jeunes être happés par la malveillance qui occupe la maison avant de la combattre dans le troisième tiers. Et, passé le premier tiers, je me suis ennuyé.
Dans un roman horrifique, puisque c'est ainsi que se présente La Nuit ravagée, il faut un rythme, un ton, un découpage qui entraînent tension et angoisse en dépit du caractère statique du médium écrit qui, contrairement au cinéma, ne peut pas user d'artifices sonores ou lumineux. Del Amo ne parvient pas à les trouver ici, son roman est trop calme, trop sage dans sa réalisation pour être effrayant. Rien n'est speed, rien n’est surprenant, rien n'est nouveau.
Si on veut des jeunes et des maisons, et sans aller encore une fois vers Ça, L'Inversion de Polyphème (voire Les Navigateurs du même) ou Notre Part de nuit sont infiniment plus convaincants.
Et si on s'en tient à une bande de copains face à l'adversité surnaturelle, Stranger Things est quand même bien mieux charpenté.
Par ailleurs, l'auteur, voulant faire œuvre littéraire, a, dirais-je, « fait ses devoirs ».
Problème : ça n'est pas toujours réussi et de plus ça se voit. Citer mille références soit, c'est le jeu, mais citer les films suivis du nom de leur réalisateur !!! Qui fait ça, sauf à vouloir être sûr qu'on comprenne ? Autrement dit qu'on s'adresse maladroitement à ceux justement qui n'étaient pas vivants dans les années 90.
De plus, les quelques infodumps du début sont précisément ça, des infodumps, et ça se voit aussi. Mais, tout à son pathos personnel, l'auteur ne réalise pas que Ibrahim Ali, Clémentine Célarié ou 3615 ULLA ne sont pas des références iconiques équivalentes à l'assassinat de Kennedy par exemple. Stephen King raconte le passé à l'aide de nourriture, d'équipes sportives, de pièces de mobiliers ou d'événements d'importance mondiale, ainsi il en parle avec efficacité sans donner l'impression de pointer du doigt des détails. Ici c'est le contraire, tout est trop vieux, trop oublié, trop limité à certains milieux qui se souviennent ou ont appris.
Quand à la petite histoire économique et sociale de la France et de la région toulousaine, c'est soit trop court, soit superflu, guère plus qu'un décor en terme d'apport à l'histoire.
Enfin il y a aussi le SIDA, mais là encore on est loin, je trouve, de l'inquiétude sourde et lancinante qui touchait les jeunes de cette époque – dans le roman c’est plutôt l’homosexualité en tant que telle qui inquiète.
L'apport des VHS (et de Carpenter) est finalement plus central dans ce récit dont la focale est sur la petite ville bien plus que sur le vaste monde, autocentré comme le sont en général les adolescents.
Et pourtant Del Amo n'oublie pas de parler de toutes les choses dont doit parler un auteur contemporain concerné – ce qui le montre faisant l'auteur de blanche, rappelant qu'il l'est (et qu'il n'a pas écouté pas Bégaudeau disant : « Personne n'a besoin de l'art et l'art n'a besoin de personne »). Il y a ainsi dans La Nuit ravagée, comme élément important (pourquoi pas) ou, pire, comme élément secondaire, du harcèlement scolaire, de la violence conjugale, de la violence sexuelle sur mineurs, du racisme ordinaire, des inégalités de classe. On se croirait hic et nunc. Mais ceci, décrire le vrai monde avec ses vraies vilenies dans un petit bled dont les enfants grandissent, Nicolas Mathieu le fait mieux dans son Leurs enfants après eux, sans donner l'impression d'avoir dû caler tout ça dans un texte horrifique.
Au bout du bout, que reste-t-il ?
Que Del Amo ait fait ses devoirs, tant mieux pour lui. Qu'il projette en 1995 les questions d'aujourd'hui, soit, c'est lui l'auteur. Qu'il néglige des éléments importants de l’époque tels que les cartes Magic, les jeux vidéo, les jeux de rôles, les comics ou toute une partie de la musique, admettons encore (ça commence à faire beaucoup d'admissions). Mais, je le répète, ce roman ne fait pas assez peur pour être horrifique, il n'est pas assez défocalisé pour être vraiment générationnel, il n'est pas assez original pour être surprenant, il est, hélas et finalement, fondamentalement ennuyeux. Alors si tu veux du King, lecteur d'Imaginaire, lis du King.
La Nuit ravagée, Jean-Baptiste Del Amo
Commentaires