Un matin au réveil, Gregor Samsa réalise qu'il est devenu un monstrueux insecte.
Dans La Méridienne, le jeune et belle Mélanie s'allonge pour se reposer, dans les années 50, sur une méridienne achetée dans une brocante. Elle se réveille dans le corps de Milly, une jeune femme vivant en 1864. Le choc que subit le jeune femme n'est pas moindre que celui qui frappe Samsa, pire peut-être car il a pour elle l'effet d'une douche froide, on le verra.
Ecrite en 1953 par Marghanita Laski, The Victorian Chaise-Longue est une novella traduite aujourd'hui en français par Agnès Desarthe sous le titre La Méridienne.
Elle met en scène Mélanie, une jeune mère de la bourgeoisie anglaise très amoureuse de son mari, hélas atteinte de tuberculose, maladie qui tuait encore en 1953.
Alors que Mélanie est encore très fatiguée par des mois de maladie, elle reçoit une bonne nouvelle qui lui rend courage et optimisme, elle serait sans doute guérie. Elle sort donc de son lit pour la première fois depuis longtemps et va, hélas, s'allonger sur la funeste méridienne du titre.
Réveil en 1864, sans explication, dans un environnement qui n'a plus rien à voir avec celui dans lequel elle s'est endormie.
Mélanie est une femme typique de sa classe, dans un temps et un pays où les différences de classes étaient bien plus signifiantes qu'ici et aujourd'hui. Elle est exubérante, entourée, résolument optimiste, capable de passer sans transition de la bouderie à la surexcitation. Une de ces femmes aisées et insouciantes que le cinéma hollywoodien a immortalisées durant ces années.
Ici, toute obsession classiste bue, son exubérance est justifiée. Elle vient d'apprendre qu’elle ne mourra sans doute pas de sa maladie et qu'elle pourra donc bientôt reprendre sa vie auprès de son mari et de son jeune enfant.
C'est donc une vraie chute de Charybde en Scylla qui se produit lorsqu'elle se réveille sans comprendre pourquoi ni comment dans une maison inconnue, auprès d'inconnus qui, s'ils semblent être des proches, ne sont toutefois qu'en partie amicaux. D'autant qu'elle est atteinte d'une grande faiblesse physique dont elle ne connaît pas la cause au début de son aventure et qui limite largement sa capacité d'action.
Passées les tentatives de comprendre, qui se révèlent infructueuses, Mélanie n'a plus qu'un but, retourner à son époque, à son mari, à son fils, à son statut de guérie de la tuberculose.
Mais comment faire quand on ne peut pas exprimer clairement les choses et qu'on ne sait pas quelle est la cause du déplacement initial ? Se lever ou pas de la méridienne ? S'endormir ou rester éveillé ? Se mettre à la prière voire à la foi ? Chercher de l'aide ? Mais auprès de qui ?
La libre Mélanie, qui a toujours vécu tant la liberté matérielle typique de sa classe que celle que lui donne une forme, rare à l’époque, d'indépendance d'esprit par rapport aux normes de son temps, se retrouve coincée, littéralement, dans un corps et un temps qui la contraignent infiniment plus qu'elle ne le fut jamais.
Ou comment vivre une forme d'horreur existentielle, à fortiori si elle se terminait de manière funeste ? Il faudra lire pour savoir ce qu'il en sera, lecteur. Et tu sympathiseras, tu compatiras, tant Mélanie et sa détresse suscitent la pitié.
A l'opposé du héros du très beau Le Jeune homme, la mort et le temps, de Richard Matheson, dans lequel le déplacement temporel, s'il est avéré, est volontaire, ici c'est comme Alice s'endormant que Mélanie change de monde, vers un pays des cauchemars dont elle ne sait pas si elle parviendra à s'éveiller. Inquiétant.
La Méridienne, Marghanita Laski
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