La paix, sous la Parentèlité. L’unité, dans le Treble.
Telle est la mission des trois Mains, celle que tout Ecclésiaste, Ombre ou Secrétaire se doit de respecter pour maintenir l’ordre dans ces systèmes stellaires.
Mais lorsque apparaît sur le marché noir une pièce mémorielle impliquant dans un génocide la famille la plus puissante du Treble, le chaos menace.
Chono et Esek, deux des membres les plus brutaux de la Parentèlité, sont alors chargées de trouver cette preuve pour la détruire. Leur traque les mènera jusqu’à l’énigmatique Six, un être insaisissable issu de leur passé, qui n’a pas fini de les manipuler…
Ce qui précède est la 4ème de couv du Jour du souvenir, le premier tome de la trilogie La Constellation des ombres par Bethany Jacobs. C'est aussi un remarqué premier roman et le Philip K Dick Award 2024. Diable !
Qu'en est-il ?
La vie étant courte et les livres nombreux, la question, lecteur, est toujours la même : Faut-il consacrer un temps précieux, car rare, à lire ce livre ?
La réponse dépend de toi. En ce qui me concerne, voici quelques raisons d'économiser son temps :
1/ Sache que, sous ses oripeaux SF, Le Jour du souvenir est de la fantasy – déjà il y a une carte ;-) – déguisée en SF.
« Tu as tué mon père, tu as tué ma mère, tu as tué mon peuple », c'est dans Conan le barbare.
Fantasy notamment car féodalisme, quête mémorielle, écoles de moinillons, vengeance (dont l'autrice explique sans ambiguïté, dans l'émission qui lui est consacrée en français sur C'est plus que de la SF, que c'est le point du livre). Fantasy surtout car aucune notion scientifique, aucune expérience de pensée technologique ne sont utilisées ici comme motrices du récit.
Et clairement, pour ce qui est du S de SF, lecteur, tu peux passer ton chemin. On se déplace de monde en monde à travers des « portes » qui utilise un minerai rare, la jévite, comme carburant (traveling without moving, comme les Navigateurs de la Guilde avec l'épice dans Dune). On caste (en gros ça veut dire on hacke, et ça n'a pas l'air bien compliqué pour ceux qui savent le faire, moins que dans Neuromancien en tout cas). On s'enfonce des pièces mémorielles (qui sont des vidéos, guère plus) dans la prise neurale. On se déguise tellement bien que personne ne nous reconnait, Mouarf ! Sur la science ça ne va pas plus loin, ça n'est visiblement pas le projet.
Fantasy je l'ai dit mais surtout fantasy théocratique pour être plus exact, avec un clergé très cruel (et quand je dis très c'est très, on y reviendra). Là encore, ça a déjà été fait, de Dune aux Guerriers du Silence, les deux références de Lloyd 'Plus que de la SF' Chéry.
Et en « SF » même, space opera pas vraiment, disons plutôt planet opera, avec quelques mondes peu détaillés entre lesquels on se déplace sans la moindre difficulté grâce aux portes et à la jévite (sauf quand, comme ici, la Parentèlité ferme les portes, ce qui lui donne le rôle d'un gardien d'octroi ou d'un troll de pont ; None shall pass!). On va entre les rares lieux comme on irait à cheval, sauf que là, ça n'est pas à cheval. Ah oui, il y a aussi un vaisseau-arche, mais il ne sert plus, sauf qu'il sert, enfin il faut lire (ou pas) pour savoir.
2/ Sache également que Bethany Jacobs classe son roman en SF queer. Long story short, dans Le Jour du souvenir les gens choisissent leur genre à l'entrée dans l'âge adulte puis changent de genre (sans changer de sexe) comme de chemise quand ça leur chante. C'est bel et bon. Tellement progressiste différentialiste. Est-ce que ça apporte quelque chose à l'histoire ? Réponse : non. En revanche, ça contraint à lire 500 pages de iel, y compris dans des tournures qui sont franchement peu lisibles. Autre chose ? Il y a un couple de femmes. Wow ! Ca c'est moderne.
3/ Sache encore que le worldbuilding et le political building sont très sommaires. Si certains auteurs savent créer des mondes dont on a l'impression de les connaître jusque dans leur plus petits détails (PF Hamilton ou James SA Corey entre autres) ce n'est pas le cas ici. Quelques planètes dont on ne sait pas grand chose, une grève, une technologie peu explicitée, des différences géophysiques peu ou pas utilisées, une organisation politique et sociale dont on ne sait rien si ce n'est qu'il y a une théocratie et des oligarques (que c'est original!) et que les 'méchants dictatoriaux génocidaires' sont très méchants, vraiment très méchants, sans toujours une raison rationnelle et sans jamais la moindre limite, Einsatzgruppen-style donc. Quand au personnage principal, Esek Nighfoot, les motivations de sa rage meurtrière, dès la première scène, sont largement inexpliquées et inexplicables, au point de rendre le personnage incroyable, parfois à la limite du ridicule, Cruella-style.
4/ Sache enfin, tu l'as lu au-dessus, qu'il est question d'un génocide passé, caché, qui risque de ressurgir à la surface et de faire vaciller le système despotique de la Parentèlité (kindom en anglais). Les tropes constants des auteurs américains contemporains sont de retour si tant est qu'ils soient jamais partis.
Exploitation, répression, dissimulation, dévoilement, culpabilité, repentance sans fin et sans limite, tout le point du roman est contenu dans ce passage de la fin du récit :
« Faites amende honorable. » C'est presque plus un ordre qu'une suggestion. « C'est votre seule option, n'est-ce pas ? Faites amende honorable, Ardente. ». Le regard de Chono dit ce qu'elles savent toutes les deux : rien ne sera jamais suffisant. Il n'y a pas de salut pour ce qui est irréparable. Pas d'absolution. Mais pas d'excuses non plus de ne pas essayer. Au bout de quelques instants, la férocité dans les yeux de l'Ecclésiaste se dissipe, remplacée par une lassitude. Le bref hochement de tête qui suit pourrait signifier n'importe quoi - une promesse, une reconnaissance, une reddition.
Le sanglot de l'homme blanc est éternel, en particulier dans l'Imaginaire US. Et même si ici c'est celui de la femme blanche, ça ne change rien à l'affaire.
Tout ceci, qui est vu et revu jusqu'à l'ennui mortel, pourrait passer si le style ou la construction étaient renversants. Mais ce n'est pas le cas. On a, au mieux, le travail d'un bon artisan qui sait faire, avec néanmoins quelques moments d'imprécision, surtout dans les parties émotionnelles, qui sentent le débutant.
Ah oui, et il y a un twist. Qui ne rachète pas tout ce qui a précédé.
Point positif : l'ensemble est plutôt efficace et la construction se tient. Ca fait peu pour autant de louanges reçues.
L'autrice se revendique d'Octavia Butler. Son travail et celui d'Octavia Butler sont comme la version alpha et la version finale d'un logiciel. Elle cite aussi Le Guin. Mon commentaire est le même.
Si l'édition US n'était pas, depuis une bonne décennie, éblouie par le progressisme différentialiste, nul doute que ce roman serait passé inaperçu. Mais il coche toutes les cases du bingo, il est de plus écrit par une femme – comme Leckie ou Martine –, et il reçoit donc bonne presse et récompenses. Il offre enfin à ceux qui le lisent en y prenant plaisir la confirmation de leur propre vertu, et ça, ça n'a pas de prix. Enjoy !
Le Jour du souvenir, Bethany Jacobs
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