La Clémence des dieux - James SA Corey VF

Sortie chez Actes Sud de La Clémence des dieux , la VF, traduite par Yannis Urano, du très bon nouveau roman de James S.A. Corey The Mercy of Gods . On peut en lire une chronique en cliquant ici.

The Department of Truth t5 - Tynion - Simmonds - Bidikar


Sortie du tome 5 de la série de Tynion and Co, The Department of Truth. C'est toujours aussi brillant, brillant à un point qu'il est difficile d'exprimer dans sa plénitude.


Que dire sur ce volume ? (tout ce qui est nécessaire pour comprendre se trouve dans les chros précédentes)

Ce sont ici les issues #23 à #27 qui sont rassemblés. La table a été renversée à la fin du TPB précédent et Lee – le mystérieux chef du Department of Truth – lève enfin le voile sur la genèse du département, son action concrète dans les décennies écoulées et sur l'existence même de l'homme qui s'appelle Lee (si ma formulation te paraît étrange, lecteur, sache qu'elle est le résultat de l'incertitude qui existe, même dans l'esprit du narrateur, sur l'exactitude des faits rapportés – qu'est ce qui est vrai dans un monde où toute croyance est cause et conséquence d'un fait et tout fait cause et conséquence d'une croyance ?).


Le gambit informationnel que tente Lee dans ce TPB en disant la/sa vérité à Matty, le mari de Cole, a pour but de contrer la tentative de Black Hat de retourner à son profit ce Matty qui est à la fois un journaliste et le conjoint du héros de la série. Ce pari ne portera ses fruits, s'il réussit, que dans les TPB à venir. On le saura bien assez tôt.

Ce que livre Lee, ce qu'il raconte à son interlocuteur effaré comme à toi, lecteur, c'est sa propre histoire, autant qu'elle peut être rassemblée et collationnée. C'est la vérité – celle qui s'est imposée dans l’esprit du narrateur en tout cas – sur l'identité intrinsèque du jeune Lee Harvey Oswald, sur la raison pour laquelle il part en URSS, sur ce qu'il y fait, sur ses rapports avec le renseignement russe et avec la contrepartie locale du Department of Truth, sur son mariage avec une jeune femme russe, sur son retour aux USA, sur ses contacts avec des milieux interlopes, sur sa rencontre avec l'étrange Mohrenschildt, sur sa piètre vie sur famille, sur sa participation à l'assassinat de Kennedy, sur son propre assassinat (qui ne l'empêche en rien d'être vivant aujourd'hui et de diriger le DoT).


De tout cela, Oswald se rappelle en partie, il n'est pas sûr de tout et, dit-il, sa version est au moins aussi bonne que celles qu'on trouverait dans les centaines de livres écrits sur le sujet. Dans un monde d'ombres, aucune ombre n'est plus satisfaisante qu'une autre et toutes empêchent avec la même intensité d'accéder à la totalité des faits (des faits dont on sait depuis le début de la série qu'ils sont objectivement mouvants, ombres mouvantes sur faits mouvant, le mieux qu'on puisse faire est de choisir le récit qu'on préfère).

C'est de la réalisation de l’assassinat de Kennedy que parle Lee, des raisons pour lesquelles il fut envisagé puis planifié puis exécuté, du rôle qui joua cette femme en rouge qui est depuis le début au centre du jeu sinistre du Department of Truth. Si une nation ne peut exister sans ennemi, alors il était nécessaire que Kennedy sorte du jeu et il était utile qu'il le fasse en devenant une sorte de martyr. Mais là encore, entre le prévu, le suggéré, le contraint et le réalisé, il y a une marge dans laquelle on trouve la femme en rouge.


Mais il n'y a pas qu'Oswald dans ce TPB. Parlant de lui, il parle aussi de son mentor Frank Capra, le metteur en scène occulte d'une Amérique heureuse, sûre d'elle et triomphante.

We are jolly green giants, walking the earth with guns (Full Metal Jacket)

L'Amérique triomphante commencera à douter d'elle-même (comme le monde doutera d'elle) quand le narratif déraillera et que sa marche inexorable vers une domination tant matérielle que symbolique commencera à être entravée par un contre-narratif (qu'on dira parfois contre-culturel) qui s'opposera au sien, créant des ennemis tant internes qu'externes et des contre-récits désirables pour une partie grandissante de l’humanité. C'est alors qu'il faudra intervenir et prendre des mesures drastiques. Kennedy n'y survivra pas. Et Lee y deviendra, après Capra, celui qui préside aux arcanes du narratif américain.


Que sortira-t-il de cette tentative de transparence (intrinsèquement vouée à l'échec partiel par la nature même d'une vérité sans cesse réécrite) dans la suite de l'histoire du Department of Truth et donc du monde ? Seul le TPB 6 nous le dira. Sache néanmoins, lecteur, que les enjeux sont plus hauts que jamais.


Sache enfin, lecteur, que la dernière partie de l'album lève le voile sur le rôle et le destin de Marilyn Monroe. Ici, un style graphique complètement différent montre que la fabrique à croyances fonctionne aussi bien à Hollywood que dans le reste des USA mais qu'ici elle est explicitement réglée sur un mode féerique et merveilleux, tout paillettes et glamour. Ici, tu verras comment Marilyn – et ceux qui lui ressemblent – deviennent sans même sans rendre compte des parties du narratif global : Norma Jean est une femme mais Marilyn est une création du désir global, comme le Chupacabra ou le Bigfoot, correspondant aux attentes du désir global mais aussi capable, par le moindre de ses actes, de le changer – y compris dans une direction qui ne conviendrait pas au DoT, d'où...

Quelque chose doit casser dit-elle, c'est aussi le titre de son dernier film inachevé. Norma Jean avait compris mieux que personne qu'elle occupait une place et un rôle, et que si, devenue Marilyn, elle  ne faisait plus l'affaire, une autre la remplacerait à cette place et dans ce rôle. L'usine à rêve ne doit pas causer d'inquiétude.


Dans ce cinquième TPB, James Tynion IV fait encore la preuve de sa maestria. Mêlant avec brio histoire, histoire secrète, pop culture, théories du complot, il crée un récit (j’entends ici toute la série) dont la qualité structurale est immense. Tout est clair, tout se tient, tout s’emboîte sans solution de continuité, tout arrive au rythme nécessaire, Tynion a cherché la difficulté et il l'a vaincue de manière magistrale. Quant au graphisme, il soutient le projet de façon magnifique.

Ca existe en VF chez Urban, tu dois le lire, lecteur, dans une langue ou dans l'autre.



PS : Sortie récente de Spectregraph. Toujours aussi bien écrit, avec des dialogues qui en quelques phrases font plonger au cœur d'une action et d'un personnage, c'est une histoire de fantômes et d'occultisme. J'ai été déçu par le twist final aussi regrettable que mal amené imho et un point de départ qui n'est pas complètement crédible. Je ne le conseille donc pas même si c'est un bel objet (mais cher).


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