Paradoxal exercice que de dire sur un blog ce que nous crie Romain Lucazeau
dans son petit opuscule poétique intitulé Langage | Machine. Car, à contrario de cet écrit numérique, c'est
d'une langue vocale que nous entretient l'auteur, d'une parole issue d'un
corps percevant et ressentant, non médiée par un dispositif algorithmique. Une
langue vocale qu'il transcrit en poésie. Poésie qu’il nous faut, dit-il, dire
plutôt que lire pour
« qu'ait lieu un chant issu du souffle humain », issu de ce
pneuma donc (πνεῦμα) qui trouve son origine dans le cœur.
C'est avec grande nostalgie et maigre espoir que Lucazeau va à la rencontre
d'un monde et d'un pays qui ne sont plus ceux dans lesquels nous sommes nés.
Un monde et un pays dans lesquels les machines, après nous avoir secondés,
nous parlent et maintenant nous suggèrent.
Un monde et un pays dans lesquels l'omniprésente urbanité nous coupe du
contact direct avec la nature.
Un monde et un pays dans lesquels
« Les vieux ne meurent plus, ils vivent le crépuscule d'un déclin
infini ».
Par la poésie, Lucazeau tente autant de raconter ce nouveau monde et ce nouveau pays que de
dire comment, en quels lieux et en quels moments l'on peut tenter de s'en
extraire pour se reconnecter à une primordiale vérité, humaine, trop humaine,
qui est celle de la sensibilité.
Après une belle et fort pertinente entrée en matière intitulée
Effet de seuil dans laquelle l'auteur nous décrit le basculement
accompli du souffle humain vers la parole synthétique – un donné contre lequel
son petit opus est une tentative de résistance
(j'ai horreur de ce mot) –, il poursuit par un chapelet de textes qui
racontent le monde vu par ses yeux et passé au filtre de sa sensibilité.
Pas de « dénonciation vaine » ici, ni de
« désir futile de changer les choses ». Encore moins de cette
« furtivité » qu'affectent « quelques poseurs ».
L’algorithme veille, il crunche le Big data, il se fout éperdument de la
défection mégalomaniaque de tel ou tel. Il est. Et tel un trou noir il plie la
réalité autour de lui.
Non, pas de ça ici. Juste une tentative de saisir par la beauté des images,
des rythmes et des assonances, la vérité d'un monde qui, s'il est devenu celui
des machines, peut être, grâce aux effort de la volonté activant une
sensibilité dont les machines sont dépourvues, encore en peu le nôtre. Au
moins dans le dire.
« Je sais des lieux cachés dans les replis du monde...
Ils sont la poésie
Enclavés au giron d'une vue inféconde »
nous dit Lucazeau.
Si c'est vrai, et s'il peut les dire, alors,
« Non pas à l'extérieur de la poésie, mais par elle-même, par un geste
qui trouve en elle son début et sa fin...
Même en n'attendant rien du discours, de la fausse monnaie de l'espérance
et des bons sentiments factices... »
nous pourrons grâce à lui découvrir où restait « une fine lumière dans la nuit profonde ».
Langage | Machine, Romain Lucazeau
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