Futur pas si lointain. Damira est…
Qui est Damira au juste ?
Une militante contre la chasse à l’éléphant, une russe prête à risquer sa vie pour lutter contre les braconniers qui abattent ces pachydermes jusque dans les réserves naturelles en dépit de toutes les réglementations internationales ?
Une matriarche mammouth conduisant sa horde sur les terres vides d’hommes de la taïga russe ?
Un peu des deux ?
The Tusks of Extinction est une novella de Ray ‘Mountain in the Sea’ Nayler.
Il y imagine un monde dans lequel une société russe a ressuscité des mammouths à partir de fragments d’ADN retrouvés dans un sol en cours de décongélation puis les a libérés pour peupler une vaste zone libre. Mais la population de titans récemment ramenés à la vie est confrontée à trois périls qui se succèdent : d’abord, faute de transmission mémorielle, les néo-mammouths ne savent pas se comporter en mammouths, au point qu’ils risquent de disparaître de nouveau par manque des réflexes vitaux de horde que possédaient et se passaient de mères en filles leurs lointains ancêtres, ensuite (et ça, Damira ne le savait pas lorsqu’elle a accepté que sa mémoire numérisée soit installée dans le corps d’une matriarche), le financement de l’activité nécessite de grosses sommes d’argent qui peuvent être obtenues par la vente de permis de chasse à des hommes fortunés excités par le fait de chasser un animal mythique et rare, enfin, malgré la localisation secrète des mammouths ceux-ci ont été repérés par des braconniers qui rêvent de devenir très riches en vendant l’ivoire de leurs défenses, rarissime depuis l’extinction des éléphants (provoquée justement par la folie de l’ivoire).
Dans The Tusks of Extinction on retrouve les thèmes, les préoccupations et la pertinence scientifique qui étaient les points forts de The Mountain in the Sea, le dernier roman de Ray Nayler (bientôt en français au Bélial). C’est ici d’une autre montagne qu’il s’agit – un mammouth, haut d'environ 3 mètres, pèse en moyenne 5 tonnes – mais le point est le même. C’est des rapports entre les humains et le monde animal qu’il s’agit. De l’extinction qui a frappé les mammouths sous l’effet de la surchasse pratiquée par les humains de l’époque glaciaire, comme de celle qui menace les éléphant chez nous et s’est déjà réalisée dans le monde de Damira. Des extinctions aussi, pour être complet, qu’ont subies ou qui menacent tant d’autres espèces sous l’effet d’une appréhension de la nature vivante caractérisée par l’idée que le monde a été créé uniquement pour que les hommes en tirent tout ce qu’ils désirent. Tragédie des communs, les poissons en savent quelque chose, ce n’est pas Peter Watts qui me démentira.
C’est aussi à une plongée dans la conscience animale que Ray Nayler invite le lecteur. Illustrant les connaissances sur la mémoire éléphantine, il dote ses mammouths d’une personnalité et d’une volonté qui se forment par l’apprentissage, s’entretiennent par la mémoire, se transmettent par la communication directe à l’intérieur de la horde. C’est pertinent et parfaitement mis en mots par un Nayler qui est décidément l’auteur qui fait penser les animaux.
Autour de Damira on devine un monde que Nayler esquisse suffisamment pour qu’on le visualise. Structuré par un capitalisme dérégulé et des mafias internationales, le clonage et les enregistrement neuronaux en forment la base scientifique nécessaire au récit. Pour ce qui est de l’organisation politique c’est moins clair, même s’il y a encore des dirigeants russes et des milliardaires mondiaux. Pas de grand changement de ce côté là donc.
Ca, c’est pour le monde futur. Pour le monde presque actuel dans lequel est née Damira, Nayler y décrit en quelques mots justes une mondialisation largement anomique qui fait de la planète un espace de circulation sans limite ni barrière. Il pointe l’absurdité et la folie du trafic mondial de l’ivoire, avec ses ramifications souterraines si nombreuses qu’elles forment un réseau inextricable permettant à des gens lointains, avec la complicité violente de petites mains locales qui n’y gagnent qu’une vie rude et brève, de piller des ressources locales pour le plaisir de gens lointains – Deji Bryce Olukotun faisait de même avec celui d’abalones dans Nigerians in Space.
Nonobstant le monde, The Tusks of Extinction c’est enfin une plongée dans le vie de Damira, joliment racontée, sous quelque forme qu’elle habite. De ses pertes d’identité innées à ses constructions d’identité acquises. Du présent qu’elle vit aux souvenirs qui la définissent. Ou encore dans la vie, rude et peu enviable, du jeune Svyatoslav, fils d’un braconnier et lien inattendu entre deux mondes.
C’est donc un texte beau et documenté que propose Ray Nayler ici, sur un futur imaginable dans lequel des espèces disparues seraient rendues à l’existence.
Si on devait faire un reproche au texte, ça serait d’être un peu trop long sans doute ; le couple formé par Anthony le chasseur milliardaire et Vladimir son mari qui sait mais ne veut pas savoir, censé sans doute illustrer le déni de certains, est trop caricatural, et les indignations de Vladimir sont trop typées Castafiore.
The Tusks of Extinction, Ray Nayler
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