L'Enfance du monde - Michel Nieva

Je suis surchargé de travail, lecteur. Résultat : des lectures et des chroniques en retard et peu de temps pour rattraper. Alors chroniques courtes, faisons ce qu'on peut dans le temps qu'on a ; as Chaucer said, time and tide wait for no man. Fin du 23ème siècle, sud de l'Argentine entre autres. Suis-moi, lecteur, nous allons rencontrer l'enfant dengue ! L'Enfance du monde est le premier roman de Michel Nieva. C'est une fable, un conte dystopique d'effondrement lent, d’effondrement en cours. C'est l'histoire de l'enfant dengue, un hybride enfant-moustique né d'on ne sait quel étrange miracle. L'enfant dengue, de père inconnu, vit avec sa mère, une femme de ménage pauvre du sud de l'Argentine, dans cette Patagonie que la montée du niveau des mers a radicalement transformé – comme le reste de la Terre. D'immenses zones – dont la capitale Buenos Aires et sa région entière – ont été inondées et perdues pour toute vie terrestre, le...

Interview Peter Watts : "Animals are assholes"


Peter Watts est canadien, biologiste marin, et auteur célèbre de la série Rifters et du roman Vision Aveugle. Il a aussi écrit un certain nombre de nouvelles, parmi lesquelles A Niche, The Island, et The Thing, adaptée du film éponyme de John Carpenter.

J'ai eu la chance de le rencontrer aux Utopiales de Nantes et de pouvoir lui poser quelques questions. il a aimablement répondu en bougeant beaucoup les mains, comme un vrai méridional, et m'a offert beaucoup d'humour et d'idées décapantes.

Merci, Peter Watts, de me recevoir ici, aux Utopiales.

Ma première question sera celle-ci : Vous avez en France et j’imagine dans le monde l’étiquette d’un auteur de Hard-SF. Validez-vous cette étiquette ?


Non. Je ne crois pas que cette étiquette soit légitime. Pas parce que je pense ne pas écrire de Hard-SF mais je pense que l’étiquetage Hard-SF prend son origine dans le lecteur plutôt que dans l’auteur. Larry Niven était considéré comme un auteur Hard-SF et la plupart de ses meilleures idées sont venues de la fantasy, comme son acier magique, ce qui concerne la sélection génétique de la chance par exemple, on peut même inclure dedans l’idée de voyage plus rapide que la lumière. Si vous regardez ce que j’ai fait, la base de mes livres est scientifique mais ce n’est pas si important que ça en fait. Un de mes anciens professeurs m’a posé une question sur un point de biochimie qui l’inquiétait beaucoup à propos de la manière dont un microbe dans un de mes livres fonctionnait, comment il parvenait traverser la cellule sans déclencher de processus lysosomique. Je lui ai donné une longue réponse technique crédible, mais je pense qu’en fait on s’en fout. Je suis à peu près sûr que les vrais microbiologistes qui regarderaient cette explication considèreraient que c’est le même genre de fantasy que celles de Larry Niven avec la sélection de la chance. Il est vrai que j’ai effectué de nombreuses recherches pour que la science que je décris dans mes livres soit raisonnablement plausible mais ça s’appelle de la science-fiction. Parce que c’est de la fiction, le fait que ça soit Hard ou non dépend plus de ce que le lecteur perçoit dans le livre que de ce que l’auteur y met.

Votre premier texte publié était lié à la mer, c’est aussi le cas dans la saga Drifter où vous reprenez d’ailleurs le personnage principal de « The Niche ». La saga Drifters est très sombre. Et la danger y vient de la mer. D’après vous, en tant que biologiste marin, quels bienfaits la mer peut-elle apporter à l’Humanité à l’avenir ?

Je pense que la mer a déjà apporté à l’Humanité tous les biens qu’elle pouvait. Si vous aimez le poisson, vous devrez apprendre à vous en passer d’ici une quinzaine d’années. En terme de pêche commerciale, nous avons déjà réduit les populations de ceux des poissons que nous consommons de 85 à 90%. Et ces données ont déjà une dizaine d’années. Nous avons à peu près exterminé tout ce qui vivait dans les niveaux supérieurs (de la mer) et nous descendons progressivement de plus en plus bas. Nous attrapons maintenant ce que nous qualifiions de gluant, les Patagonian Toothfish, et nous inventons de nouveaux noms pour les rendre plus attrayants. Nous mangeons et mangerons ce que nous n’avons jamais mangé auparavant simplement parce que nous avons tellement éliminé de ce dont nous avions l’habitude. Probablement que d’ici la fin du siècle le gros de la biomasse marine sera constituée de méduses, presque impossible à tuer, et de calmars géants. Les calmars géants survivront car ils mangent les méduses. Je pense que nous avons vidé les océans et que ce qui a disparu ne reviendra pas.

Vos personnages sont souvent génétiquement modifiés, ils sont aussi psychologiquement fragiles. Pensez-vous que des humains génétiquement modifiés auront inévitablement des failles ?

Oui, car ce seront d’abord des humains. Et nous avons tous de nombreuses failles. Je pense que c’est une question intéressante, une de celles que je traite dans Echopraxia (son prochain roman). J’y parle de gens qui sont tellement modifiés que leur corps s'apparente à des formes de cancer. Ils développent de nouveaux appendices, ils n’ont plus de centre de la parole au sens habituel du terme, leur cerveau ont été totalement recablés, au point qu’ils « parlent en langue ». Un des points importants de ces modifications est que ça crée des personnes dont le cerveau fonctionne au niveau quantique. Cela leur donne des avantages énormes dans bien des domaines – nous ne comprenons pas intuitivement la mécanique quantique, nous devons l’étudier, eux perçoivent les mécanismes quantiques - mais en contrepartie, parce que leur cerveau travaille sur deux échelles en même temps, ils peuvent être incapables de traverser la rue seuls.
Plus il y aura de modifications génétiques et d’améliorations, plus il y aura de bugs, car nous n’aurons pas eu le temps de débugger. C’est une vue un peu extrême, de la science-fiction folle. Mais d’un point de vue plus réaliste, je ne vois rien dans les améliorations génétiquement que nous pourrions créer qui supprime les failles psychologiques que nous avons. Au contraire, nous avons eu plusieurs millions d’années pour débugger notre programme biologique par le biais de la sélection naturelle ; c’est notre héritage évolutif. En nous modifiant nous-mêmes, nous introduirons probablement des failles nouvelles.

Des humains GM serait dont des sortes de prototypes ?

Oui. Tout à fait. Des prototypes. Ce fut le cas il y a quelques années avec les premiers bébés éprouvettes. Ils ont maintenant grandi et semblent tout à fait ok. Mais supposons qu’au lieu de cloner la brebis Dolly nous ayons cloné un être humain et qu’il ait connu un vieillissement prématuré, comme Dolly, et soit mort de vieillesse à treize ans. Ca aurait été la preuve d'un bug dans l'expérience. Ca arrivera, des choses comme ça arriveront forcément. Si on pouvait donner à un enfant un QI de 300 et aucun besoin de dormir, beaucoup de parents serait partants pour utiliser cette technique. Il y aura un jour une pression pour développer ces techniques, et il y aura nécessairement des erreurs qui apparaitront dans le processus, pendant longtemps, avant que celui-ci ne soit devenu fiable.

Autre sujet, j’ai vu plusieurs fois le film The Thing de John Carpenter et n’ai jamais parfaitement compris la logique de progression de la créature. Puis, un jour, j’ai lu votre nouvelle The Thing et tout m’est devenu clair. Vous m’avez fait comprendre le film. Mais voici ma question, pourquoi avez-vous eu envie de refaire cette histoire ?

The Thing est un de mes films préférés. C’est vraiment un film que j’aime beaucoup. Mais, un jour, j’ai lu un article scientifique, dont j’ai oublié l’auteur, sur l’évolution somatique. Et je me suis demandé : Pourquoi nos cellules ne luttent-elles pas les unes contre les autres ? Vous avez deux cellules dans votre foie, elles sont en compétition pour un accès à la même ressource sanguine, aux mêmes nutriments, pourquoi alors n’y a-t-il pas de processus darwinien qui se mette en branle dans votre corps ? Au début, pourtant, tout a bien commencé par grandir et se répandre. C’est le problème qui se pose avec les cancers. Supposons que les cellules individuelles soient en compétition. Alors nous serions porteurs de plusieurs tumeurs concurrentes, et ce qui les empêcheraient de devenir hors de contrôle est le fait qu’elles luttent sans cesse les unes contre les autres. C’est une manière tout à fait différente et intéressante de considérer la biologie. Et ça a allumé une lumière dans ma tête, je me suis dit « C’est peut-être comme ça que fonctionne la créature de Carpenter ». Je me suis que je pouvais peut-être écrire une histoire sur The Thing. Je me suis dit que j’allais adopter une approche lamarckienne. Que doit faire une entité cellulaire qui doit se transformer pour vaincre ? Comment pense une créature quand elle est scindée en multiples parties et cherche à refaire son intégration ? Quel est son sens de l’identité ? Toutes choses qu’il faut traiter quand on adopte le point de vue d’un métamorphe étranger. J’ai écrit, avancé, et aux trois quart de l’histoire il m’est apparu que ce qui donnait sa dynamique au récit c’était l’impulsion missionnaire. En effet, que fait la créature à la fin de l’histoire ? Elle « pense » : « ces pauvres sauvages, ils ne sont pas comme moi, comment peuvent-ils être heureux ? Il va falloir que je les viole pour faire pénétrer le salut en eux. » Les professionnels du politiquement correct m’ont dit que je n’aurais pas du utiliser le mot Viol à la fin de l’histoire, parce que ça lui donnait un sens misogyne. Mais, mot mis à part, c’est précisément ce que font les missionnaires. Ils vont dans des pays éloignés et convertissent les païens par la force, c’est exactement ce qu’ils font. C’est une forme de viol culturel que pratiquent les missionnaires humains, et pas seulement culturel parfois. Même si le mot a choqué il est parfaitement adapté. J’ai du modifier un peu le texte en amont pour introduire la créature au concept de viol car elle ne se reproduit pas sexuellement et il fallait donc que ce terme soit présenté à son lexique de l’extérieur, mais l’idée était bien celle-là.
En fait, ça a commencé comme une fanfic sur un de mes films préférés, et ça a fini par devenir une histoire sur l’imposition de la foi par les missionnaires. (rires)

Dans votre nouvelle The Island, j’ai eu le sentiment que vous aviez transporté la culpabilité de l’homme blanc dans l’espace

Je ne pense pas à The Island en terme de culpabilité de l’homme blanc mais en terme de culpabilité de l’Humanité. Nous, hommes blancs, sommes certainement des salauds mais n’importe quel individu, n’importe quel groupe en position de pouvoir veut s’accrocher à ce pouvoir. Alors, si on oublie les accidents de l’Histoire qui ont conduit à la domination occidentale (Diamond), les gens, et on peut même dire les animaux aussi, sont des salauds. On lit partout que la Nature est un équilibre. La Nature n’est pas en équilibre. Toutes les créatures vivantes essaient d’éliminer toutes les autres. Quand un renard entre dans un terrier, il détruit les œufs, il détruit tout, il ne les mange même pas. Cette sorte de destruction extravagante se retrouve partout. Les inuits utilisaient toutes les parties des animaux qu’ils tuaient jusqu’à ce qu’ils acquièrent la technologie du 18ème siècle et les armes à feu qui, en augmentant l’efficacité de la chasse, les à conduit à ne plus collecter que les parties charnues des animaux qu’ils tuaient et à laisser le reste pourrir. Quand on acquiert du pouvoir, on devient un salaud. Alors, oui, il y a cette idée dans la nouvelle. Et il est difficile de porter un jugement sur nous quand on réalise que les serpents, les renards, etc. ne sont pas meilleurs. Le point est que nous avons réussi à nous élever au-dessus du reste de la Nature, mais nous nous conduisons comme toute la Nature le fait, sauf que nous avons de plus gros outils. Alors dans la nouvelle, l’héroïne se dit « Enfin nous trouvons quelque chose qui n’est pas comme nous », et elle pense que si tout ce qui a évolué sur une planète, espace darwinien à somme nulle, est nécessairement vicieux et agressif, ici, dans l’espace ça peut être différent. Elle n’exprime pas la culpabilité de sa race ou de son espèce, elle témoigne de la culpabilité que devrait ressentir toute forme de vie planétaire.

Dernière question, pourquoi avoir fait du personnage principal de Vision Aveugle un vampire ?

Il ne faut d’abord pas oublier que Serasti, dans Vision Aveugle, n’est pas la capitaine du vaisseau. C’est l’IA qui est le capitaine du vaisseau, et elle utilise Serasti à sa guise, parfois de manière très cruelle. Serasti est une marionnette très efficace. Est-il même conscient, au sens où nous l’entendons, c’est une vraie question. Je vois la conscience vampirique comme une sorte d’état de rêve éveillé, une situation dans laquelle on fait moins les choses qu’on ne se voit les faire. C’est un thème que j’aborde aussi dans Echopraxia.
Mais la raison pour laquelle Serasti est un vampire est la suivante. Chaque personnage dans ce vaisseau a eu son esprit scindé d’une manière particulière. Chacun illustre un aspect particulier et unique de la conscience. Serasti est l'un de ses aspects. Rien de plus. Mais ceci dit, tout en étant un humain GM, il n’était pas indispensable d’en faire un vampire. En fait, en 1995, j’étais à une convention à Edmonton et quelqu’un m’a inscrit à une table ronde sur les vampires. Je ne connaissais rien aux vampires, Buffy n’avait même pas commencé, j’avais juste lu un livre d’Anne Rice, je ne connaissais absolument rien sur les vampires. Je me suis dit que quelqu’un devait me haïr pour m’avoir inscrit à cette table ronde à laquelle je n’avais rien à faire. Alors j’ai essayé de penser aux rationalisations scientifiques du vampirisme. Pour trouver quelque chose à dire. J’ai fini par penser à la peur du crucifix, et je l’ai rationalisée en imaginant des récepteurs dans le cerveau qui l’expliquerait. Cette idée m’a plu et j’ai décidé de la garder dans un coin de ma tête. C’était une manière nouvelle d’expliquer une vieille croyance. Puis j’ai écrit Vision Aveugle, et j’ai récupéré l’idée car je trouvais qu’elle s’intégrait bien dans cet étrange équipage. Certains lecteurs aiment, d’autres détestent. Je prends le bon comme le mauvais

Je vous remercie beaucoup et j'attends des nouvelles de Echopraxia.

Commentaires

Lhisbei a dit…
itw très intéressante :)
(et comme quoi les tables rondes ça peut inspirer :))
Gromovar a dit…
Oui, entretien très vivace. Que j'ai abrégé pour aller rejoindre Eschbach qui n'est jamais arrivé :(
Lhisbei a dit…
Ach so ! Scheiße ! (je crois que ce sont les seuls mots qu'il me reste en allemand mis à part quelques chiffres)
Efelle a dit…
Mouais, "je ne fais de la Hard SF mais de la fiction", ça fait tout drôle de lire ça de la part de l'auteur qui fait une tartine sur la science utilisée dans l'intrigue à la fin de chacun de ses romans...
Gromovar a dit…
Il le dit comme il le sent.
Thom a dit…
J'aime comme il décrit la hard-sf, vraiment un entretien intéressant.

Manque de pot, je n'ai pas accroché à Starfish, mais je pense que je me laisserai quand même séduire pour lire la suite.
Escrocgriffe a dit…
Je ne connaissais pas cet auteur, son interview est passionnante, même si sa vision scientifique fait froid dans le dos en ce qui concerne l’avenir des océans… Merci pour cet article !
Gromovar a dit…
Inquiétant mais réaliste.

@ Thom : si tu n'as pas aimé Starfish, mieux vaut ne pas éviter la suite. Mais d'autres romans sont en route.
sympa l'interview, merci.