Lagos, dans quelques années.
Yekini est une analyste intermédiaire, entre enforcer et fixer. Elle part pour sa première mission sur le terrain. Tuoyo est une ingénieur maintenance. Elle fait face à un problème de sas défectueux. Ngozi est un cadre administratif. Il est appelé pour superviser le problème. Les trois se retrouvent face à un événement bien plus grave et bouleversant que l’incident technique auquel ils se croyaient confrontés.
Yekini, Tuoyo et Ngozi vivent tous les trois dans le Pinnacle, la seule tour encore fonctionnelle d'un groupe de cinq qui avaient été surnommées les Fingers au moment de leur construction par un riche promoteur nigérian. Les faits à l'origine de leur rencontre, d'abord et longtemps conflictuelle, les amènent à découvrir de dérangeants secrets qui les pousseront à aller chercher au fond de leur propre histoire le courage de se surpasser pour le bien de la communauté.
Nigéria, futur pas si lointain. Le changement climatique et la montée du niveau des mers ont largement inondé Lagos, une capitale qui semble en train de devenir une des places to be de la SF. C'est dans en prévision de cette funeste occurrence que furent bâties les Fingers – immeubles de grande hauteur et villes autarciques fonctionnelles –, des lieux de sauvegarde réservés à un nombre élevé mais fini de happy few qui pourraient ainsi échapper à l’immersion de la ville.
Construites par le tycoon Chief Akanni Diekara, les tours (ou ce qu’il en reste, essentiellement le Pinnacle) sont dirigées par la famille du fondateur et ses proches. Quand commence Lost Ark Dreaming, longue novella de Suyi Davies Okungbowa, le Pinnacle est objectivement une dictature dirigée par Amos, le petit fils d'Akanni. La tour est divisée en trois grandes groupes d'étages – Lowers (le premier tiers, sous le nouveau niveau de la mer), Midders, Uppers – où vivent et travaillent des habitants inégaux de fait, chaque groupe de résident ayant accès des niveaux de confort et de pouvoir différents. Ces inégalités économiques et politiques sont aussi symboliques, ceux d'en-haut regardant d'un œil ouvertement méprisant ceux d'en-dessous, ce qui, tant pratiquement qu'intellectuellement, autorise à leur endroit des pratiques discriminatoires voire pire.
Reprenant une tripartition bourdieusienne classique, Lost Ark Dreaming pourrait n'être qu'une dystopie parmi d'autres – certaines chroniques invoquent d'ailleurs Snowpiercer. Mais c'est aussi et surtout imho aux Monades urbaines de Silverberg qu'on doit penser ou encore à l'I.G.H. de Ballard (auquel l'auteur fait explicitement référence dans les crédits).
Et puis – chroniques encore – on ne peut faire l'impasse sur une référence à Rivers Solomon. Que ce soit pour L’incivilité des fantômes avec son univers clos et stratifiés ou pour Les Abysses avec ses hybrides humanoïdes et sa mythologie fondées sur la préservation magique des esclaves jetés à la mer par leurs tortionnaires esclavagistes.
Avec tout ceci en tête, que dire de Lost Ark Dreaming ?
Sur la forme, Okungbowa reprend tout ce qui fait une narration libre et moderne. Chapitres narratifs, rapports officiels (notamment sur les risques d'anomie engendrée par la claustration – les mêmes que ceux qui s'actualisent dans I.G.H. et que visaient à prévenir les promenades nocturnes dans Les Monades urbaines), rappels historiques, poésie même, sans oublier des parties qui ne peuvent qu'être qualifiées de prédication (car, de fait, il y a un message d'unité mystique à travers la vérité porté par le déroulement du récit même sur un ton proche du biblique « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libre »).
Sur le fond, c'est une histoire rapide, un thriller porté par trois personnages attachants, une triple épiphanie conséquence de la découverte de toutes les petites saletés qu'a nécessité le maintien au pouvoir des dominants dans le monde clos du Pinnacle.
C'est plutôt agréable à lire même si c'est très linéaire et trop peu développé. On sent qu'il y a un background et une structure socio-politique dans la tête de l'auteur mais ils ne sont la plupart du temps qu'entrevus, de loin et sans développements. Clairement christique, Lost Ark Dreaming est imho une dystopie pour débutants – il faut bien débuter un jour – qui laissera sur leur fin les lecteurs assidus de ce genre mais, soyons optimistes, les poussera peut-être à aller plus loin et à parcourir les allées du genre.
Lost Ark Dreaming, Suyi Davies Okungbowa
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