Alien Clay - Adrian Tchaikovsky

Quand commence Alien Clay , récent roman SF politique du serial writer Adrian Tchaikovsky, Anton Daghdev est, disons-le sans ambages, dans une belle merde. Embarqué de force sur un vaisseau en partance pour la colonie pénitentiaire de la planète Imno 27g – surnommée Kiln –, déshydraté flash-frozen comme ses compagnons d'infortune pour survivre à un très long trajet sans passer par l'hibernation, Daghdev a voyagé trente ans durant, endormi aux côtés des autres prisonniers politiques qui font partie de la même cargaison que lui. Il aurait pu rêver meilleur confort mais le pire était encore à venir. Page 1, arrivés à distance orbitale d'Imno 27g, les forçats dont Daghdev sont réhydratés (kind of) , vaguement ramenés à la conscience, puis projetés entravés vers la surface de la planète dans des sortes de bulles de celluloïd translucide alors que leur vaisseau (conçu pour un one-shot sans retour ni même atterrissage) se désagrège. Cet aller-simple déplaisant et risqué (un cer

Gennarose Nethercott - La Maison aux pattes de poulet


USA, maintenant.
Bellatine Yaga est une jeune femme solitaire qui travaille passionnément le bois. Isaac, son frère, est un vagabond, pickpocket, imitateur de génie et escroc lâche et sans envergure ; traversant de part en part les USA, il fuit depuis longtemps, tant sa famille que lui-même sans doute. Cela fait des années que les deux ne se sont plus vus. Et voilà qu’arrive une lettre d’un notaire ukrainien qui les réunit pour prendre possession du mystérieux héritage d’une ancêtre inconnue d’eux. Cet héritage, c’est une énorme caisse. Qui contient une maisonnette traditionnelle d’Europe centrale. Une maisonnette capable – c'est loin d’être traditionnel – de se déplacer sur des pattes de poulet. Vivante, elle se nomme Pieds-de-chardon (קאַרדאָן פֿוס).
Le choc passé, les retrouvailles gênées entre les collatéraux Yaga accouchent d’un Yalta imaginé par Isaac : tous deux – enfants de marionnettistes – partiront un an en tournée pour présenter en public le spectacle de marionnettes familial. Puis, à l’issue de l’année, Isaac reprendre la route avec tout l’argent gagné et Bellatine deviendra l’unique propriétaire de la maison vivante. Why not ? Seul problème : la maison aux pattes de poulet n’est pas seule à avoir franchi un océan et un siècle, elle est poursuivie par un dangereux personnage qui menace la vie des Yaga. Il s'appelle Ombrelongue, on n'en sait guère plus.

La Maison aux pattes de poulet est le premier roman de la poétesse Gennarose Nethercott. Ceci explique sûrement  pourquoi il est porté par une plume magnifique – rendue à merveille par la traduction d'Anne-Sylvie Homassel – qui saisit le lecteur dès le superbe prologue et ne perdra jamais de sa beauté.
Ca, c’est pour l’écrin. Et à soi seul il justifierait la lecture de La Maison aux pattes de poulet. Mais il y a bien sûr un fond dans cette forme. Et il la surpasse en qualité. Voyons ce qu’il en est !

Focalisé sur deux personnages écorchés vifs, La Maison aux pattes de poulet tire sa substance des légendes yiddish d’Europe centrale – car, ai-je oublié de l’indiquer, les Yaga sont juifs, d’une famille qui émigra aux USA quelque jour du début du XXe siècle. Dibbouks, golems, chants et traditions, c’est du monde des shtetls russes qu’arrivent les Yaga. Un monde que shofars, synagogues et folklore ne suffisent pourtant pas à définir ; pour que tout soit dit il y faut plus. Il faut y ajouter un antisémitisme latent millénaire qui ne demande qu’à s’exprimer à l’occasion d’une mauvaise récolte ou d’une épidémie. Y ajouter donc aussi les insultes et les brimades qui en découlent, devenant parfois des meurtres quand la situation est plus tendue qu’à l’habitude ou que le vin a coulé plus qu’à l’accoutumée dans des gosiers prompts à transformer la haine rentrée en explosion de violence. Voire quand c’est la guerre civile et que les Juifs deviennent alors, comme par nature, suspects.
Gennarose Nethercott n’omet rien et fait admirablement revivre ce monde disparu qui est au centre du récit et ne voulait rien d'autre que vivre en paix et en bonne intelligence avec ses voisins.

La Baba Yaga au cœur de ce roman est, elle, une figure mythique du conte slave. Réinventée ici, « ressuscitée » par la réapparition de sa maison magique et l’intervention de ses descendants, elle permet à l’autrice de questionner la naissance des légendes, la versatilité des contes, l’impermanence des mémoires et les risques de l’oubli. Elle pose explicitement l’impérieuse nécessité de se souvenir, car c’est par la mémoire et dans celle-ci que survivent les peuples ou les hommes sur qui le crime s’est abattu. Pas d’annihilation possible si la mémoire survit. Les corps peuvent disparaître, mais tant que noms et souvenirs subsistent les victimes sont toujours présentes, vivantes pour l’éternité. Devoir de mémoire dira-t-on. On aura raison. Il est le seul barrage contre l'ethnocide.


La Maison aux pattes de poulet est une course-poursuite trépidante (malgré un démarrage peut-être un peu lent) dont je viens d’énoncer les thèmes.
« The evil that men do lives after them », écrivait Shakespeare dans Jules César. On l'observe ici de bien tragique manière : Qu’est ce que le passé fait aux hommes ? Comment les souvenirs affectent-ils les générations qui suivent, y compris celles qui n’ont pas connaissance de faits qui sont pourtant gravés dans leurs chairs ? Comment empêcher que ne putréfie une mémoire non purgée ? Et comment guérir de traumas enkystés si anciens qu'ils ont disparu de la mémoire vive des hommes ?
C'est à ces questions cruciales que tente de répondre Nethercott avec deux injonctions claires, je l'ai déjà dit : Ne pas oublier ; Ramener à la vie les noms et les chansons. Pour cela ses héros, Isaac et Bellatine, contre le risque de l'annihilation, devront enfin se regarder en face, cesser de fuir et affronter de la seule manière qui vaille les délétères fantômes du passé.

A ces enfants perdus qui se retrouvent, Nethercott offre un récit palpitant parcouru de flashbacks dont Neil 'Neverwhere' Gaiman et Shaun 'Cosmologie' Hamill disent le plus grand bien. C'est pourtant avec Tim Burton imho que La Maison aux pattes de poulet a le plus de points communs. Au fil des pages arrivent des images qui évoquent immanquablement le merveilleux gothique de L'étrange Noël de Mr Jack ou encore celui d'Edouard aux mains d'argent. Un merveilleux de conte noir dans lequel il peut arriver que des maisons vivent, que les morts s'adressent d'une façon ou de l'autre aux vivants, que des humains presque ordinaires aient des pouvoirs extraordinaires, que des filles ressuscitées profondément émouvantes quittent les cimetières qui les abritaient jusqu'alors pour vivre enfin une vie à elles.
Fond et forme montent progressivement de révélation en révélation puis culminent dans un final littéralement époustouflant où action et émotion se rejoignent pour une explosion qui clot le récit autant qu'elle libère la tension accumulée. Y sera soigné tout ce qui était purulent depuis si longtemps, quand une mémoire sera enfin restaurée là où bien d'autres, en Amérique, ne l'ont pas toujours suffisamment été.
C'est bon, c'est grand, c'est excellent. Un livre magnifique.

Note finale (possible spoil, sélectionnez ce qui suit les deux points à vos risques et périls) : Les hasards du calendrier font que ce roman, sorti il y a deux ans aux USA, arrive ici quatre mois après le plus grand pogrom de l'histoire organisé par les terroristes criminels du Hamas. Cela lui donne un goût amer et confère une inquiétante actualité aux questionnements de Nethercott.

La Maison aux pattes de poulet, Gennarose Nethercott

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