Les Fils enchevêtrés des marionnettes - Adam-Troy Castro

Juste quelques lignes pour Les Fils enchevêtrés des marionnettes , le dernier UHL d'Adam-Troy Castro, qu'il vaut mieux lire après La Marche funèbre des marionnettes qu'avant. Le décor est toujours la planète Vlhan et son incompréhensible rituel mortifère annuel de masse, le Ballet. L'action prend place quelques années après les événements de La Marche funèbre des marionnettes qui relatait la première intervention dans la danse vhlani d'une humaine augmentée, Isadora. Le personnage principal est ici un shooter de neuropics (si tu es sur ce blog, tu dois voir de quoi il peut s'agir) , Paul Royko, venu couvrir pour son nombreux public galactique le dernier Ballet en date, et singulièrement la participation à celui-ci d'encore une humaine augmentée, Shakalan, venue elle aussi de l'autre bout de l'univers pour danser et mourir avec les Vlhans. Les Fils enchevêtrés des marionnettes est encore, comme toujours chez Adam Troy-Castro, un beau texte avec de

Délivrez-nous du bien - Joan Samson


Les Moore sont des fermiers. Ils exploitent la même terre du New Hampshire depuis deux siècles. Dans les années 60 (sans doute), la génération vivante compte John, sa femme Mim, sa mère Ma, et la petite Hildie qui n’a que quatre ans.
Les Moore sont de ces petites gens qui travaillent dur, respectent traditions et anciens, se conforment à la loi et ne cherchent jamais ni problème ni avantage indu. Rudes à la tâche, ils sont déterminés et résilients, parfois jusqu’à l’obstination. Fondamentalement pacifiques, ils ne sortent qu’avec grande réticence de leurs gonds puis y retournent aussi vite, comme une rivière paresseuse qui ne quitte son lit qu’à regret et y revient aussitôt que possible. Ils sont habités de cette common decency qu’Orwell voit dans le peuple et que politiques et Internet mettent aujourd’hui à toutes les sauces, rarement les bonnes.
Les Moore font partie d’une communauté rurale faite de gens comme eux, où chacun connaît tous les autres, souvent depuis l’enfance, et où on est largement, encore à cette époque, à l’écart du mouvement du monde – la grande ville, son agitation et ses dangers, c’est loin.

Alors qu’ils étaient paisiblement lovés, comme des ours hibernant, dans leur routine et la nature qui leur sert d’écrin, les Moore et plus largement la communauté se virent bouleversés par l’arrivée d’un nouveau venu en ville, un beau parleur du nom de Perly Dunsmore qui se dit commissaire-priseur et met vite au service de ses ambitions le charisme et l’assurance dont il déborde.
Dunsmore, « soucieux qu’il est du bien-être de la communauté », commence à organiser des enchères afin d’aider au financement de la force de police locale – constituée en tout et pour tout d’un débonnaire shérif du cru. Il s’agit d’équiper mieux et d’embaucher des adjoints. « Car le monde change et que la ville et ses périls guettent non loin ». Pour ce faire, Dunsmore commence par récolter, avec l’accord de leurs propriétaires, les vieilleries qui s’entassent dans les fermes, un genre de vente de bienfaisance dont les clients potentiels seront ces citadins en goguette qui viennent s’encanailler dans « l’Amérique traditionnelle et son éternel passé », loin si loin de la violence des villes. De vrais bobos en quête d’authentique, des Jean de Florette américains.
Puis, alors que le force de police grossit de plus en plus, ce sont des objets moins vieux et moins usés que Dunsmore et ses séides collectent, en n’oubliant jamais de rapporter aux « donateurs » les « accidents » qui ont frappé les mauvais coucheurs récalcitrants.
Vient ensuite le temps où ce qui est volé, impossible de le dire autrement, est de l’utile, du nécessaire et du gros matériel. Jusqu’à des terres ou pire encore, alors que le mouvement des enchères ne cesse de s’amplifier, les bobos touristes étant progressivement remplacés par des bobos en veine de gentrification qui ne rêvent rien tant que de se procurer des terres et les délicieuses bâtisses traditionnelles qui les ornent. Le tout dans la sidération et la peur de la communauté. Jusqu’à l’inévitable affrontement.

Délivrez-nous du bien est un roman de l’américaine Joan Samson. Texte proche de l’horreur psychologique, situé quelque part entre La Loterie (et toute l’œuvre de Shirley Jackson) pour l’horreur et le cadre et The Water Knife pour la dépossession brutale, le roman est moins une critique des mécanismes de marché – comme le suggère la quatrième de couv – que la description minutieuse d’une spoliation criminelle permise par la violence et la peur qu’elle suscite chez les honnêtes gens. Les hasards du calendrier font qu’à la lecture de Délivrez-nous du bien on ne peut que penser à la spoliation des Indiens Osage, et plus généralement aux appropriations de terres par des pionniers – le terme est dans le roman – qu’animent une Destinée manifeste.

Dunsmore, doucereux et subtilement menaçant, entouré d’une garde prétorienne que ses victimes elles-mêmes ont financé, est de ces racketteurs qui vendent des « assurances » et pompent jusqu’à la dernière goutte le sang de leurs victimes. Face au criminel que sa maîtrise de la loi et ses contacts politiques – qui le croient lui car il parle leur langue – protègent, les Moore et leurs voisins sont aussi paralysés que des lapins dans les phares d’une voiture. Certains fuient, d’autres subissent, aucun ne résiste. Comme dans Le Livre de Job, les malheurs tombent l’un après l’autre sur les Moore, sans fin ni répit et, peu à peu, au-delà des Moore eux-mêmes, la communauté entière est détruite par l’épreuve. Jusqu’à un sursaut nécessaire ? Et faudra-t-il, comme dans La Loterie, un bouc-émissaire pour ressouder la communauté ?

Stressant et scandaleux, prompt à provoquer l’indignation, le roman de Joan Samson se lit vite car, horrifié par ce à quoi on assiste, on attend avec impatience, page après page, cette réaction qui ne vient jamais. Les quelques dernières pages, éruptives, soulagent mais laissent un léger sentiment de trop peu après autant de tensions accumulées. Votre serviteur n’est pas bienveillant, il aurait souhaité une bien plus terrible rétribution. Earth abides.

Délivrez-nous du bien, Joan Samson
Un livre qui est bien joli, comme tous ceux de Monsieur Toussaint Louverture.

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