Je n’ai jamais été un grand fan de Batman. Ni version originale, ni version moderne post-Frank Miller. J’ai toujours eu une nette préférence pour les super-héros avec pouvoirs. Mon côté bourrin sans doute. J’en ai donc lu peu, mis à part les épisodes édités par Sagedit que j’achetais il y a bien longtemps sans grand souci de continuité et lisais comme autant de one-shots – ce qu’ils étaient souvent dans mon souvenir. C’est donc toujours un peu en béotien que j’ouvre un Batman qui m’a attiré l’œil. C’est encore le cas ici – donc, comme disent les auteurs en remerciements : « toutes les erreurs sont de mon fait ».
Batman et Joker Deadly Duo est une mini-série de Marc Silvestri (scénario et dessin). Elle met en scène un caped crusader obligé de s’allier avec son pire ennemi, le psychopathe criminel Joker, à la suite d’une série de meurtres aussi gores qu’incompréhensibles qui endeuillent la ville noire et corrompue de Gotham (ça, ça devient vraiment un trope trop facile, même pour moi).
S’allier c’est beaucoup dire. Car si Batman comprend qu’il doit travailler avec Joker, on ne peut pas dire qu’une franche camaraderie s’instaure entre les deux. Trop d’inimitié justifiée, trop de méfiance justifiée, et la certitude que Joker, sans en être à l’origine, est lié à la série de meurtres au point d’en être partie prenante.
C’est donc un Joker ligoté et aveuglé comme un pratiquant de bondage SM que Batman autorise à fréquenter la Batcave. C’est un Joker toujours sous contrôle qui accompagne Batman dans sa dangereuse mission. Et, oui, un Joker toujours prêt à trahir en jouant ses propres pions, soutenant donc Batman comme, parfois, la corde soutient le pendu. Aucun humour dans cette histoire particulièrement sombre – sauf les ricanements d’un Joker que le chaos en cours amuse. Ce n’est pas un buddy movie. Si c’est ce que tu attendais, lecteur, passe ton chemin.
Aucun rapprochement possible donc car Batman et Joker ne cessent jamais d’être ce qu’ils sont durant cet interlude qu’on pourrait qualifier de paix armée. Batman, hautain, souvent désagréable, imbu de sa vengeance et de sa mission de vigilante. Joker, qu’on se sentirait capable de plaindre par moments au vu du traitement que Batman lui impose, douche régulièrement toute compassion naissante en rappelant par ses actes qu’il est fondamentalement un meurtrier de masse psychopathe ; on ne peut même pas dire de lui qu’il serait l’incarnation vivante de l’utilitarisme benthamien (ce qu’il semble être à plusieurs reprises dans le récit) car il prend grand plaisir au désordre qu’il crée là où l’approche utilitariste n’a de sens que parfaitement dépassionnée.
Silvestri utilise ses deux personnages (plus quelques autres parmi lesquels les toujours ambigus flics de Gotham et la résolument impériale Harley Quinn) pour donner vie et tension à un thriller dans lequel la survie même de Gotham est menacée. Une aventure qui offre à Batman l’occasion de réfléchir aux conséquences de sa croisade sur les bystanders et la motivation pour en assumer la responsabilité tant il est vrai que, comme l’énonce le Code Civil, « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Une course contre la montre qui force le caped crusader à faire le deuil de certains des totems de son culte parental, lors de la mise en images animées d’un presque littéral dilemme du trolley.
Puis, dans ces pages, après enquête gore et twist, naît un nouveau vilain, sorte de double vigilant de la vigilance de Batman, de conscience morale de la conscience morale de Gotham.
Et aussi, de manière amusante, Joker prouve que le jeu de chat et souris qu’il joue depuis si longtemps avec le justicier l’amuse et le satisfait plus qu’une victoire définitive ne le ferait ; on pense ici au discours de Thulsa Doom à la fin du Conan de Milius : l’un n’est rien sans l’autre, « sans moi tu n’aurais jamais été ».
Graphiquement c’est très beau, avec un dessin sombre dans lequel Silvestri tente d’émuler le travail à la plume des Wrightson et autres. Et le résultat est plutôt réussi.
Hors trait, de grandes planches explosent les cadres, la ville est profondément minérale, les contrastes entre personnages sont saisissants (Joker est ricanant et désarticulé à souhait, Harley Quinn aussi belle et mortelle qu’une fleur carnivore, Batman costaud, musclé, physiquement impressionnant). Quant aux couleurs, elles amènent régulièrement la folie de la vie (fut-elle délirante) au cœur de planches dont le ton général est sombre comme l’âme de la ville et le cœur de son vigilante.
C’est donc un moment très agréable qu’on passera à lire ce one-shot hors continuité. Batman et Joker Deadly Duo fait son boulot qui est de divertir et il le fait plutôt bien.
Batman et Joker Deadly Duo, Marc Silvestri
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